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tendant la convocation d'une nouvelle assemblée des Etats. Mais ici éclata le mauvais vouloir de la classe révolutionnaire dans l'électorat, la classe des fonctionnaires publics. Le mouvement commença par une coterie de la Chambre et par la classe des employés de l'Etat qui, saisies l'une et l'autre, déjà avant l'année 1848, d'un esprit d'opposition très-prononcé, avaient partagé sans peine les illusions de Francfort, et s'étaient jetées plus tard entre les bras du parti de Gotha et de l'Union prussienne. A ces éléments de désordre, il fallait ajouter les dispositions de la Constitution et des règlements de service dans l'Electorat, qui assuraient aux fonctionnaires de l'Etat l'inamovibilité la plus dangereuse, si bien que, même les employés des branches administratives ne pouvaient être mis en disponibilité ou en retraite sans y avoir eux-mêmes consenti. Quant à l'armée, fidèle et dévouée à partir des grades inférieurs, elle était depuis longtemps gagnée aux sympathies prussiennes par de nombreuses affiliations des officiers aux loges maçonniques révolutionnaires dont le prince de Prusse est le grand-maître.

Effrayé des progrès rapides que faisait dans son pays le parti démocratique, et désirant se soustraire à la domination du ministère que lui avait imposé la révolution de mars, l'électeur s'était décidé, en 1849, à accéder au traité de l'Union du 26 mai. Le ministère Eberhard-Wipperman n'en restait pas moins au pouvoir. Par les mêmes raisons, il avait dû plus tard dissoudre les Chambres, nommer le ministère Hassenpflug (29 février), et se jeter au commencement de septembre dans les bras de l'Autriche. De là une lutte ouverte entre le Gouvernement et les fonc-* tionnaires chargés de recouvrer l'impôt. La plupart des autorités financières et judiciaires prirent parti contre l'électeur et contre son ministère. Il fallut mettre le pays en état de siége et suspendre les garanties constitutionnelles. Mais le parti de Gotha enlaçait le pays tout entier : l'électeur Frédéric-Guillaume Ier fut réduit à fuir de Cassel (14 septembre). M. Hassenpflug fut arrêté sur le territoire prussien à Breda. Autrefois président de la Cour suprême de Greifswalde, en Poméranie, le ministre hessois s'était vu accusé de malversation aussitôt que, ayant passé au service de l'électeur, il s'était déclaré contre la Prusse. Condamné

à quatorze jours d'emprisonnement et à une amende par le tribunal de première instance, il fut honorablement acquitté par le tribunal d'appel de Greifswalde. Voici le fait sur lequel on avait cherché à échafauder une accusation de détournement des fonds publics. Une somme d'argent ayant été mise à sa disposition pour être affectée à des réparations intérieures de son logement officiel, et ces réparations n'ayant pas absorbé entièrement cette somme, M. Hassenpflug en aurait attribué le restant à des réparations extérieures, mais qui n'auraient pas dû être payées par l'Etat. Il aurait également négligé de les faire spécifier dans le règlement de compte des fournisseurs, dont les quittances n'auraient porté que sur les travaux originairement commandés. On le voit, il n'y avait là qu'une vengeance politique de la Prusse; l'électeur de Hesse réclama l'appui de la diète de Francfort, tandis que les insurgés s'adressaient de leur côté au fauteur secret de l'insurrection, à la Prusse. La voix de l'électorat donnait la majorité à celle des deux réunions restreintes qui pourrait l'emporter. C'est ainsi que la réussite sans importance de quelques agitations d'un petit Etat, devint un casus belli général. La Prusse annonça ses intentions hostiles en remplaçant M. de Schleinitz par M. de Radowitz au ministère des affaires étrangères. L'Autriche et les Etats secondaires n'entendaient pas laisser atteindre le principe monarchique, même dans la personne d'un électeur. Ce fut la résolution hautement avouée des rois de Bavière et de Wurtemberg réunis à Bregenz dans un congrès solennel avec l'empereur d'Autriche (12 octobre.) Quelques jours plus tard, à Varsovie, la Russie donnait une adhésion éclatante à la politiqué conservatrice dans une conférence à laquelle assistèrent S. M. Impériale d'Autriche, le czar, et, pour la Prusse, le prince Char lés et le comte de Brandenbourg.

Entre la politique d'ambition appuyée sur l'alliance dangereuse des principes révolutionnaires, et la vieille politique du droit germanique fondée sur les traités, S. M. l'empereur de Russie ne pouvait hésiter. Aussi l'Autriche trouva-t-elle dans S. M. Impériale un puissant auxiliaire. Il ne fallait plus qu'il réstât bientôt aucune trace des bouleversements stériles de 1848. Il fallait que l'esprit révolutionnaire fût hautement condamné dans toutes

ses conséquences. Mais il était convenable de couvrir la retraite de la Prusse et on lui accorderait des conférences libres dans les-quelles on examinerait les modifications qui pourraient être apportées à la Constitution actuelle de la confédération germani

que.

Voilà pour la querelle d'influence. Quant à la Hesse électorale, prétexte d'une rupture, cette difficulté disparaissait en même temps qu'était réglée la question de suprématie. Il n'y avait là rien de sérieux au fond.

Une seule question extérieure intéressait directement la Russie: elle parla nettement et avec fermeté sur les droits du Danemark à conserver les duchés : la diète de Francfort comprendrait sans doute que de ce côté, une intervention menaçante d'une puissance allemande nécessiterait une intervention protectrice de la Russie.

Le jugement sévère de la politique prussienne, qui ressortit de ces conférences, n'était-il pas amplement confirmé par l'histoire des dernières années? Suivons à différentes époques, depuis 1848, la pensée du roi de Prusse et nous verrons que cette pensée n'est autre chose que l'hégémonie prussienne, que la conquête, pour ainsi dire, de l'Allemagne par la Prusse. « Ce que nous voulons avant tout, disait Frédéric-Guillaume, le 18 mars 1848, c'est de constituer avec l'Allemagne un Etat fédéré au lieu d'une confération d'Etats. » Le 3 avril 1849, le roi répondait aux députés de Francfort: « L'Assemblée nationale allemande a compté sur moi avant tous les autres pour fonder l'unité de l'Allemagne sur la force de la Prusse je suis prêt à prouver par des actes que ceux-là ne se sont point trompés qui ont mis leur confiance dans mon dévouement, dans ma fidélité, dans mon amour pour la patrie commune. » Le 15 mai 1850 il promettait au peuple allemand? « D'asseoir l'unité de l'Allemagne sur un pouvoir exécutif unitaire qui la représentât énergiquement au dehors. » Enfin, dans la question nouvelle de la Hesse, quel parti prenait la Prusse celui de refus de l'impôt, de la révolution, de la désobéissance militaire. Car, encouragés par l'attitude des fonctionnaires publics, par les secrètes menées de Berlin, les officiers de Cassel refusèrent en masse de prêter main forte à l'électeur.

Le 21 octobre, la diète de Francfort arrêta une intervention des troupes fédérales dans la Hesse et, le 25, un commissaire fédéral, M. le comte de Rechberg, fut chargé de rétablir l'autorité de l'électeur. Le 1er novembre, les troupes fédérales austro-bavaroises entrèrent dans l'électorat, établirent leur quartier-général à Hanau et envoyèrent quelques détachements en avant sur la route de Fulda.

La situation était grave. M. de Radowitz, qui, par son imprudence, avait contribué à la créer, commençait à hésiter. Dès le 3 octobre, le cabinet prussien avait reconnu l'impossibilité de prolonger le privisoire qui expirait le 15 octobre et de mettre en vigueur la constitution de l'union restreinte. Mais il proposaitune autre impossibilité, le retour à l'alliance évanouie du 26 mai 1848. On s'obstinait à maintenir l'utopie sans pouvoir trouver aucun moyen de la réaliser. C'était-là l'influence de M. de Radowitz. Mais une autre influence plus sage, celle de M. de Brandenbourg, éclairé par les conférences de Varsovie, s'opposait aux résolutions excessives. M. de Radowitz voulait la mobilisation immédiate de l'armée et de la landwehr: il fut repoussé et s'éloigna du ministère (3 novembre). C'était beaucoup faire pour la paix générale que de renoncer aux services de cet homme d'Etat dont l'ambition inquiète avait poussé la Prusse sur la pente d'une révolution, d'une abdication, d'une guerre.

M. le comte de Brandenbourg, président du conseil, prit le portefeuille des affaires étrangères et se hâta d'entamer avec le cabinet de Vienne des négociations sur la base nouvelle de l'abandon par la Prusse de toute idée d'union restreinte. La Prusse s'engageait à considérer désormais la Constitution du 28 mai 1849 comme nulle et non avenue. L'Autriche consentant à ne point exiger, pour le moment, que la Prusse reconnût dès à présent les arrêtés de la Diète de Francfort, et qu'elle les considérât comme immédiatement obligatoires pour elle, la Prusse déclarait qu'elle était prête à ne point s'opposer à l'exécution des mesures militaires qu'il pourrait convenir à l'Autriche de prendre, conjointement avec ses alliés, pour le rétablissement de l'ordre dans la Hesse-Electorale. Et la Prusse exprimait l'espérance qu'on parviendrait à s'entendre, de la même manière, pour la conclu

sion et l'arrangement de l'affaire des duchés. La Prusse exposait ce qu'elle pensait des conférences libres; elle faisait connaître ce qu'elle entendait par ces conférences, et comment et dans quel lieu ces conférences devraient être tenues.

Tout semblait marcher rapidement vers une conclusion pacifique, lorsqu'un événement déplorable vint encore une fois tout remettre en question. A peine le courrier porteur de ces propositions était-il parti que M. le comte de Brandenbourg tombait mortellement frappé par une maladie subite. La mort de cet homme d'Etat fut le signal d'une réaction violente dans les conseils de S. M. prussienne. La coterie de Gotha et son instrument ordinaire, M. de Radowitz, se hâtèrent d'en gager la lutte et de compromettre la paix de l'Allemagne. Les troupes prussiennes recurent l'ordre d'occuper Cassel et, le 6 novembre, la mobilisation de l'armée et de la landwehr fut décrétée. Deux jours après, les troupes fédérales austro-bavaroises n'étaient séparées des troupes prussiennes que par quelques centaines de mètres entre Hasselstein, Erterfeld et Rotenkirschen. Du côté de Fulda, auprès du village de Bronzell, il y eut quelques coups de feu échangés entre les avant-postes. Qu'arriverait-il si l'engagement de Bronzell devenait le signal d'une guerre sérieuse? Ce ne seraient pas seulement la Prusse et l'Autriche qui descendraient dans l'arène. A la Prusse s'adjoindrait une alliée inévitable, terrible, la démagogie : l'Autriche, qu'elle le voulut ou non, entraînerait à sa suite un auxiliaire formidable, la Russie. Le contre-coup de ce choc bouleverserait l'Europe tout entière. C'est parce qu'il comprenait ces dangers que l'empereur de Russie, que l'illustre vainqueur de l'Italie, le maréchal Radetzky, que le prudent diplomate, M. de Schwarzenberg condamnaient dans les deux camps les fantaisies belliqueuses. Quel serait encore, en supposant une explosion soudaine, le rôle des puissances secondaires dans cette lutte ? Qu'inportait, par exemple, à la Bavière, la constitution de la HesseÉlectorale, et quel autre avantage retirerait-elle en définitive, de ces démonstrations armées, si non la présence coûteuse de 40,000 Autrichiens sur son territoire ?

Le roi de Prusse lui-même commençait à comprendre où on l'entraînait. Aux cris belliqueux, à l'enthousiasme militaire des

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