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ment moyen (14 février). Le projet établissait des écoles moyennes supérieures, au nombre de dix, sous le nom d'Athénées royaux; il y en aurait deux dans le Hainaut et une dans chacune des autres provinces de plus, le Gouvernement serait autorisé à fonder cinquanto écoles moyennes inférieures, dans lesquelles seraient comprises les écoles primaires supérieures ainsi que les écoles connues actuellement sous la dénomination d'Ecoles industrielles, et commerciales. Le projet n'oubliait pas la pépinière ordinaire des professeurs de l'Etat, l'Ecole normale, avec vingt bourses spéciales, destinée à l'enseignement pédagogique. La haine de l'influence religieuse perçait dans chacune des dispositions de ce projet. On n'osait pas tout demander d'abord : c'était un premier pas et il fallait pouvoir le faire sans soulever l'opinion publique. Ainsi, le projet (art. 8) contenait cette disposition dérisoire : « Les ministres des cultes seront invités à donner ou à surveiller l'enseignement religieux. »

:

En vain le clergé réclama contre cette trahison des véritables intérêts du pays, en vain un pétitionnement nombreux des populations catholiques protesta contre cette expérience faite pour démoraliser le pays, en vain les évêques réunis à Bruges adressèrent au Sénat une déclaration collective contre la loi, la Chambre des représentants vota le projet à la majorité de 72 voix contre 25 (4 mai), et le Sénat l'adopta définitivement par 32 voix contre 19 (30 mai). La loi nouvelle fut promulguée le 1er juin. La lutte n'était pas terminée le 11 juin elle recommença plus vive. Les comices électoraux procédaient au renouvellement de la moitié de la Chambre. Tous les moyens furent mis en jeu par le libéralisme au pouvoir pour empêcher l'élection des représentants du parti catholique. Le ministère eut la majorité par les villes. En somme, il reçut un échec moral. Le parti catholique revint plus fort de cinq voix. Alors on employa l'arme or dinaire des révolutions, la calomnie. C'est ainsi qu'on réussit à faire annuler l'élection de M. Desmaizières, représentant du parti catholique à Dixmude.

Dans l'intervalle des deux sessions, un argument nouveau était venu s'ajouter à ceux qui militaient déjà contre la lei. Dans une allocution prononcée par le saint-père dans le consistoire secret

du 20 mai, on avait remarqué ces conseils donnés au royaume de Belgique :

« Nous ne pouvons nous défendre, dans notre sollicitude paternelle envers l'illustre nation des Belges, qui s'est toujours fait remarquer par son zèle pour la religion catholique, de témoigner publiquement notre douleur à la vue des périls qui menacent chez elle la religion catholique. Nous avons la confiance que désormais son roi sérénissime, et tous ceux qui, dans ce royaume, tiennent le timon des affaires, réfléchiront dans leur sagesse combien l'Église catholique et sa doctrine servent à la tranquillité et à la prospérité temporelle des peuples; qu'ils voudront conserver dans son intégrité la force salutaire de cette même Église, et considérer comme leur tâche la plus importante celle de protéger et de défendre les saints prélats et les ministres de l'Eglise. »

Auteur et patron de la loi athée, le cabinet belge crut devoir répondre. Il adressa à son chargé d'affaires à Rome une dépêcche protestant de son respect pour la religion. En même temps il faisait paraître au Moniteur cette déclaration d'une contestable con

venance :

« Ce n'est pas la première fois que la cour de Rome a été induite en erreur au sujet des choses et des hommes de ce pays. En le regrettant profondément, on ne peut maîtriser un sentiment de réprobation contre ceux qui ont à ce point trompé le saint-siége. Cette fois encore, nous en appelons au saint-père mieux informé; nous en appelons aussi au bon sens et à la justice de tous ceux qui sont témoins du véritable état des choses en Belgique.

>> Existe-t-il un pays, dans le monde chrétien, où le clergé jouisse d'une indépendance et d'une liberté plus grande, où sa position, sous le rapport moral et matériel, soit plus forte et mieux garantie? Où sont les périls que court la religion? Contre qui le clergé a-t-il besoin d'être défendu et protégé ? Si la religion avait des dangers à courir, ce serait de la part de ceux qui abusent de son nom pour satisfaire des rancunes politiques. Si le clergé avait besoin d'être défendu, ce serait contre l'imprudence de ceux qui se couvrent de son autorité pour la faire servir à des calculs de parti. >>

Où est le péril, demandait M. Rogier? Le pays ne le saurait que trop tôt si on devait le retenir longtemps encore dans cette voie qui conduit à l'anéantissement de tout respect et de toute croyance. On remarqua, à cette occasion, la naïveté avec laquelle on avouait que l'opposition politique n'est qu'un calcul d'ambition ou la satisfaction d'une rancune. Ceux-là pouvaient-ils, en effet, s'imaginer qu'on défende la religion pour elle-même, qui n'avaient fait du libéralisme qu'un moyen, qu'un marchepied pour atteindre au pouvoir? Pour ces hommes, toute opposition, si respectable qu'elle soit, n'est qu'une compétition de portefeuille.

A l'ouverture de la nouvelle session législative, le parti catholique introduisit dans la discussion de l'adresse un amendement désapprouvant la conduite du ministère dans l'affaire de l'allocution papale c'était un devoir à remplir sans espérance de succès. Un ordre du jour motivé approuva l'administration.

Une crise ministérielle éclata, au mois de juillet, sur une question assez secondaire.

Après la révolution de Février, le Gouvernement avait cru devoir réorganiser la garde civique, institution qui n'a jamais été prise au sérieux en Belgique (loi du 17 avril 1848). Le seul avantage qu'on vit dans cette organisation fut l'espérance d'une économie notable dans le budget de la Guerre. Cette espérance peu fondée fut entretenue par une brochure qui proposait de réduire à 20 millions le budget de l'armée, au moyen de certaines combinaisons où venait figurer la garde civique. La brochure était due à un sous-lieutenant, M. Van Cupen. Le ministre de la Guerre punit, par une mise en non-activité, cette intervention blâmable d'un officier dans des questions de cette nature. Il se trouva un représentant pour donner tort au ministre mais la Chambre passa à l'ordre du jour. Mais quelque temps après un certain major Alvin publiait, à son tour, une brochure dans laquelle, après avoir traité assez cavalièrement la garde civique, il ajoutait avec plus de justesse que de convenance: « Elle trompe le peuple en lui faisant croire à l'existence d'une force publique qui ne coûte rien; elle tire trop vite parce qu'elle a peur. » Ces aménités s'adressaient, en fin de compte, à une institution constitutionnelle. La punition du sous-lieutenant fit réfléchir à l'impunité du major. Des plaintes furent adressées au ministre de la Guerre par le général de la garde civique de Bruxelles. Le ministre désapprouva la brochure, mais répondit avec quelque apparence de raison qu'elle n'intéressait pas la discipline de l'armée. Ces explications furent trouvées insuffisantes, et la vanité civique offensée se répandit en rumeurs, en protestations. Fatigué de tout ce bruit, M. Chazal donna sa démission (9 juillet).

De là, une crise ministérielle qui se termina, le 12 août, par un remaniement ministériel. M. Chazal fut remplacé à la Guerre par M. le lieutenant-général Brialmont, commandant de Vanloo

en 1839, actuellement aide-de-camp de Sa Majesté. M. Rolin était resté deux ans au ministère des Travaux publics, mais il n'avait accepté que provisoirement, dans l'origine. Il saisit cette occasion de se retirer, et fut remplacé par M. Van Hoorebeke, représentant d'Eecloo, avocat et publiciste. M. de Haussy quitta en même temps son poste de la Justice, mais il eut pour fiche de consolation le gouvernement de la nouvelle banque nationale. Orateur médiocre, M. de Haussy quittait l'administration pour se soustraire à la rude guerre parlementaire que lui faisait son prédécesseur, M. d'Anethan. Son successeur fut M. Tesch, avocat, représentant d'Arlon. MM. Charles Rogier, Frère-Orban et d'Hoffschmidt restaient, le premier à l'Intérieur, le second aux Finances, le troisième aux Affaires étrangères (voyez les décrets à l'Appendice).

La situation intérieure du pays eût, en somme, été sans nuages, si un événement douloureux, vivement ressenti par tous les partis, ne fût venu surprendre la famille royale au milieu des joies patriotiques de l'anniversaire de l'indépendance. La Révolution a ce singulier bonheur en Belgique, de se lier intimement au souvenir de la libération du pays: aussi le roi et les citoyens se réunissent-ils sans arrière-pensée dans la célébration des fêtes de septembre. L'année précédente, il avait été décrété qu'un mo→ nument serait élevé à Bruxelles, pour rendre un hommage solennel à la Constitution et consacrer le souvenir du congrès de 1830. Le 25 septembre, S. M. Léopold fer venait de poser la première pierre de la colonne du Congrès, quand, aux réjouissances publiques du vingtième anniversaire, succéda un deuil gé néral. Le 11 octobre, Louise-Marie-Thérèse-Charlotte-Isabelle d'Orléans, reine des Belges, succombait, à trente-huit ans, à une longue et cruelle maladie. La tombe de Weybridge venait à peine de se fermer sur le roi son père. Simple et modeste, charitable sans bruit, populaire sans le savoir, la reine des Belges était ado rée de tous ceux qui la connaissaient. Sa mort fut un deuil universel pour le pays. La douleur fut spontanée, profonde dans toutes les classes de la société. Des souscriptions s'élevèrent de tous côtés pour élever un monument à celle qui n'était plus. Les adresses des deux Chambres ne firent que reproduire la doulou

reuse sympathie de la nation tout entière (voyez l'Appendice). La reprise du travail dans les fabriques, et de la circulation sur les chemins de fer étaient des gages de la prospérité croissante du pays. Si l'on comparait le premier trimestre de chacune des deux années 1849 et 1850, on trouvait que le nombre total des voyageurs avait été, sur les chemins de fer belges, de 1 million 130,125, c'est-à-dire de 100,535 de plus, pendant les trois premiers mois de 1850, que durant la période correspondante de 1849. Grâce au développement que prend le transit d'Anvers sur l'Allemagne, le poids des marchandises transportées s'était élevé à 291,429 tonnes, ce qui donnait une différence en plus de 54,626 tonnes. Quant aux recettes, elles avaient produit 3 millions 626,456 fr., soit une augmentation de 382,950 fr.

En 1847, les rapports internationaux entre la Belgique et l'Allemagne s'étaient élevés à cent quatre-vingt-cinq mille trois cent quatre-vingt-cinq tonneaux de grosses marchandises qui avaient produit 1,295,100 fr. En 1849, au contraire, le même mouvement n'avait été que de soixante-quatorze mille tonneaux et n'avait produit que 663,731 fr. Donc transport en moins, environ cent-dix mille tonneaux ; déficit dans les recettes, environ 631,000 fr. Même résultat pour le mouvement vers la France, malgré l'accroissement des réseaux de chemins de fer dans ce pays, en 1849. Ainsi en 1847, la recette produite par les transports internationaux entre la Belgique et la France, avait été pour le chemin belge de 438,500 fr.; en 1849, elle n'avait été que de 267,000 fr. différence en moins: 171,500 fr. D'où il suit que les transports de la Belgique vers les frontières, en l'année 1849, comparativement à 1847, accusaient une diminution totale de 202,000 fr., par des causes extérieures qu'aucune administration, aucun tarif n'aurait pu comparer. Sans doute cette situation serait largement améliorée par les résultats de 1850. On en pouvait juger par le chiffre non encore officiel, mais approximatif de la circulation totale de l'année sur les lignes de fer. On l'évaluait, comme produit, à 14,882,000 fr., soit un excédant de recettes de 1,946,079 fr. sur 1849.

Si les transports avaient failli en 1849, le commerce extérieur s'était relevé, dans la même année, au point de dépasser de

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