Page images
PDF
EPUB

blique nouvelle sortie de la révolution de Février? Et qu'on se garde de lui reprocher, à cause de cela, d'avoir montré dans sa conduite des faiblesses ou des variations. Ces variations lui étaient commandées par un principe invariable, auquel l'Église, depuis sa fondation, est toujours restée fidèle. Ce principe est celui de la soumission aux puissances établies et d'obéissance à la loi, quand elle n'est pas contraire à la loi de Dieu. Aussitôt qu'après une révolution l'ordre a été reconstitué dans un État, la puissance publique qui de fait maintient cet ordre est reconnue et respectée par l'Église, abstraction faite de toutes les questions de droit qui peuvent se trouver impliquées dans ces grands événements qui accompagnent la chute ou l'élévation des empires. >>

Comme annexe aux lois concernant l'enseignement public, et pour réunir en un seul corps toutes les discussions relatives à cette matière, nous plaçons ici l'examen d'une proposition de M. le général Baraguay d'Hilliers, tendant à modifier le décret du 19 juillet 1848, qui établit la gratuité de l'admission dans les Écoles Polytechnique et Militaire, à partir du 1er octobre 1850. On sait dans quelles circonstances et sous l'empire de quels sentiments fut rendu ce décret. Le but de ses partisans était moins de pourvoir aux besoins supposés de ces deux écoles que de poser un principe qu'ils comptaient plus tard faire inscrire d'une manière générale dans la Constitution, le principe de la gratuité de l'enseignement à tous les degrés. Telle était du moins la portée que le rapporteur, M. Leverrier, donnait à ce décret. Les motifs des adversaires du décret de la Constituante, ceux qui furent allégués lors du décret de 1848 (voyez l'Annuaire, pour cette année) et ceux qu'on alléguait encore aujourd'hui ne manquaient pas de valeur. On soutenait, en premier lieu, que la gratuité ne profiterait pas aux jeunes gens pauvres, comme se l'étaient imaginé sans doute les auteurs du décret. Il en coûte en effet fort cher pour mettre un jeune homme en état de se présenter au concours pour l'École Polytechnique et même pour l'École Militaire. Il doit d'abord avoir fait des études classiques assez complètes; il doit ensuite consacrer deux ans au minimum, trois ans en moyenne, à l'étude des mathématiques élémentaires et spéciales ; ces deux ou trois ans coûtent plus cher aux parents de l'élève, qu'il les passe au collège ou dans une école préparatoire, que la pension qu'il acquittera plus tard à l'École Polytechnique ou à celle de Saint-Cyr. Il en résulte que les jeunes gens qui se présentent à l'une ou à l'autre de ces écoles appartiennent pour la plupart à

des familles aisées. La gratuité de ces écoles changerait-elle cette situation? Non, assurément, car il n'y aurait toujours que des personnes ayant une certaine aisance en état de fournir aux frais de l'éducation préparatoire que doivent d'abord acquérir les candidats aux écoles spéciales. Ainsi donc la gratuité de ces écoles serait une mesure essentiellement aristocratique ; ce serait un privilége créé au profit des familles aisées ou riches. Ceux qui soutiennent la gratuité des écoles spéciales, s'ils étaient logiques, devraient d'abord demander la gratuité des écoles préparatoires. La première est en effet illusoire sans la seconde; mais on voit où cela conduirait, Qu'importent les exemples de Poisson et du général Bernard, reçus à l'École Polytechnique, trop pauvres pour payer les 2,600 fr. qu'il en coûte aujourd'hui à chaque élève? Ce sont là des exceptions qui n'infirment en rien la vérité des observations qui précèdent.

Le second argument qu'on invoquait contre le décret de la Constituante était celui-ci. Si l'on admet la gratuité des écoles Militaire et Polytechnique, il faudra l'accorder également pour toutes les écoles, pour toutes les Facultés.

Aujourd'hui, le principe de la gratuité était condamné. M. Tamisier vint vaiuement le défendre. On veut, prétendit l'orateur, fermer l'accès des carrières publiques aux familles pauvres et constituer un privilége au profit des familles riches. Mais la proposition de M. Baraguay d'Hilliers sauvegardait pleinement les intérêts des jeunes gens appartenant à des familles peu aisées, car elle fixait au quart de l'effectif des élèves de chaque division le nombre des bourses qui pourraient être accordées ; c'était plus que ne demande la proportion habituelle des candidats pauvres. On l'avait déjà dit : dans l'état actuel des choses, les connaissances exigées des aspirants aux Ecoles Polytechnique et de SaintCyr s'acquièrent à grands frais, et peu de familles sont à même de supporter ces frais préliminaires; à qui donc profiterait, en définitive, la gratuité absolue? Précisément aux riches; ce seraient les fils de familles aisées qui, dans le système de la gratuité, imposeraient à l'Etat une dépense annuelle qui ne s'élèverait pas à moins d'un million. C'est là que serait le privilége. M. Audran de Kerdrel combattit le discours de M. Tamisier et

appuya les conclusions de la commission qui acceptait, moyennant quelques changements de détail, la proposition du général Baraguay d'Hilliers. L'honorable membre fit l'historique des conditions auxquelles on était admis à l'Ecole Polytechnique sous la première république; il rectifia plusieurs assertions de l'exposé des motifs du projet présenté à la Constituante par le général Cavaignac, au nom de la commission exécutive, et qui devint plus tard le décret du 19 juillet (25 janvier).

M. le général de Lamoricière prit la défense du décret du 19 juillet 1848. L'ancien ministre de la Guerre du général Cavaignac avait surtout contribué à faire adopter l'amendement qui établissait le principe de la gratuité, à partir du 1er octobre 1850. A l'argument tiré de la nécessité d'admettre la gratuité pour toutes les écoles, si on l'admettait pour une seule, l'honorable général répondait par cette distinction subtile: « L'analogie n'est pas exacte, disait-il, parce que les élèves des écoles dont il s'agit sont des fonctionnaires. Les élèves de Saint-Cyr ne sont-ils pas soumis au régime militaire, justiciables des conseils de guerre; ne font-ils pas partie de l'armée, si bien que lorsqu'ils viennent à quitter l'Ecole, ils doivent passer dans un régiment ou se faire remplacer.» En tout cas, la distinction de M. de Lamoricière ne s'appliquait qu'à une des deux écoles; l'alternative n'existe pas pour les élèves renvoyés de l'Ecole Polytechnique. Mais la distinction n'était pas plus juste même pour l'Ecole de Saint-Cyr. On n'est fonctionnaire, en effet, que si on remplit une fonction. Dans les écoles, même militaires, on se prépare à remplir un jour un emploi; on ne le remplit pas. Les élèves de ces écoles ne sont que des fonctionnaires présomptifs.

Un argument pratique fut apporté par le rapporteur contre le principe de la gratuité. M. Leverrier rappela que, lorsque le décret du 19 juillet fut discuté au sein de la Constituante, ses partisans avaient annoncé que l'adoption du principe de la gratuité amènerait, dans l'espace de deux ans, parmi les jeunes gens pauvres, un immense mouvement d'aspiration vers les Écoles Polytechnique et Militaire. Ces deux années allaient bientôt être écoulées; la prédiction s'était-elle réalisée? Ce grand courant, dont on avait tant parlé s'était-il véritablement formé? Pas le

moins du monde, et la preuve, c'est que le nombre des élèves libres, qui appartiennent généralement aux familles les moins aisées, avait sensiblement diminué dans les colléges au lieu de s'augmenter, et avait diminué d'un tiers environ, tandis que le nombre des internes dans les lycées et pensions était resté stationnaire. Un autre argument de M. Leverrier n'avait pas moins de valeur. L'honorable rapporteur, se plaçant au point de vue des défenseurs du principe de gratuité, supposa le cas où, loin d'être démentie par les faits, la prophétie s'accomplirait réellement. Que résulterait-il de cette tension vers un même but d'une foule de jeunes gens sans fortune? Le nombre des admissions annuelles aux Ecoles Polytechnique et Militaire est toujours à peu près le même ; ce nombre est en rapport avec les nécessités des divers services publics, et ne peut s'accroitre arbitrairement. Dans l'état actuel des choses, il y a déjà trois ou quatre fois plus de candidats qu'il n'y a de places à donner. Supposez une surexcitation nouvelle produite par la gratuité; mille ou douze cents aspirants au lieu de cinq à six cents. Les plus capables seraient admis que deviendraient les autres ? quels dédommagements l'Etat pourrait-il leur offrir? N'y a-t-il pas déjà dans notre ordre social trop d'existences déclassées, sans qu'on offre encore de nouvelles primes au déclassement?

Cette argumentation vigoureuse l'emporta, malgré les efforts de M. le général Gourgaud qui attaqua la proposition, non-seulement comme injuste et contraire aux intérêts de l'armée, mais encore comme attentatoire à la Constitution. Cette accusation tant de fois répétée, mais accueillie une fois de plus par les applaudissements de la Montagne, n'ébranla pas la majorité qui décida une seconde délibération (26 janvier).

La question revint le 3 mai en guise d'annexe au budget de la guerre. La commission chargée de l'examen s'était d'abord maintenue rigoureusement dans les limites que l'honorable général avait lui-même fixées à sa proposition; elle s'était bornée à modifier les termes de la rédaction primitive et à en étendre les dispositions à l'Ecole navale de Brest; et c'était dans ces conditions que l'Assemblée avait admis le projet au bénéfice d'une seconde délibération. Mais, entre la première et la seconde lecture, de

nombreux amendements ayant été présentés et soumis à la commission, celle-ci avait été peu à peu amenée à élargir le cercle de ses investigations; tout en ne s'occupant de l'Ecole militaire de Saint-Cyr et de l'Ecole navale de Brest qu'au point de vue de la gratuité, elle s'était livrée à une étude approfondie de l'organisation générale de l'Ecole Polytechnique, et de ses méditations était sorti un nouveau projet de loi. A part la question de la gratuité, les modifications les plus graves apportées par la commission au système actuel, consistaient dans la mise définitive hors du concours d'admission, après deux épreuves, dans l'élévation de seize à dix-sept ans de la limite d'âge inférieure, et dans la translation de l'Ecole Polytechique à Meudon. La commission demandait en même temps qu'une commission mixte, nommée sur la proposition du ministre de la Guerre, de concert avec les ministres des Travaux publics et de la Marine, fût chargée de réviser les programmes d'admission à l'Ecole Polytechnique ainsi que ceux d'enseignement dans cette école, et de proposer, avant la 1er octobre 1850, les changements à introduire dans ces programmes pour les mettre en harmonie avec les besoins des divers services publics.

La discussion et les votes qui suivirent montrèrent que l'Assemblée ne partageait pas sur tous ces divers points l'avis de sa commission longuement formulé dans le rapport supplémentaire de M. Leverrier. Le principe de la révision des programmes et la formation d'une commission mixte furent acceptés sans difficultés, parce qu'en effet le rapporteur avait suffisamment prouvé que l'enseignement préparatoire et l'enseignement polytechnique luimême renfermaient des vices nombreux et d'importantes lacunes; qu'on y accordait trop de place à la théorie pure, à l'abstraction, à l'analyse mathématique, et pas assez à l'application; qu'on y attachait trop de prix à la solution de problèmes subtils et sans aucune utilité possible; qu'on avait eu le tort d'en exclure complétement l'étude des lettres, de l'histoire, de la géographie et des langues vivantes. Mais il n'en fut pas de même pour tous les articles.

Le premier, qui prononçait l'abrogation du décret du 19 juillet 1848, fut adopté sans discussion. M. de Barbançois voulait qu'on s'en tînt là, et que de ce jour au 1er janvier 1851, le minis

« PreviousContinue »