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de la Chambre des députés avaient signalé, lors de l'expédition de Saint-Jean d'Ulloa, comme pouvant être attaqué par un bateau à vapeur. Les Mexicains avertis prirent leurs mesures en conséquence, et lorsque l'escadre eut mouillé devant la forteresse, les Français trouvèrent un bâtiment coulé sur le point si naïvement signalé.

L'abandon pur et simple trouva de nouveau deux éloquents interprètes dans MM. de Laussat et Raudot. Selon M. de Laussat, Rosas, dont on fait tour à tour un géant et un pygmée, représente la nationalité américaine, comme Abd-el-Kader représentait la nationalité arabe. L'attaquer, ce serait se jeter dans une guerre interminable, et qui exigerait d'énormes sacrifices. Il aurait pour lui toute la race espagnole, et à l'exemple de l'exémir, il nous tiendrait en échec, nous harcelant, nous fatiguant, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, tombant sur nos troupes à l'improviste, disparaissant avec la même rapidité, et renouvelant pour nous toutes les phases de la guerre d'Afrique. Ce n'est pas tout. Les puissances étrangères voudraient sans doute intervenir à leur tour, et une conflagration générale pourrait sortir d'une expédition téméraire tentée à trois mille lieues de la France. Pour éviter ce danger, il fallait ratifier le traité conclu avec Rosas. La seule chose dont nos nationaux aient besoin, ajoutait l'orateur, et qu'ils demandent instamment parce que la prospérité de leur commerce en dépend, c'est la paix. Maintenons la paix comme l'a fait l'Angleterre.

Tel était aussi l'avis de M. Raudot, qui soutint que notre intervention porterait atteinte à l'art. 5 de la Constitution, outre qu'elle aurait pour résultat de ruiner notre avenir commercial dans l'Amérique du Sud. D'après l'honorable membre, la meilleure manière de nouer de bonnes relations et d'ouvrir à notre commerce un abondant débouché, c'est de respecter les mœurs et les habitudes de ces pays au lieu de chercher à leur imposer nos idées. Vous avez blessé le sentiment de nationalité de la race espagnole; vous ayez traité Rosas et le peuple argentin de sauvages, de barbares; et cela pendant que vous négociez ! M. Raudot s'étonnait avec raison de cette légèreté de conduite. Mais on pouvait encore tout réparer, en se montrant plus réservé que par le

passé, et en observant une neutralité que la justice nous commandait autant que nos intérêts.

Parmi les partisans les plus décidés de la guerre immédiate, on remarqua M. Dupetit-Thouars. On s'étonna d'entendre l'honorable amiral assurer, en donnant pour garantie son expérience des hommes et des localités, qu'il serait facile determiner en six mois de guerre une affaire où la France est engagée depuis dix ans, et que M. l'amiral Lainé avait laissée, après deux ans de guerre sérieuse, aussi peu avancée que le premierjour. Quant aux motifs mêmes qui avaient fait choisir à M. Dupetit-Thouars le parti de la guerre, il fut impossible d'en découvrir un autre que son inclination personnelle. Car, quant à ce motifallégué par l'honorable amiral, que la France s'était engagée à maintenir l'indépendance de la République de l'Uruguay, il savait bien qu'on lui répondrait : Le traité Le Prédour stipule exactement et en termes précis cette condition indispensable, et il doit sembler difficile de comprendre comment ce respect pour l'indépendance de la Banda orientale peut nous forcer à combattre un gouvernement que tout le pays, sauf une seule ville, et que l'immense majorité de nos compatriotes établis sur les bords de la Plata reconnaissent et acceptent pour le gouvernement légal. On répondrait surtout que la ville même de Montévideo, qui seule résistait à Oribe, ne se défendait encore que grâce à l'argent de l'étranger, que sous le coup de la terreur où elle était tenue par la légion étrangère. Ces raisons ne furent pas même discutées par l'honorable amiral (4 janvier).

En somme, le Gouvernement repoussait les conclusions nouvelles de la Commission. C'est ce que M. Rouher vint déclarer nettement, sur une interpellation de M. Emmanuel Arago. Il leur reprochait d'être à la fois équivoques, prématurées et dangereuses, et pour le prouver, il opposait M. Dupetit-Thouars et M. de Rancé à M. Daru, et M. Daru à lui-même. Il montrait à la commission que tout en se défendant de vouloir engager la France, elle la poussait inévitablement vers une lutte; qu'en annonçant l'intention de négocier, elle rendait les négociations. impossibles; qu'enfin elle abandonnait aux fantaisies ou aux faiblesses belliqueuses d'un négociateur armé, ce droit de la paix et de la guerre, qui est l'attribut de la souveraineté. N'était-il

pas plus sage de tenter encore un nouvel effort, de tâcher d'obtenir des modifications au traité Le Prédour?

M. Thiers parut à la tribune. L'illustre orateur ne pouvait se dispenser d'intervenir. Sous la monarchie de juillet, il avait contribué plus que tout autre à engager la main de la France dans les affaires de la Plata. On se souvient du remarquable discours prononcé, par lui, en faveur de la cause montévidéenne (voyez l'Annuaire pour 1847); ce discours, M. Thiers le refit avec un talent aussi lucide, mais sans tenir aucun compte des changements intervenus dans la situation de la France. Aussi, bien que M. Guizot ne fût plus là pour réduire à leur valeur positive les brillants arguments de l'orateur, M. Rouher put-il combattre avec succès les entraînements belliqueux de son éloquent adversaire. Traité un peu légèrement par M. Thiers, M. le garde des sceaux l'attaqua à son tour, qualifiant sévèrement ses demandes d'enquête, cette dernière ressource des oppositions extrêmes, ses affirmations sans preuves, et aussi ses contradictions. Car, aux paroles de l'orateur de l'opposition, M. Rouher donnait pour contrôle les dépêches de l'ancien ministère qui ne témoignait pas autrefois pour les Montévidéens l'intérêt qu'il leur portait aujourd'hui. On pouvait déjà comprendre que la majorité, revenue de ses premiers sentiments, allait accueillir ces sages conseils, qui la dissuadaient de se lancer dans une folle entreprise, au moment où la France avait besoin de toutes ses forces pour préserver son ordre social. On comprenait encore, il faut bien le dire, que si, dès le premier moment, le ministère avait montré plus de résolution, déployé plus d'initiative, il aurait obtenu sans peine la ratification pure et simple du traité.

La discussion générale était close (5 janvier). Alors se produisirent de nombreux amendements, qui pour la plupart proposaient de laisser désormais au Gouvernement la suite de l'affaire, c'est-à-dire d'envoyer sur les bords de la Plata un nouveau négociateur chargé d'obtenir de Rosas, non pas de meilleures conditions, mais une rédaction plus compatible avec l'amour-propre national. La question fut donc posée entre les conclusions dans lesquelles persistait la commission et un ordre du jour proposé

par M. de Rancé, revenu, lui aussi, de ses velléités belliqueuses. L'Assemblée, à la majorité de 338 voix contre 300, sur 638 votants, adopta cet ordre du jour motivé en ces termes :

« Considérant que le traité Le Prédour n'a pas été soumis à la ratification de l'Assemblée nationale;

» Considérant que le Gouvernement déclare qu'il entend continuer les négociations, dans le but de garantir l'honneur et les intérêts de la République, et que nos nationaux seront sérieusement protégés contre toutes les éventualités sur les rives de la Plata, etc. >>

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Ainsi c'est l'avis du Gouvernement qui l'emportait; c'est le système de la négociation pacifique qui prévalait sur le système de la négociation armée (7 janvier).

Ce vote décidait provisoirement la question, c'est-à-dire que le Gouvernement français, ne ratifiant pas le traité proposé par l'amiral Le Prédour, mais ne regardant pas les négociations comme rompues, allait envoyer dans la Plata un nouveau plénipotentiaire avec quelques bâtiments, sans doute pour protéger contre toute éventualité les propriétés et les biens de nos compatriotes, qui n'avaient d'ailleurs, sans doute, aucun besoin d'être protégés. Mais après tous les discours tenus et les engagements pris, cet envoi devenait nécessaire, non pas à cause des intérêts engagés à la Plata, mais à cause de la situation qu'on avait laissé, par l'exagération des uns et par la faiblesse des autres, créer en France. C'était beaucoup d'argent qu'il en coûterait encore. Les nouvelles négociations produiraient sans doute un résultat analogue. Quelle qu'en fût l'issue, il n'en sortirait pas un traité plus avantageux, plus raisonnable que le traité négocié par l'amiral Le Prédour, parce qu'il contenait en réalité tout ce que la France pouvait honorablement demander et exiger. Tout ce que l'on aurait gagné, ce serait de prolonger une situation peu digne de la France, et de grever le budget d'un nouveau supplément de solde fourni aux prétoriens de Montévideo.

CHAPITRE III.

ENSEIGNEMENT ET SOCIALISME.

LA MAJORITÉ SE RECONSTITUE.

QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT. LOIS

SPÉCIALES ET ORGANIQUE.

Discussion générale, ca

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Projet provisoire sur les instituteurs communaux. ractère transitoire de la loi, danger social, inamovibilité des instituteurs, priviléges inscrits dans la loi de 1833; - rapport de M. Beugnot, rapports administratifs, les instituteurs courtiers d'élections rouges; MM. Lavergne, Baudin et Pascal Duprat; vote sur la discussion des articles; la surveillance, MM. Denayrousse, Nettement, Beaumont (de la Somme), Chapot, les instituteurs libres; amendement Salmon, échec du Gouvernement et de la commission; amendement Mortimer-Ternaux, correctif à l'amendement Salmon, M. Mathieu (de la Drôme), caution contre le socialisme; M. Baudin, le droit de propriété de l'instituteur; plaintes de M. Ennery, réponse de M. de Parieu, qui a rendu la rigueur nécessaire? - M. Canet, encore la propriété intellectuelle; M. Léo de Laborde, défiances nouvelles au sujet de la loi organique; M. Joly, dilemme inapplicable aux lois d'exceptions; vote du projet, forte majurité.

Projet de loi organique de l'enseignement. — Historique du projet, prescriptions de la Constitution, la liberté de l'enseignement, transactions; — rapport de M. Beugnot, le projet du conseil d'Etat, dissidences; - première délibération, M. Barthélemy Saint-Hilaire, critique au point de vue universitaire ; Mgr de Parisis, la fusion au point de vue ecclésiastique, au point de vue politique, l'Université incrédule et révolutionnaire, l'Église repousse la loi comme faveur et ne l'accepte que par dévoûment; M. V. Hugo, accusations surannées, obscurantisme et jésuites, attaques contre la majorité, suspicion légitime, allusions transparentes, que propose l'orateur, ateliers natio naux de l'instruction; M. Poujoulat, rectifications historiques, histoire vraie de l'Église ; M. Pascal Duprat, alliances impossibles, liberté illimitée; M. Béchard, éloge absolu du projet; M. Lavergne et la liberté universitaire, M. Soubiès et les jésuites, M. Fresneau; M. de Montalembert, pervertissement de l'enseignement, professeurs athées, la Liberté de penser, le socialisme et la société, scélérats grandioses et affreux petits rhéteurs, motifs de lą transaction, le radeau de la république ; M. Crémieux, justification de 93; M. Thiers, réponse à tous les nécoutents, les nécessités de la liberté, accord de la religion et de la philosophie; M. de Parieu, la pensée du Gouvernement; seconde délibération, les discours attardés ; M. Coquerel et le protestantisme; M. Arnault (de l'Ariége) et le mysticisme démocratique; M. Lau

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