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valeur individuelle, de toute spontanéité. C'est le triomphe des minorités intrigantes.

La loi nouvelle était à peine annoncée que les journaux démocrates, même avant de la connaître, la dénoncèrent comme un attentat contre le suffrage universel et la Constitution. C'est, dirent-ils, une conspiration réactionnaire, un attentat médité par le Gouvernement et par la majorité monarchique contre le suffrage universel, contre la Constitution, plus que tout cela, contre la République elle-même: Pendant que la majorité délibérait sur les questions législatives soulevées par le projet, la minorité délibérait sur la question de conduite. Les journaux socialistes prêchaient l'abstention, le refus de l'impôt, et engagaient le peuple à transfor mer l'amortissement du percepteur en bourre de fusil.

Une proclamation adressée au peuple par M. Pierre Leroux dans son journal la République, lui conseillait cette décision hé roïque de permettre, sans prendre les armes, que l'Assemblée, chargée par la nation de faire les lois, fit la loi électorale. Il espérait que cette décision serait prise malgré l'avis contraire de ceux dont le courage trop ardent appelle les batailles, de ceux qui préféreraient une défaite glorieuse à une sage temporisation. C'était ayouer nettement l'existence de conclaves secrets où l'on délibérait sur la question de savoir quel jour serait celui d'une insur→ rection. Au reste, c'était seulement dans l'intérêt d'une révolte à venir que M. Pierre Leroux conseillait la soumission actuelle. S'ik était d'avis qu'on laissât faire présentement la loi électorale, c'é tait sous la réserve de la violer plus tard. S'il recommandait au peuple la patience, c'était parce que « les institutions et les lois, actuelles doivent amener forcément le triomphe du socialisme en 1852. » L'enfant terrible de la presse socialiste n'avait-il pas dit lui-même : « Le suffrage universel est un poison lent, mais sûr.

A toutes ces violences de langage, les organes de la majorité répondaient : Régler le suffrage universel, ce n'est pas le suppri mer; ce n'est pas porter atteinte à la Constitution; loin de là, c'est entrer dans l'esprit de la loi fondamentale; c'est obéir à un vœu formellement écrit dans l'article 27. La Constitution, en pro clamant le suffrage universel, n'a pas eu l'intention d'inaugurer le chaos. Elle n'a pas voulu livrer les destinées du pays à la merci du

hasard, aux caprices de la multitude aveugle et brutale, à l'ignorance et à la perversité. Non, une pareille supposition serait la plus cruelle injure que l'on pût faire aux auteurs de la Constitution. En décrétant le suffrage universel, ils n'ont pas voulu l'appliquer sans règles et sans limites; ils ont voulu l'approprier aux conditions d'un Gouvernement normal et d'une société régulière. Voilà pourquoi l'article 27 de la loi fondamentale porte que « la » loi électorale déterminera les causes qui peuvent priver un ci>>toyen français du droit d'élire et d'être élu. » La Constitution se borne à poser les principes abstraits qui servent de base à l'ordre politique, et dont elle renvoie l'application et le développement aux lois organiques. Organiser, appliquer, développer un principe abstrait, qu'est-ce autre chose que le soumettre à des restrictions et à des limites? Le suffrage universel est écrit dans la Constitution; mais il y est écrit au même titre, sous les mêmes réserves, et aux mêmes conditions que la liberté de la presse, la liberté de l'enseignement, la liberté de conscience, la liberté de réunion, la liberté d'association, c'est-à-dire à la condition d'être organisé, limité, restreint dans une juste et sage mesure. Aucune liberté n'a été accordée sans limites par la Constitution. La Constitution n'a pas voulu la liberté de la presse illimitée, et la preuve, c'est qu'elle a promis une loi organique de la presse. La Constitution n'a pas voulu la liberté de l'enseignement illimitée, et la preuve, c'est qu'elle a promis une loi organique de l'enseignement qui a été faite. La Constitution n'a pas voulu la liberté de l'association illimitée, et la preuve, c'est qu'elle a promis une loi organique. Pourquoi donc en serait-il autrement du suffrage universel? Pourquoi le plus important de tous les droits consacrés dans la Constitution serait-il sans restriction et sans limites? La preuve que la Constitution n'a pas voulu le suffrage universel sans restriction et sans limites, c'est qu'elle annonce une loi électorale, une loi organique du suffrage universel.

Eh! quoi, s'écriaient les adversaires du projet, cette loi électorale est-elle donc encore à faire? Non, sans doute: mais le parti modéré ne pouvait admettre que cette loi eût rempli le vœu de la Constitution, qu'elle eût fondé, organisé sérieusement le suffrage universel. A ses yeux, cette loi n'était qu'une ébauche, reprodui

sant les règlements improvisés par le Gouvernement provisoire au milieu du désordre et dans la première exaltation de l'esprit révolutionnaire.

Un homme qu'on ne pouvait certes accuser de conspirer contre le suffrage universel, un homme qui revendiquait l'honneur d'avoir fondé la République, M. de Lamartine ne faisait pas seulement le procès à telle on telle disposition de la loi électorale, mais à un de ses principes fondamentaux, le scrutin de liste. Il en exposait les conséquences absurdes, il en esquissait l'origine avec une grande verve de bon sens.

« Celui qui a jeté ce germe de confusion, de déception, d'immoralité et de mort dans ce seul article de la loi électorale et de la Constitution, a détruit, par ce seul mot, toute la vertu de la République, toute la possibilité de vie pour la démocratie. Savez-vous qui a inventé ce piége où l'on prendrait vingt peuples libres? Ce n'est pas la méchanceté, c'est l'esprit de système.

>> C'est une réunion de sept à huit journalistes nomades d'opinion, déracinés de leurs villes, de leurs villages, noyés dans une capitale, leur seul élément. Ces journalistes, la veille des élections, tremblant d'être oubliés par des quartiers de Paris ou par des départements auxquels ils avaient à demander une adoption hasardeuse, se sont dit, sans y réfléchir : Enlevons l'élection au peuple! donnons-la aux clubs! imaginons le scrutin de liste ! la représentation ne sera plus au plus digne, mais au plus remuant! »

Cependant la commission travaillait activement: elle déclarait hautement que si elle voulait réformer la loi électorale, elle entendait respecter dans son intégrité le texte de la Constitution. Aux termes de la Constitution, le suffrage est universel et direct; d'après la loi nouvelle, le suffrage ne cesserait pas d'être universel et direct. Aux termes de la Constitution, le vote doit avoir lieu par département et au scrutin de liste; d'après la loi nouvelle, les électeurs continueraient de voter par département et au scrutin de liste. Corriger la loi électorale par une meilleure interprétation de la loi fondamentale; tirer du texte constitutionnel tout le parti qu'il est possible d'en tirer pour le salut de la société, toutes les garanties, toutes les conditions d'ordre et de bon gouvernement qu'il peut renfermer, tel était le but que se proposaient le ministère et la majorité, tel était le mandat qu'avait reçu la commission chargée de préparer le projet de loi.

Le projet fut prêt le 8 mai, et M. Baroche le déposa sur le bureau de l'Assemblée.

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Exposé des motifs, demande d'urgence, la question préalable écartée, M. Michel" (de Bourges), hypocrisie de la loi, l'alliance du peuple et de la bourgeoisie, de quel côté des barricades sont les factieux, M. Gustave de Beaumont, M. Victor Lefranc, vote de l'urgence; rapport de M. Léon Faucher, aggra-n vation nouvelle, vote de l'urgence sur le rapport; M. le général Cavaignac contre le projet; M. V. Hugo, langage passionné; M. J. de Lasteyrie, leb complot des honnêtes gens; MM. Béchard et Canet; M. de Montalembertyl expédition de Rome à l'intérieur; M. Cavaignac, malentendu, susceptibilité exagérée; M. V. Hugo, personnalités, flatteries à tous les pouvoirs, sanglanteb 'biographie esquissée par M. de Montalembert, exécution parlementaire; dis cussion des articles, M. de Lamartine, incident, une page de l'histoire du 24 Février par M. le général Bedeau; M. Baroche justifie la loi; M. Thiers,d argumentation vigoureuse, le peuple et la vile multitude, protestation inata tendue, M. Napoléon, cinq minutes sur l'Aventin; le mépris de M. Nas daud; M. de Flotte, éloge de l'autorité et du juste milieu en politique, tactique nouvelle, amortiret endormir; M. Grévy; M. L. Faucher et M. J. Favre, la liberté du vote sous le provisoire; amend ments repoussés, MM. P. Leroux, Saint-Romme, Dupont (de Bussac), Corne, Cavaignac, de Lasteyrie, Monet, de Lamoricière, combattus par MM. Léon Faucher, de Vatimesnil Berryer; incidents, sincérité politique, Louvel et Alibaud; amendement légitimiste, MM. de Tingny et de Larochejaquelein, rejet ; amendement orléaniste, 1 M. Vezin, insinuations, accusations voilées; rejet des amendements de MM. J. Favre, Beaumont (de la Somme), Charamaule, Rigal; vote d'un amendement de M. Benoît-Champy; M. Loyer et M. Versigny, les faillis M. Victor Hennequin, réhabilitation des exclus; exclusions nouvelles, MM. Léo de Laborde, Grimaut, Nettement; vote de la loi.— La loi ŝort du scrutin plutôt fortifiée qu'affaiblie, union éclatante du parti modéré, sera-tselle durable? heureuse influence du vote sur les transactions commerciales eti - industrielles; quel sera l'effet pratique de la loi, impossibilité d'en préjuger la portée. Pétitions contre la loi, rapport de M. Faucher, renvoi au ministre de la Justice pour contravention. Résultats bizarres de la loi,p faut-il l'abroger lorsqu'à peine elle est votée; propositions de MM. Bourzat, de Larochejaquelein, Arnaud (de l'Ariége), etc.; la magistrature consul-3 -téa, la Cour de cassation commente et corrige la loi.- Annexes à la loip proposition de M. Dabeaux sur les élections municipales et départementales proposition de M. P. Duprat relative à l'élection de la municipalité du département de la Seine, commune de Paris, vejet.

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L'exposé des motifs du projet de la nouvelle loi électorale prod

testait dans les termes les plus fórmels du respect du Gouvernement pour la lettre et pour l'esprit de la Constitution; il repoussait toute intention de l'enfreindre ou de l'éluder.

Le projet de loi se composait en tout de onze articles, et comprenait quatre dispositions principales.

Aujourd'hui la seule condition exigée pour exercer les droits politiques dans une commune était d'y résider depuis six mois. 1 Le projet de loi rentrait dans les termes de la Constitution en exigeant, non plus une simple résidence, une habitation de fait? pendant six mois, mais un domicile de trois ans, dans le sens I légal du mot, c'est-à-dire à la condition d'avoir son principal établissement dans la commune. Le domicile serait constaté soit par* l'inscription au rôle de la taxe personnelle, soit par la déclaration des père ou mère en ce qui concerne leurs enfants, et des maîtres ou patrons en ce qui concerne les ouvriers, soit encore par l'exer-1 cice des fonctions publiques dans un lieu déterminé, soit enfin par la présence sous les drapeaux dans les armées de terre et de>

mer.

La loi nouvelle étendait le cercle des incapacités légales, et y comprenait les condamnés pour vol, escroquerie, abus de con-í fiance, soustraction commise par des dépositaires de deniers pul blics, ou attentat aux mœurs prévu par l'article 334 du Code pé-{ nal, quelle qu'eût été la durée de l'emprisonnement auquel ils auraient été condamnés. Etaient également déclarés incapables'> les officiers ministériels destitués en vertu de jugements, les con damnés pour rébellion, outrages envers les dépositaires de l'au torité de la force publique, pour délits prévus par la loi sur les attroupements ou la loi sur les clubs, pendant cinq ans, à partir du jour de leur condamnation.

Les votes des électeurs militaires seraient recueillis et envoyés au chef-lieu du département, et confondus dans les diverses sec tions électorales du chef-lieu avec les bulletins des autres électears.

Pour être élu représentant, au premier tour de scrutin, un candidat devrait réunir un nombre de voix égal au quart desi électeurs inscrits et la moitié plus un des suffrages exprimés; au second tour de scrutin, il devrait réunir un nombre de voix égal

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