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de nous-même si différente du corps, si peu soumise aux lois de la matière.

La Raison est la directrice de l'homme, elle est dans la vie de l'Humanité la cause déterminante et agissante. C'est donc elle qui sera, selon l'expression de Bynkershoek, l'âme du Droit international (1). Sur quels principes repose en effet la science du Droit international? Sur celui de la communauté et de la réciprocité des droits pour toutes les nations, sur celui de la solidarité de ces nations dans la marche vers le progrès. Elle proclame en théorie que les différents groupes dont se compose l'humanité sont intimement unis comme membres d'un même organisme et tous ses efforts tendent à faire de cette théorie la règle même de la vie des nations.

Le but suprême, vers lequel cherche à s'élever toute civilisation, c'est de dégager l'homme de la matière, de l'arracher aux ténèbres de l'ignorance, à la brutalité des passions, de l'élever à la vie de l'Esprit faire triompher la Raison sur la Sensualité, sur l'Inconscience et la barbarie primitive, telle est l'œuvre, tel est en même temps l'idéal de la Civilisation.

Mais quand nous parlons de civilisation, nous entendons parler de civilisation chrétienne, quand nous parlons de la raison, nous entendons parler de la raison éclairée par la lumière de la vérité chrétienne.

Devant le Christianisme doivent s'incliner toutes les

(1) Ratio, ipsa, inquam, ratio est juris gentium anima. Cf. Bynkershoek, Quæstionum juris publici. L. I, ch. II.

autres doctrines, croyances religieuses ou systèmes philosophiques: aucune ne peut lui être comparée; aucune n'a prêché comme lui le dogme du pardon, de la fraternité et de la charité universelle, principe fécond qui devait préparer la suppression de l'esclavage et du servage, l'affranchissement de la femme: aucune religion, aucune école de philosophie n'avait, avant la venue du Christ, enseigné des principes aussi élevés et aussi bienfaisants.

C'est le Christianisme qui a créé le Droit international: c'est lui qui l'inspire encore et qui lui fait appeler de ses vœux et de ses efforts le triomphe de la Justice; l'intime union des membres de l'humanité, la pratique des maximes de la fraternité et de l'amour. A mesure que se répand et s'étend la Civilisation européenne et chrétienne, s'étend aussi le domaine du Droit international à mesure que disparaissent ou deviennent plus rares d'individu à individu ou de peuple à peuple les spoliations, les actes de cruauté, les actes arbitraires, le Droit international se développe, se complète, se perfectionne.

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Sans doute, chacune des sciences suit la marche et le progrès de l'esprit humain : mais ce progrès de la plupart des sciences n'a ni l'importance, ni la valeur du progrès de la science du Droit international.

L'objet de cette dernière est de régler les rapports juridiques, les droits et les devoirs des individus, sujets des Etats, membres de la communauté juridique internationale, et aussi les rapports juridiques, les droits et

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les devoirs de ces Etats eux-mêmes. Par sa nature et par son but, elle est en dehors des autres sciences, à part et au-dessus d'elles; elle touche aux intérêts les plus élevés de l'humanité, répond à ses besoins les plus nobles, développe ses facultés les plus hautes (1).

Tel est son rôle : elle fixe, elle détermine, elle modifie les règles juridiques auxquelles se soumet la forme la plus haute de l'Association humaine, l'Union internationale elle est intimement liée au progrès, au développement général de cette collectivité d'Etats qui sont le meilleur de l'humanité et qui s'applique à satisfaire à nos besoins de toute sorte, matériels, intellectuels, moraux ou religieux.

Si la science du Droit international a cette dignité et cette importance exceptionnelle, il faut rechercher et étudier avec grand soin les principes fondamentaux sur lesquels on a fondé jusqu'ici les relations internationales tels sont les principes de l'équilibre politique, de la légitimité, des nationalités.

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Mais ce sont là, plutôt que des principes vraiment philosophiques, des règles directrices de conduite.

Le Droit international moderne ou plutôt chrétien repose sur deux principes fondamentaux, un principe. objectif, un principe subjectif. Le principe subjectif, c'est le principe de la liberté, de la souveraineté, de l'indépendance des Etats, soumis au Droit internatio

(1) V. notre Etude sur l'Extradition, Ch. III, Paris, Pedone-Lauriel, 1883.

nal; le principe objectif, c'est celui de la communauté et de la réciprocité des droits, celui qui reconnaît que tous ces États forment un tout organique, une Union internationale.

L'erreur des hommes d'Etat, des publicistes, des savants, a été justement d'attribuer aux principes de l'équilibre politique, du légitimisme, des nationalités, la valeur des principes objectif et subjectif du Droit international. Ils n'ont pas vu que ces principes pouvaient régler et modifier les relations entre peuples, mais non servir de base et de raison dernière à la Science du Droit international.

Nous avons essayé, dans ce travail, de déterminer ce que sont et ce que valent par rapport aux principes objectif et subjectif du Droit international, les principes de l'équilibre politique, de la légitimité, des nationalités.

A. DE STIEGLITZ.

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