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clarant que nul ne serait sociétaire s'il n'avait travaillé pour la société pendant un temps d'essai, qui, habituellement, ne serait pas moindre de trois mois, et qui pourrait s'étendre jusqu'à six.

Quelles que fussent d'ailleurs les parts d'intérêts accordées aux travailleurs temporaires qui se trouvaient ramenés au giron de la société par la prospérité commerciale, ce principe restrictif n'en conservait pas moins un caractère d'exclusion, car, qui sauvegarderait les intérêts des associés à l'essai, aspirant à devenir associés définitifs, lorsqu'une réaction fatale, un subit revirement dans la situation générale des affaires pouvait anéantir, d'un moment à l'autre, leurs espérances les plus légitimes?

Telles étaient les variations diverses que l'utopie socialiste avait dù ubir dès qu'elle avait été mise en demeure de se plier aux lois inflexibles de la pratique.

Quant à la discipline des associations ouvrières, la commission, qui les avait inspectées, avait remarqué dans l'une un travail habile et assidu, mais aussi des germes de discorde et de division, enfantés par la rivalité et l'insubordination; et, dans l'autre, une dictature qui eût été intolérable partout ailleurs, aux yeux de ceux qui la subissaient. Au reste, ajoutait M. Lefebvre-Duruflé, nous n'avons trouvé, dans près d'un tiers des associations, que de petites maisons de commecre formées de trois à quatre associés en minimum, et de sept à huit en maximum. Cinq à six associations dépassaient, seules, une moyenne de huit à dix associés. C'étaient là des points presque imperceptibles au milieu de la nombreuse et vaste industrie parisienne. Considérant enfin la situation des 362 ouvriers salariés employés par les 27 associations qui fonctionnaient encore, la commission avait été frappée de l'étrange anomalie que ces sociétés présentaient, sous ce rapport, avec leurs principes. Établies pour faire passer l'ouvrier de l'état de salarié à celui d'associé volontaire, pour affranchir l'ouvrier de l'exploitation de l'homme par l'homme, n'était-il pas étrange que leurs premiers pas vers un pareil but aboutissent exclusivement à créer des salariés pour leur usage particulier, et à substituer à l'exploi tation de l'homme par l'homme, l'exploitation de l'ouvrier par de petites associations oligarchiques subventionnées ?

Enfin, il ressortait du rapport que les quelques trente associations subsistantes, quoique formées dans la prévision d'une trèslongue durée, avaient vu, dans l'espace de moins d'un an, se renouveler une assez notable partie de leur personnel : sur 434 associés, il y avait eu 74 démissions, 11 exclusions, 52 nouvelles admissions, 11 changements de gérants, dont deux révocations pour cause de malversations.

La question revint devant l'Assemblée par une proposition de MM. Nadaud, Morellet et consorts, tendant à favoriser les adjudications de travaux publics à des associations d'ouvriers sans cautionnement et sans intermédiaires. La commission nommée proposa d'accorder cette nouvelle faveur aux associations de travailleurs et même de consacrer législativement le principe de la dispense du cautionnement déjà iutroduit, à leur profit, dans le règlement du 18 août 1848. Ce n'était pas qu'elle crût ces associations susceptibles de prendre une grande extension et de contribuer sérieusement à l'amélioration du sort des populations ouvrières. Le rapporteur, M. Léon Faucher, ne voyait là qu'une expérience à continuer. Tout en repoussant la proposition de MM. Nadaud et consorts, la commission l'avait remplacée par une autre qui faisait disparaître le privilége établi en faveur des associations, mais qui tendait à modifier les conditions actuelles des adjudications. M. le ministre des Travaux publics combattit également les deux projets. Toutefois, comme le projet de la commission pouvait mériter un examen plus sérieux, l'Assemblée décida par 303 voix contre 296, qu'elle passerait à une seconde délibération (16 février). Là n'était pas l'intérêt mais le savant rapporteur avait, lui aussi, indiqué sommairement les résultats obtenus par les associations formées en vue des avantages promis par le décret du 15 juillet 1848. Parmi ces résultats, ceux qu'il avait étudiés constituaient la part d'intervention des associations ouvrières dans les travaux de l'Etat. Le décret n'avait reçu jusqu'à présent qu'un très-petit nombre d'applications. Une seule association avait réussi, celle des ouvriers paveurs, au nombre de 40, qui avaient soumissionné à Paris d'importants travaux de pavage. M. Léon Faucher constatait que la concurrence de ces nouveaux entrepreneurs avait soustrait de fait l'administration munici

pale à la domination des anciens, et que l'économie pour la ville avait été, en 1849, d'environ 125,000 francs, tandis que les associés obtenaient eux-mêmes un bénéfice assez notable. Mais le rapporteur faisait en même temps observer que le succès de cette association tenait à des causes exceptionnelles, telles que la limitation de l'entreprise a des travaux de main-d'œuvre pour lesquels il n'était pas besoin de matériel, le choix des associés, tous ouvriers d'élite, et l'emploi d'autres travailleurs à salaire fixe, sans participation aux dividendes. Que conclure de la réussite de cette association et de la chute des autres? Que le principe d'association entre ouvriers, tant prôné par les utopistes, n'a qu'une valeur d'application relative extrêmement restreinte, et que le vieux système, dont on a si souvent prédit la ruine prochaine, est, comme le dit M. Léon Faucher, encore loin d'avoir fait son temps.

En général, les prix concédés aux ouvriers avaient été inférieurs aux prix des adjudications; mais il fallait observer que les ingénieurs avaient pris le soin de faire diriger par leurs conducteurs l'exécution des travaux et même la comptabilité et que les frais de ces diverses opérations étaient ainsi restés à la charge de l'administration.

Les observations suivantes découlaient des rapports présentés par les ingénieurs.

1o L'égalité de salaire, condition nécessaire d'une association entre ouvriers, avait presque toujours été une cause de discorde et de désunion parmi les associés ;

2o La discipline des ateliers était presque impossible;

3o Les associations qui avaient le plus approché du succès étaient celles où le nombre des ouvriers ne dépassait pas douze ou quinze;

4o Les travaux exécutés par ce mode d'association laissaient souvent à désirer sous le rapport de la perfection; et il était difficlle d'exercer un recours utile contre les ouvriers, ceux-ci se dispersant aussitôt les ouvrages terminés.

Logements insalubres. Une proposition de M. de Melun (du Nord) appela l'attention de l'Assemblée sur une question intéressante, celle de l'assainissement des logements insalubres occupés par les populations laborieuses. Cette question ne touche

pas seulement à l'hygiène publique. La salubrité et la commodité des habitations exercent encore une influence considérable sur la moralité et le bien-être des ouvriers, et détruire, dans les grands centres manufacturiers, quelques-uns des quartiers-généraux de l'ivrognerie et de la débauche, c'est souvent, sinon supprimer, du moins atténuer et réduire les chances de désordre. La commission d'assistance et de prévoyance fit, par l'organe de M. Henri de Riancey, un rapport favorable sur la proposition, dans les derniers jours de 1849. La commission s'associait pleinement à la tentative d'amélioration morale indiquée par M. de Melun. Elle divisait les ouvriers, sous le rapport de l'habitation, en trois catégories. La première est celle des ouvriers qui habitent hors des centres manufacturiers ou aux environs; la condition de ces ouvriers est généralement bonne; ils jouissent de logements aérés, salubres et suffisamment spacieux. La seconde catégorie est celle des ouvriers établis dans les centres de population et d'industrie; et, dans la troisième, se trouvent les travailleurs nomades qui s'entassent dans des maisons garnies, qu'ils paient souvent à la nuit, etoù ils ne possèdent même pas la paille sur laquelle ils couchent. Ce sont surtout les logements des deux dernières catégories qui appellent de notables améliorations.

Il est généralement reconnu, disait le rapport, que le règlement de police sanitaire et le pouvoir municipal, quelle que soit son étendue dans l'intérêt de la salubrité publique, sont insuffisants pour remédier à l'état déplorable où sont certains quartiers de nos villes populaires. L'amélioration des logements d'ouvriers dépend de plusieurs genres de mesures qui correspondent aux principales causes de leur insalubrité. Parmi ces causes les unes sont extérieures et indépendantes de l'habitation elle-même; les autres sont intérieures, dépendent de la disposition des lieux et proviennent du fait du propriétaire lui-même et des locataires; d'autres enfin résultent d'un encombrement nécessaire et forcé dans un espace restreint et de l'absence de tous autres logements à la portée des faibles ressources de l'ouvrier ou du

pauvre.

Les causes extérieures d'insalubrité ne peuvent être combattues

que par les pouvoirs municipaux : ils ont déjà pris, à cet égard, des mesures utiles, mais pour venir en aide à une législation qui lui avait paru, en quelques points, insuffisante, la commission proposait d'appliquer aux acquisitions à faire par les communes, pour cause d'assainissement, les formes de la loi d'expropriation. Quant aux causes d'insalubrité qui tiennent à la nature de l'habitation et à ses conditions intérieures, on proposait de remettre à une commission d'enquête nommée dans chaque ville par le conseil municipal, le soin de les constater et de présenter les moyens d'y remédier en donnant au conseil municipal le droit de prononcer, dût-il recourir à l'interdiction du logement.

Le projet soumis à l'Assemblée armerait l'autorité municipale de nouveaux pouvoirs, au moyen desquels, sans violer le domicile des citoyens, sans porter aux intérêts privés d'autres atteintes que celles qu'exige la sauve-garde des intérêts généraux, on parviendrait à continuer plus efficacement l'assainissement des quartiers populeux. La sous-commission de l'assistance publique accordait, à cet effet, aux municipalités qui en feraient la demande, le droit d'instituer une commission de salubrité. Cette commission serait chargée d'examiner les maisons dont l'insalubrité serait dénoncée, soit par la voix publique, soit par l'organe du commissaire de police, soit de toute autre manière; d'ordonner, à la suite de cet examen, les réparations nécessaires, avec peine d'amende, contre les propriétaires récalcitrants; d'interdire de louer pour l'habitation des hommes des demeures malsaines comme les caves de Lille, et, enfin, de proposer l'expropriation pour cause d'insalubrité.

On le voit, la proposition présentait une difficulté grave, celle de concilier les mesures nécessaires à l'assainissement avec les droits de la propriété et du libre arbitre.

L'article 2 déterminait la composition de la commission municipale. Elle serait formée de neuf membres au plus et de cinq au moins. En feraient nécessairement partie un médecin et un architecte, ou tout autre homme de l'art, ainsi qu'un membre du bureau de bienfaisance et du conseil des prud'hommes, si ces institutions existaient dans la commune. Cet article fut adopté sans modification, malgré les efforts de M. Roussel, qui proposait

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