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condaires données par M. le ministre de la Guerre en ces termes : « Ce sera un moyen puissant (l'augmentation de la solde) de déterminer les sous-officiers à rester sous les drapeaux, où il est si essentiel de les conserver longtemps, » elle pensa qu'il fallait allouer une prime au réengagement. Le principe était admis, mais la mesure était rejetée comme inopportune. C'est sous une forme nouvelle que nous retrouverons plus tard la proposition primitive.

Les défiances exprimées avec mesure par une commission prise dans le sein de la majorité, se traduisirent naturellement avec moins de réserve dans les manifestations des partis extrêmes. Ainsi, la situation sembla si dangereuse à un membre de l'extrême gauche, M. Pradié, qu'il déposa une proposition tendant à organiser la résistance légale. La proposition de M. Pradié n'était pas nouvelle; avant le 13 juin 1849, la résistance légale était à l'ordre du jour, on se le rappelle, dans toutes les feuilles de la presse socialiste. Refus d'impôt, procès devant toutes les juridictions, refus de service militaire, formation instantanée de centres de rébellion dans les départements, voilà les moyens qu'on mettait en avant. Les théories de résistance légale précèdent toujours les insurrections.

D'après la théorie de l'honorable membre, il eut suffi d'une décision de casuistes de tel ou tel parti pour allumer sur vingt points du territoire le feu de la guerre civile. Le moindre prétexte, interprété par la passion politique serait devenu le signal de la révolte, et des juntes insurrectionnelles auraient étendu en quelques jours, leur réseau sur le pays. C'était le beau idéal du fédéralisme révolutionnaire. On n'eut pas de peine à répondre victorieusement et à repousser de tels expédients. Vous croyez, diton, organiser la résistance, vous n'organisez que l'anarchie. Une insurrection éclate; vous lui opposez quarante mille insurrections. Vous voulez parer un coup d'Etat et vous créez mille pouvoirs ir réguliers à coups d'Etat. Ou votre Constitution est une force et un droit, ou elle n'est qu'une feuille de papier. Si elle est une force réelle, elle doit contenir tout ce qu'il faut de répression pour le cas indiqué. Il est inutile d'ajouter que la proposition fut rejetée.

Les tendances nouvelles de la majorité vers la défiance contre le pouvoir éclatèrent plus hautement encore dans plusieurs votes

émis sur des questions importantes dans les premiers jours de l'année.

Ce fut d'abord un premier vote sur la question des instituteurs primaires.

Nous avons déjà signalé l'attitude dangereuse prise par un grand nombre d'instituteurs communaux, devenus les propagateurs de doctrines anti-sociales (Voyez l'Annuaire pour 1849, page 211). Ce mal exigeait un prompt et énergique remède. On se rappelle que le précédent ministre de l'Instruction publique, M. de Falloux, avait rédigé un projet de loi organique sur l'enseignement, dont il saisit l'Assemblée, sans le soumettre préalablement au conseil d'État. Une commission fut nommée pour l'examiner et son travail était déjà assez avancé lorsque M. Lherbette signala la voie prise par le ministre comme une irrégularité. L'Assemblée chargea la commission de lui présenter un rapport sur cette question incidente. Ce rapport se trouva prêt en même temps que le rapport sur le fond. La commission demandait qu'on passât outre à la discussion du projet organique. Ces conclusions furent repoussées, et l'Assemblée renvoya le travail ministériel au conseil d'État. Dans cet intervalle, M. de Falloux fut remplacé par M. de Parieu. Le nouveau ministre, effrayé, à juste titre, des progrès du mal signalé dans l'enseignement des instituteurs communaux, crut qu'il était urgent, avant tout, de modifier la loi de 1833, en ce qui concernait la situation de ces instituteurs, et il présenta un projet spécial conçu dans ce sens. Le rapport fut déposé dans les derniers jours de 1849; mais, à la même époque, le projet de loi organique, modifié par le conseil d'État, revenait devant l'Assemblée. On se trouvait donc en présence de deux lois, l'une générale et qui embrassait tout l'enseignement, l'autre particulière et qui n'était, pour ainsi dire, qu'une page détachée de la première.

Le 13 décembre 1849, M. de Parieu fit connaître à l'Assemblée les motifs du petit projet. Ce projet plaçait provisoirement, jusqu'à la promulgation de la loi organique sur l'enseignement, l'instruction primaire, dans chaque département, sous la surveillance du préfet qui nommerait, réprimanderait, suspendrait et déplacerait les instituteurs. Cette loi était réclamée par les cir

constances nouvelles qui s'étaient produites par toute la France.

La loi de 1833, faite pour des temps calmes et en vue de donner un premier élan à l'instruction élémentaire alors très-arriérée en France, avait entouré les instituteurs primaires d'immunités exceptionnelles et devenues véritablement exorbitantes. Ils n'étaient justiciables que d'un comité d'arrondissement, être collectif, complexe, dans le sein duquel la responsabilité se divise et qui n'a pas cette force et cette rapidité d'action devenues une nécessité de salut social. Les instituteurs étaient protégés dans leur emploi presque autant que les juges, beaucoup plus que les fonctionnaires de l'enseignement pourvus de grades plus élevés. Couverts par les formalités qui rendaient leur suspension ou leur révocation très-difficile, beaucoup d'entre eux s'étaient déclarés les ennemis du gouvernement qui les employait : ils s'étaient faits les agents du socialisme dans les campagnes; ils s'étaient attachés à corrompre l'esprit des populations ignorantes qu'ils avaient mission d'instruire.

Les plaintes les plus vives et les plus légitimes arrivaient de toutes parts contre les instituteurs primaires : les inspecteurs chargés de les surveiller, les recteurs, les magistrats de l'ordre judiciaire, les préfets, les conseils généraux, la société tout entière se levait pour les dénoncer. « L'exaltation politique, disait un des rapports adressés au gouvernement par les autorités locales, ne le cède qu'au cynisme des mœurs. A vingt ans, des jeunes gens déjà corrompus jettent le trouble dans les familles et se font les ennemis de l'ordre social dans notre pays.» « Nous sommes les véritables commissaires de Satan, » disait un de ces malheureux dans une correspondance empreinte de la plus révoltante impudeur.

Ces accusations si graves étaient encore justifiées par les aveux des socialistes eux-mêmes. Propagateurs des réformes sociales, missionnaires chargés de républicaniser les campagnes, tel était le rôle que les défenseurs des instituteurs primaires s'accordaient à leur assigner.

Sans doute, il fallait le reconnaître, les instituteurs avaient été longtemps dignes de la haute mission qui leur avait été confiée, et si, aujourd'hui, une partie d'entre eux était devenue un

sujet d'alarme pour la société, c'était par l'effet d'un entraînement facile à comprendre. Ils avaient été les victimes d'une déplorable combinaison politique: on avait surexcité leur orgueil et leur ambition; on leur avait décerné le titre d'apôtres de la civilisation moderne. Et cependant ces décevantes promesses ne s'étaient pas réalisées et les désappointements avaient été d'autant plus amers que la position réelle de l'instituteur est plus médiocre et plus obscure.

Qu'on juge maintenant des dangers créés par cette situation spéciale d'un corps aussi redoutable qu'il peut être utile. Les instituteurs primaires, par leur dissémination sur tous les points du territoire, par leurs rapports de tous les jours avec une grande partie de la population, par le crédit qui s'attache à leur position, offraient une organisation toute prête et un admirable moyen de propagande.

M. de Parieu demandait pour ce projet une déclaration d'urgence et le renvoi à l'ancienne commission chargée d'examiner la loi de l'enseignement. Le renvoi fut voté à une grande majorité (13 décembre 1849).

La commission se déclara pour l'urgence (2 janvier). Mais ici se manifesta au grand jour la scission secrète qui s'était produite au sein de la majorité. Réunis à l'extrême gauche et à la gauche naturellement opposée au projet, un assez grand nombre de membres de l'extrême droite repoussaient le petit projet. Les raisons apparentes avaient-elles assez de valeur pour motiver une séparation regrettable? On disait que la loi d'enseignement rendait inutile la loi sur les instituteurs primaires. Mais cette loi immense, cette loi de 104 articles dans le projet de la commission, cette loi de 140 articles dans le projet du conseil d'État, cette loi sur laquelle on imprimait déjà tout un volume d'amendements; cette loi n'avait pas même encore été l'objet d'un rapport définitif. Son texte n'était pas même tout à fait arrêté. En supposant qu'aucune discussion urgente, la loi du budget par exemple, ne vînt se mettre à la traverse, il faudrait au moins deux mois avant que les trois lectures pussent être consommées. Pourquoi donc se refuser à pourvoir aux nécessités du moment?

Un membre de la droite, M. Vesin, se fit l'organe des dissi

dents. Aux raisons que nous venons d'exposer, l'honorable membre ajouta celle-ci : S'il y avait un avantage à s'occuper des instituteurs par un projet spécial, ce ne pouvait être qu'un avantage secret, dont une certaine fraction de la majorité voudrait profiter. La loi sur l'enseignement avait été rédigée dans une pensée de transaction on avait voulu concilier sur ce terrain les différentes opinions des membres de la majorité. Qu'arriverait-il si l'on votait le petit projet ? Que les représentants dont il satisfaisait les idées, chercheraient à lui donner un caractère définitif, en ajournant sans cesse la loi organique.

M. Vesin, pour appuyer son opposition, avait calculé, mais d'une façon évidemment trop étroite, le temps nécessaire à la discussion de la grande loi. M. de Parieu n'eut pas de peine à démontrer que le débat sur la loi organique serait naturellement très-long, compliqué de luttes véhémentes, entravé par une foule d'incidents parlementaires.

Rien de plus vrai, sans doute, que cette appréciation des difficultés qui pouvaient arrêter une aussi importante délibération, comme il était encore vrai de dire que, lorsque la nouvelle loi sur l'enseignement serait votée, elle ne serait pas pour cela près d'être mise en vigueur, attendu la nécessité d'organiser un nouveau personnel, de donner aux conseils généraux et autres corps appelés à concourir à la formation des conseils et comités de surveillance, le temps de nommer leurs délégués, de pourvoir enfin à tous les détails de l'application. C'étaient là d'incontestables vérités pratiques; mais la défiance d'une partie de la Chambre était éveillée et, en pesant sur ces arguments, M. le ministre ne réussit qu'à accroître, parmi ceux qui regardaient comme indispensable de réaliser au plus tôt la liberté de l'enseignement, les susceptibilités et les inquiétudes. En vain, M. Molé intervintil dans une pensée honorable de conciliation et proposa-t-il une transaction qui garantissait le vote dans les délais possibles de la loi organique; le jour de la première lecture aurait été fixé au 14 janvier, et, pour bien marquer le caractère transitoire de la petite loi, on aurait déterminé, dans l'article premier, le délai après lequel elle cesserait d'être applicable en vain, M. de Parieu, au nom du Gouvernement, et M. Beugnot, au nom de la

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