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res publiques; il soumettrait à l'approbation du ministre, les règlements intérieurs des lycées et colléges; tous les ans, enfin, à des époques déterminées, il se constituerait en jury pour examiner les aspirants au brevet de capacité.

C'était là la création originale du projet, l'âme de la loi suivant M. de Montalembert. Si, dit l'orateur, dans la question des académies, la commission s'était déterminée à ne point respecter les circonscriptions actuelles, c'était parce qu'elle voulait introduire dans la direction de l'enseignement les trois principales forces de la société l'Eglise, l'administration et le suffrage universel représenté par les conseils généraux; il fit remarquer que cette intervention n'était guère possible dans l'état présent des choses par ce motif que le pouvoir de l'évêque et du préfet ne s'étendait pas au delà des limites du diocèse ou du département, et qu'il y aurait de graves inconvénients à réunir dans un même conseil, comme dans des états provinciaux au petit pied, des conseillers généraux appartenant à divers départements. M. de Montalembert ajoutait que l'introduction dans les conseils académiques des représentants de l'Église, de l'administration et du suffrage universel, était une conséquence naturelle de l'organisation que l'on venait de donner au conseil supérieur.

L'établissement des conseils académiques départementaux serait de plus un commencement de décentralisation intellectuelle. Autrefois, Dijon, Rennes, Caen, Toulouse, étaient peuplées de savants et d'étudiants. Tout cela avait disparu pour faire place à une sorte de machine pneumatique qui pompe toute la vie intellectuelle de la France. Tout est concentré dans Paris, et le reste de la France est considéré comme un désert inhabitable par tout professeur qui se respecte. De là qu'arrivait-il? M. de Montalembert cita des chiffres qui accusaient un mal profond: sur 1,800 élèves en médecine pour toute la France, 800 étaient à Paris ; sur 4,900 élèves en droit, 3,897 à Paris; sur 60,000 élèves de l'instruction secondaire, 15,000 à Paris.

Il était donc temps d'en finir avec le système qui fait de Paris une sorte de machine pneumatique absorbant à son profit toutes les forces du corps social; de ce système, impuissant en face des phénomènes moraux qui se sont produits dans le domaine moral,

impuissant au point de vue spécial de l'instruction et des études classiques. Car, ajoutait l'orateur, le niveau des études s'est abaissé sous le poids de l'enseignement universitaire. Les colléges ne sont plus que des machines à bacheliers.

A cette accusation, très-grave et malheureusement fondée sur plusieurs points, M. Barthélemy Saint-Hilaire répondit par des récriminations sur la faiblesse des études dans les petits séminaires. M. de Parieu répliqua par un mot remarquable: le ministre avoua qu'il se pouvait que l'enseignement eût perdu quelque peu en profondeur ce qu'il avait gagné en superficie. On y savait moins le grec et le latin, on y étudiait plus l'histoire, les sciences naturelles, les langues vivantes. N'était-ce pas dire qu'on y appenait un peu plus de tout, sans savoir véritablement quelque chose (12 février).

Malgré ses efforts pour justifier l'Université, M. Thiers ne nia pas l'affaiblissement évident des études. Lui aussi blâma l'extension donnée aux programmes d'enseignement; il critiqua vivement les développements qu'avait reçus l'étude de l'histoire, des sciences, des langues. Mais il prit à partie la société elle-même, plus que l'Université. Ce n'est pas, dit-il, l'Université, c'est la société qui est malade, et la maladie dont elle est attaquée, c'est l'esprit démocratique, pour l'appeler par son nom, c'est l'ambition d'arriver à tout sans la condition du travail et du temps qui justifient l'ambition et le succès. Tous les reproches que l'on fait à l'Université sont injustes ou fort exagérés; son enseignement ne laisse rien à désirer ni pour le caractère moral ni pour le sentiment religieux, et quant à l'instruction proprement dite, les colléges de l'Université sont infiniment supérieurs aux établissements privés. Ce n'est donc pas l'Université qui est coupable; c'est la société. Le seul tort de l'Université, c'est d'avoir subi l'influence du milieu qui l'entoure; c'est de n'avoir pas sú se préserver entièrement du mal qui travaille le corps social tout entier. Cette fièvre de parvenir a poussé à embrasser à la fois toutes les connaissances humaines, sans pouvoir en retenir une seule. Comment veut-on que les jeunes intelligences ne soient pas accablées, épuisées et comme abruties par cette masse de connaissances disparates, indigestes, sans rapports avec leur âge? Voilà pour

quoi le niveau des esprits est abaissé depuis vingt-cinq ans; voilà comment l'instruction solide est devenue si rare en même temps que l'instruction superficielle est devenue si commune. Le nombre des hommes qui savent un peu s'est aceru dans la même proportion que l'on a vu diminuer le nombre des hommes qui savent beaucoup.

La plus grande partie de la majorité accueillit avec applaudissements ce lumineux tableau de la société moderne; seulement elle n'accueillit qu'avec quelque incrédulité l'éloge du sentiment religieux de l'Université, et n'entendit qu'avec peine justifier l'infréquence ou l'absence des pratiques les plus vulgaires de la religion (13 février).

Enfin, l'Assemblée vota définitivement la question que soulevait l'article 7. M. Flandin proposait de modifier cet article en le faisant précéder d'une disposition portant que « l'Université de France se compose des académies départementales. » Le seul but de cet amendement était d'insérer dans le texte de la loi le mot d'Université qui ne s'y trouvait en effet écrit nulle part. En rétablissant ce mot, M. Flandin voulait répondre à la préoccupation de ceux qui voyaient dans la loi nouvelle un plan de destruction prémédité contre l'Université. Si l'on veut sérieusement conserver la chose, pourquoi ne pas conserver le mot? Telle est la question que M. Flandin adressait au Gouvernement et à la commission. Le Gouvernement répondit par l'organe de M. de Parieu. La loi ne détruit pas l'Université, si l'on entend par ce mot l'ensemble des établissements où l'instruction est donnée au nom de l'État : les Facultés, les lycées, les colléges communaux sont maintenus. Mais le mot d'Université s'applique spécialement au corps privilégié qui, dans le système des décrets impériaux, constitue le gouvernement de l'instruction publique. La loi nouvelle a profondément modifié ce système en introduisant dans le conseil supérieur et dans les conseils académiques des membres pris en dehors de l'enseignement officiel. On n'a pas voulu que les mots pussent tromper sur les choses; on n'a pas voulu conserver un nom ancien pour désigner une institution entièrement nouvelle. Après ces explications du ministre, l'Assemblée rejeta l'amendement et adopta l'article du projet à une forte majorité.

Quelles seraient les conditions exigées pour le rectorat. Jusqu'alors, pour être nommé recteur, il suffisait d'être officier d'académie. La loi nouvelle était donc, sur ce point, moins libérale que l'ancienne. Mais elle ne faisait qu'établir en droit ce qui était déjà consacré dans la pratique. Un amendement de M. Barthélemy Saint-Hilaire demandait que les recteurs eussent le grade de licencié. M. de Parieu fit accepter l'amendement, par 397 voix contre 184, par cette raison surtout qu'il fournissait un moyen d'échapper aux sollicitations trop nombreuses.

La commission s'était refusée à céder sur l'amendement Barthélemy Saint-Hilaire : elle céda de bonne grâce sur un autre point d'une importance réelle. Le projet primitif du Gouvernement donnait à l'inspecteur de l'Académie une place dans le conseil académique à côté du recteur; il faisait en même temps siéger à côté de l'évêque un ecclésiastique désigné par ce prélat; il admettait quatre membres du conseil général du département. Le projet de la commission avait exclu tout à la fois l'inspecteur et l'ecclésiastique désigné par l'évêque, tout en portant à cinq le nombre des membres à élire par le conseil général. M. de Parieu proposa le rétablissement de l'inspecteur, ou, à son défaut, l'admission, soit d'un fonctionnaire de l'enseignement, soit d'un inspecteur des écoles primaires. La Commission accepta l'amendement, à la condition qu'on rendrait à l'évêque la faculté de se faire assister par un autre membre du clergé. Cette transaction fut ratifiée par la majorité. Le nombre des membres à élire par le conseil général fut réduit à quatre, dont deux pourraient être choisis en dehors de ce conseil.

Une grave question s'offrait à l'entrée du chapitre de l'inspection. L'article 15 portait que la loi reconnaissait deux espèces d'écoles primaires ou secondaires : 1o les écoles fondées et entretenues, en tout ou en partie, par les communes, les départements ou l'État, et qui prennent le nom d'écoles publiques; 2o les écoles établies par des particuliers ou des associations, et qui prennent le nom d'écoles libres. M. Wallon demanda que la commission s'expliquât sur la portée de ce mot d'associations qui rappelait selon l'orateur, avec le nom d'un ordre religieux fort célèbre, de si longues et de si vives querelles. Le rapporteur

répondit qu'il s'agissait seulement, dans l'article 15, d'établir le principe, d'instituer le droit, et que le moment viendrait plus tard d'en régler l'application. La question d'associations se rattache naturellement, en effet, aux chapitres qui traitent des conditions d'exercice de la profession d'instituteur. Quant à l'inspection des établissements d'instruction publique ou libre, l'Assemblée déclara qu'elle serait exercée par les inspecteurs généraux, par les recteurs et les inspecteurs d'académie, et par les inspecteurs de l'instruction primaire.

Un droit de surveillance sur les écoles primaires fut, en outre, accordé aux délégués cantonaux, au maire, au curé, au pasteur protestant et au délégué du consistoire israélite. La commission et le Gouvernement se trouvèrent en désaccord sur les conditions de grade et d'exercice à exiger des candidats aux fonctions d'inspecteur. La commission proposait de faire choisir les inspecteurs par le ministre sur une liste d'admissibilité présentée, pour les inspecteurs généraux et les inspecteurs d'académie, par le conseil supérieur, pour les inspecteurs des écoles primaires par le conseil académique; elle ne leur imposait que de très-insuffisantes garanties de temps et de capacité, au risque de compromettre les droits acquis de tous les inspecteurs actuellement en exercice. M. le ministre de l'Instruction publique vint plaider la cause de ces fonctionnaires éprouvés par une longue pratique; il combattit aussi, au nom du principe de la responsabilité ministérielle, le système des listes d'admissibilité. M. de Parieu demanda que l'on en revînt aux dispositions du projet primitif, qui autorisaient le ministre à choisir directement les inspecteurs dans certaines catégories des membres de l'enseignement sous la condition, commune à tous, du grade de licencié et de cinq ans d'exercice. Sur la proposition du rapporteur, l'amendement de M. de Parieu fut renvoyé à la commission (14 février).

L'article 17 était relatif à la nomination des inspecteurs généraux et des inspecteurs d'académie. Il s'agissait, en premier lieu, de fixer les catégories dans lesquelles seraient nécessairement choisis les inspecteurs. Sur ce premier point, nulle difficulté : les catégories proposées par la commission avaient paru trop étroites; on s'entendit pour les élargir et pour combler quelques

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