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Vienne, que le cabinet de Saint-Pétersbourg repoussait tout à la fois et la combinaison prussienne du 26 mai et le projet de M. von den Pfordten. Le gouvernement russe ne semblait disposé qu'à favoriser un retour à la confédération de 1815.

Voici le passage le plus saillant de la dépêche de M. de Nesselrode :

«<... L'alliance du 26 mai n'est pas, il est vrai, dirigée contre la sûreté de la confédération de 1815; mais il semble qu'elle en compromet l'existence, car il est difficile de comprendre comment cette confédération peut continuer à exister, comment il peut y avoir communauté d'intérêts entre ses membres et action commune, lorsque dans son sein se forme une ligue distincte qui partage l'Allemagne en deux, et règle son action sur des principes que ne reconnaissent pas les Etats restés en dehors de cette alliance. >>

Le comte de Nesselrode se déclarait d'ailleurs assez ouvertement pour le retour pur et simple à l'ancienne diète, et pour le rétablissement de la Constitution de la fédération germanique sur les bases des traités de 1815.

Le 20 mars, s'ouvrit à Erfurt le parlement de l'union restreinte, l'essai prussien d'État fédératif. Ce parlement se divisait en deux chambres, la chambre des États et la chambre du peuple. Dans cette dernière, M. Simson, nommé président, réchauffa le plus qu'il put les souvenirs historiques. Quant au seul personnage vraiment important de ce parlement, M. de Radowitz, commissaire royal de Prusse, il dut reconnaître que la situation générale était difficile pour l'union restreinte. « L'éclat, ajouta-t-il, que l'ouverture du parlement de Francfort empruntait aux événements de 1848, manque à l'ouverture de l'assemblée actuelle. La mission de celle-ci n'est pas de concevoir le plan idéal d'un édifice et d'attendre ensuite que cet édifice trouve des habitants. La fédération veut construire une maison plus modeste pour la communauté déjà constituée. Elle n'exclut personne, mais laisse à tout le monde le libre choix de prendre la détermination qui lui paraît la plus convenable. >>

M. de Radowitz jetait ensuite un coup d'œil rétrospectif sur les négociations que la question allemande avait fait naître, et sur les adversaires contre lesquels elle devait lutter.

Beaucoup de personnes, dit-il, sont d'avis que ce que la Prusse recherche lui est avantageux, et que ce qui lui est avantageux est nuisible à l'Autriche. Puis, en Prusse, une opinion existe, qui redoute pour la Prusse elle-même ce que celle-ci offre à l'Allemagne. De là, des résistances qui n'ont pas permis à la grande confédération de s'organiser et ont empêché plusieurs Gouvernements d'entrer dans la fédération : mais le mouvement unitaire n'en subsiste pas moins. Il peut y avoir réaction en ce moment, mais il n'y aura jamais d'arrêt, et, pour emprunter une image aux sciences exactes, le mouvement semble décrire une courbe pour revenir sur lui-même et ne s'éloigner du soleil que pour s'en rapprocher de nouveau. »>

Faisant ensuite allusion au discours du roi de Wurtemberg, l'orateur s'exprimait ainsi :

« Je sais que des paroles de haine avaient été prononcées là où l'on ne pouvait ni les concevoir ni les justifier. L'histoire dira que la passion de la Prusse ça été l'amour de la grande patrie allemande, son but, de sauver la patrie des dangers futurs. Le plus grand nombre des Gouvernements allemands a compris l'avertissement des deux dernières années. Quelques Gouvernements ne l'ont pas compris, ce sont ceux qui ont obtenu le titre royal après la chute de l'empire. Il est résulté de tous ces obstacles qu'au lieu de construire la fédération restreinte, en partant de la confédération plus large, ce qui aurait été la voie naturelle, il a fallu partir de l'Etat fédératif restreint pour organiser ensuite la confédération dont l'Autriche ferait partie, ce qui était le chemin le plus difficile. »

En somme, le parlement restreint avait à se prononcer sur l'acceptation de la Constitution du 28 mai 1847, annexe du traité des trois rois. Le parlement d'Erfurt accepta ce projet beaucoup plus vite sans doute que ne l'aurait voulu le cabinet de Berlin, occupé en ce moment à louvoyer au milieu des difficultés de la situation. Le veto de la Russie dominait tous les efforts de M. de Radowitz qui parlait haut à Erfurt, tandis qu'on agissait en sens contraire à Berlin. Aussi, le 27 avril, le cabinet de Berlin se décidait-il à imposer silence à l'organe compromettant d'Erfurt, et la diète fut remplacée, le 10 mai, par un Congrès des princes, sorte de pouvoir exécutif et de conseil irresponsable de l'union restreinte, placé à la tête de cette union par la Constitution du 26 mai et présidé par le roi de Prusse. M. de Radowitz fut encore nommé représentant de la Prusse dans ce collége.

Cependant l'intérim de Francfort expirait le 1er mai. Le 26 avril, le cabinet impérial invita, par une circulaire, tous les gouvernements de la confédération à se réunir à Francfort, le 10 mai, jour de l'ouverture du collége des princes, pour s'y entendre sur l'or

ganisation d'un nouvel intérim, et sur la réorganisation de la confédération. En attendant qu'un nouvel organe de la confédération fût établi par l'assemblée plénière, les affaires fédérales continueraient d'être gérées par la commission centrale. C'était le retour pur et simple à l'ancien établissement de 1815, mais ce retour n'aurait qu'un caractère provisoire.

La Prusse ne voulut voir dans l'invitation du cabinet impérial, qu'un appel à la délibération libre des États souverains de l'Allemagne. Elle récusait formellement l'indication de l'appel du congrès sur la base de fonctions de présidence de l'Autriche; » elle soutenait que l'ancien conseil de la diète avait été légalement dissous, et refusait, par conséquent, aux conférences nouvelles le caractère de plenum de l'ancienne diète. (Note du 16 mai, de M. de Schleinitz à M. de Bernstorff.)

Le 10 mai, le roi de Prusse ouvrit, à Berlin, le collége des princes; il y renouvela ses protestations contre l'assemblée plénière, mais il engagea les princes à se rendre à l'invitation de l'Autriche, entendant par là indiquer le droit particulier de chaque gouvernement à s'entendre avec les autres. Le même jour, M. le comte de Thun-Hohenstein, ministre plénipotentiaire de l'Autriche, ouvrait le plenum de Francfort. Les autres plénipotentiaires étaient, pour la Saxe, M. de Jeschau; pour le Hanovre, le conseiller de légation Dettmold; pour le Wurtemberg, M. de Reinhard; pour la Bavière, M. de Xylander; pour le Luxembourg, M. de Scherff; pour le Landgraviat de Hesse-Hombourg, M. de Nolzhausen. Les deux Hesses grand-ducale et électorale adhérèrent quelques jours après: comme duc de Holstein-Lanenbourg, le roi de Danemark avait reconnu le plenum.

Ainsi constitués, les deux parlements parallèles ne pouvaient aboutir qu'à une union restreinte plus ou moins étendue, mais tou. jours frappée d'impuissance. C'est ce qui avait été évident pour la Prusse, dans les efforts tentés à Erfurt: c'est ce qui fut démontré pour l'Autriche dès les premières séances du plenum de Francfort. On ne s'y occupa, en effet, que de reconstituer le conseil fédératif restreint de 1815, dans lequel les affaires se traitaient à la simple majorité, et où l'Autriche avait neuf voix sur dix-sept. M. de Schleinitz, dans une note du 5 août, protesta

énergiquement contre la résurrection de ce petit conseil, qui aurait pour résultat de mettre entre les mains de l'Autriche la direction exclusive de la propriété fédérale, la disposition des forteresses, de la flotte, des caisses, des archives de la confédération. La note prussienne témoignait d'une crainte mêlée d'irritation: pour détourner le coup, elle proposait au cabinet impérial de considérer, en commun, l'administration de la propriété fédérale comme un objet tout à fait distinct de la forme politique ultérieure de la confédération, et de la confier à la commission fédérale provisoire, prolongée par le protocole du 50 avril.

Les deux grandes puissances étaient ainsi obstinément retranchées dans leurs camps respectifs, se menaçant mutuellement aussitôt que l'une d'elles cherchait à donner un caractère général à ses actes particuliers. Mais ce que la Prusse ne pouvait faire, l'Autriche le tenta. Pour se rallier les États secondaires et faire disparaître tout soupçon d'égoïsme, le gouvernement autrichien n'avait d'autre parti à prendre que de se placer de nouveau sur le terrain du droit germanique, en restant fidèle à sa politique, et de faire l'application du pacte fédéral, qui n'avait pas cessé d'exister. Il fallait proposer le rétablissement de la diète, organe constitutionnel de la confédération, car il avait été impossible de triompher des obstacles suscités de divers côtés à de nouvelles combinaisons. L'objection que quelques confédérés pourraient élever contre la formation d'un pouvoir provisoire sans leur participation serait sans aucune valeur à l'égard de la convocation de l'organe constitutionnel et légal de la volonté et de l'action de la confédération.

En conséquence, le comte de Thun fut chargé de proposer à l'assemblée plénière de remettre en activité la diète, et dans ses séances des 7 et 8 août, l'assemblée autorisa la convocation. Le gouvernement autrichien proposa cette convocation par une note circulaire du 14 août.

Au reste, l'Autriche ne prétendait en aucune façon revenir purement et simplement aux bases de 1815. Le cabinet de Vienne avait compris qu'il était nécessaire pour l'Autriche elle-même de modifier sa propre situation. L'empire de 1850 ne ressemblait guère à celui de 1847. Il n'eut donc pas été logique pour l'Autriche d'in

terdire à ses confédérés les innovations, les réformes qu'elle avait acceptées pour elle-même. Tout en proposant le rétablissement de l'ancienne diète, une circulaire autrichienne du 19 juillet ajoutait :

« Cette proposition n'implique point que la Cour impériale ait la pensée de faire revivre l'ordre de choses antérieur; la Cour impériale tient, au contraire, la démarche qu'elle tente pour le seul et unique moyen qui reste encore d'arriver à reconstituer la fédération d'une manière plus conforme aux besoins de l'époque, et c'est à cela qu'elle désire loyalement s'employer selon ses forces. »

« Ce langage, le cabinet impérial l'avait tenu pendant toutes les phases de la question fédérale. A l'époque du traité de Munich, le prince de Schwarzenberg disait, ou plutôt répétait dans sa circulaire du 13 mars:

Le Gouvernement impérial a déjà dit et exprimé, sans arrière pensée, cette idée que, tout en demeurant attaché aux traités fédéraux de l'année 1815, tant qu'ils n'auront pas été modifiés d'un commun accord et par la voie fédérative légale, il n'en reconnaissait pas moins la nécessité d'une révision opportune et large de ces traités, ainsi que la constitution fédérale qui en a été le résultat, qu'il était prêt à y coopérer et à prendre en considération les besoins de l'époque, ainsi que toutes les prétentions et réclamations qui sont conciliables avec les exigences du droit.

Les choses en étaient là lorsqu'un incident imprévu vint précipiter le dénouement de la lutte. Cet incident prit naissance dans un mouvement révolutionnaire tenté, sous l'inspiration de la Prusse, dans un Etat secondaire qui avait adhéré des derniers au plenum de Francfort. Les Chambres de la Hesse électorale devaient se réunir vers la fin d'août: elles étaient le résultat d'une loi électorale très-radicale. Un ministère nouveau, celui de M. Hassenpflug qui venait de remplacer le ministère Eberhard-Wipperman, réclama des Chambres un vote d'impôts, mais seulement jusqu'à la fin de septembre, époque à laquelle le budget serait présenté. Il ne s'agissait que de couvrir les besoins du service pendant quelques semaines, ce qui était dans les conditions légales de la Constitution qui n'exigeait la présentation du budget qu'autant qu'il s'agirait de fixer l'impôt pour l'époque financière tout entière. Les Chambres refusèrent la demande : il fallut les dissoudre. La situation créée inconstitutionnellement par les Chambres forçait le Gouvernement de recouvrer l'impôt d'une façon provisoire, enat

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