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II.

Abolition de la Capture.

Quatrième Commission.

DEUXIÈME SÉANCE. 1)

S. Exc. M. Ruy Barbosa, Premier Délégué des États-Unis du Brésil, prend la parole dans ces termes:

Monsieur le Président,

L'interrogation que vous avez formulée au troisième énoncé de votre questionnaire, en nous demandant s'il faut conserver ou abolir la pratique actuellement en vigueur, concernant la capture et la confiscation des navires de commerce sous pavillon ennemi, n'est pas un appel, me semble-t-il, à la doctrine, mais plutôt une question d'ordre pratique, adressée aux gouvernements et aux hommes d'Etat, en face des résultats de l'expérience, des leçons de l'histoire, de la tradition de chaque pays et de la tendance générale de l'opinion au sein des nations modernes.

Je ne méconnais pas, sans doute, le rôle considérable que la doctrine est appelée nécessairement à remplir dans la solution de ce problème. Mais c'est à d'autres, c'est aux maîtres, aux guides reconnus de l'enseignement juridique, aux grands représentants de la culture du droit, qu'il appartient de fixer les principes, de les dégager

1) Le 28 juin, 1907.

dans toute leur force et leur influence lumineuse, bien que, dans ce terrain, la matière nous paraisse épuisée, tant on a dépensé de raison, d'autorité et d'éloquence dans ce débat de plus d'un siècle, soit de la part de ceux qui acclament la réforme, soit de celle de ceux qui la condamnent.

Pour ce qui touche, donc, à ce côté de nos travaux, mon contingent serait trop faible, sinon tout à fait inutile, et je ne risquerais pas la témérité de prendre à d'autres une place, à laquelle je ne me reconnais aucun droit. Mais l'attitude historique de mon pays envers l'idée dont on vous conseille l'adoption dans la proposition américaine déjà soumise à votre examen, m'impose le devoir de prendre la parole pour une déclaration qui, en rappelant notre passé international dans ce litige, définisse clairement et solidement l'attitude brésilienne dans la question. Notre place est assez modeste, nous le savons bien, au concert des nations, où les grandes puissances pèsent de toute la majesté de leur prépondérance. Mais nous n'en prisons pas moins notre cohérence et le respect de nos traditions, en nous honorant de notre fidélité aux bons souvenirs nationaux, quand il se trouve que le temps et les intérêts n'ont fait que les maintenir et les enraciner, avec de plus en plus de force, et de plus en plus d'actualité.

'A ce point de vue, par rapport à la condamnation du droit de capture, soit qu'il s'exerce par la course, soit qu'il devienne un privilège des marines de guerre, rien de plus remarquable que l'exemple des États-Unis, dont le langage dans la proposition soumise aux Conférences de la Paix en 1899 et 1907 ne fait que reproduire une thèse contemporaine du berceau de la grande république, où elle a été défendue en 1783 dans ses négociations avec la Grande Bretagne, en 1785 dans le traité avec la Prusse, en 1823 dans le projet de convention avec la Russie, en 1854 dans la réponse de Buchanan à Lord Clarendon, à propos de la guerre de Crimée, et, de 1856 à 1858, dans son refus d'accéder aux déclarations du congrès de Paris.

Dès cette époque là, c'est à dire depuis le premier moment où la question nous a été posée, le gouvernement brésilien a adhéré au principe de l'inviolabilité de la propriété privée sur mer. Comme vous savez, Messieurs, les Etats-Unis ont refusé de souscrire à l'abolition de la course, en la considérant inconséquente, inique et, comme telle, inadmissible, si l'on ne l'associait à la règle absolue de l'inviolabilité de la propriété privée dans la guerre maritime. Jamais, depuis le dix-huitième siècle, la République Nord-Américaine n'avait cessé de soutenir l'inséparabilité entre les deux aspirations libérales de la suppression de la course et de l'extinction du droit de capture. En s'opposant par ce motir à l'article 1er de la Déclaration de Paris, qui abolissait simplement la course, le cabinet de Washington adressa, le 5 novembre 1856, une note à celui de Rio de Janeiro, dans laquelle il l'invitait à l'accompagner sur les deux points. Son langage était le même de M. Buchanan, deux années avant, à Lord Clarendon et du président Pierce, le 4 décembre 1854, dans son message au Congrès.

Si les principales puissances de l'Europe", disait ce président,,,s'accordent à proposer, comme principe de droit international, d'exempter la propriété particulière sur l'Océan de toute saisie, par les croiseurs armés par un Etat, de même que par les corsaires, nous sommes prêts à nous rencontrer avec elles sur ce large terrain."

Pareillement dans la note sus-mentionnée, deux ans après, le ministre américain dans la capitale brésilienne disait au gouvernement impérial:,,Le soussigné a reçu du président l'ordre de proposer au gouvernement du Brésil d'entrer dans une entente pour acquiescer aux quatre principes de la déclaration du Congrès, moyennant la modification du premier de ces principes specifiée dans la note de M. Marcy, du 28 juillet 1858, au comte de Sartiges. Sans cette modification le président sera tenu, par plusieurs raisons importantes, dont quelques-unes s'y

trouvent exposées, de ne pas accéder au premier principe de la déclaration."

Dans la note à laquelle se rapporte celle-ci, M. Marcy, Ministre d'État à Washington, s'adressait à M. de Sartiges, Envoyé Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire de la France aux États-Unis, en renouvelant la même protestation, la même revendication et la même proposition, qui, depuis Benjamin Franklin et Thomas Jefferson, signalaient, avec tant de cohérence et de fermeté, dans cette question, la politique nord-américaine.,,Le soussigné", disait le Ministre des Etats-Unis au représentant du gouvernement de Napoléon III,,,a reçu du président l'ordre de déclarer qu'il est prêt à donner son assentiment au principe de protection de la propriété particulière sur l'océan, de même que sur terre, du moment qu'on l'applique sans la moindre restriction."

Cette note était longuement raisonnée, et, en montrant les fâcheuses conséquences, pour l'intérêt général des nations, de la pratique maintenue par les termes incomplets de la Déclaration de Paris, concluait:

,,Le président propose, donc, qu'à la première clause de la déclaration du Congrès de Paris on ajoute ces mots: ,,,,Et la propriété privée des sujets ou citoyens d'une des puissances belligérantes sur la haute mer ne pourra pas être saisie par les vaisseaux de guerre nationaux de l'autre, exepté dans le cas de contrebande de guerre." Quelques mois après, c'est-à-dire le 2 décembre 1856, le président Pierce, dans son message annuel au Congrès, en reproduisant ce qu'il avait dit en 1854, insistait avec la même précision dans cette ligne de conduite.,,J'ai exprimé", disait-il, ,,de la part de ce gouvernement la disposition d'accéder à tous les principes contenus dans la Déclaration de Paris, pourvu que l'on altère celui concernant l'abandon de la course dans un sens qui réalise l'objet qu'il a dû avoir en vue, c'est-à-dire, l'immunité de la propriété privée sur l'océan à la capture hostile. Pour abou

tir à ce résultat, nous proposons d'ajouter à la déclaration que,,la course est et reste abolie" une addition, qui exempte de la capture par les vaisseaux de guerre d'un États belligérant la propriété des sujets et citoyens de l'autre sur l'océan".,,Cet amendement", ajoutait-il,,,a été présenté, non seulement aux puissances qui ont demandé notre acquiescement à la déclaration qui éteint la course, mais encore à tous les autres États maritimes. Aucun d'eux, jusqu'ici, ne l'a repoussé, et tous ceux qui nous ont répondu, l'ont accueilli tavorablement."

En effet, la France, la Prusse, la Russie, les PaysBas, la Sardaigne se montrèrent disposées à accepter la proposition américaine d'abolir tout ensemble la course et la capture des bâtiments de commerce ennemis et leurs cargaisons. La Grande Bretagne elle-même,,reconnût dans l'amendement proposé par le gouvernement américain un principe équitable", et déclara qu'elle,,ne voyait aucune objection à en faire l'objet d'une délibération commune, tout en annonçant qu'elle pourrait se trouver amenée, dans l'examen des détails de la question, à faire quelques réserves, qui pourraient être soumises, en temps et lieu, à l'appréciation des puissances appelées à discuter la matière."

En répondant à la proposition américaine, le gouvernement du Brésil ne s'est pas mis d'accord avec elle pour Ice qui était de nier son assentiment à l'art. 1er de la Déclaration de Paris. Loin de ça, il l'applaudit. Mais, en même temps, il s'associa avec effusion à l'initiative des Etats-Unis pour que l'on établit l'immunité complète de la propriété particulière ennemie dans la guerre navale.

Voici les termes de notre déclaration, consignée dans

1) MOORE: International Law Digest, vol VII, sect. 1064-1336, p. 564, 565. 2) Dépêche de M. de Creptowitch, Ambassadeur de la Russie à Londres, en date du 15 novembre 1856. VIDARI: Del' rispetto della proprietà privata fra gli Stati in guerra, p. 204 not 2. LAVELEYE: Du respect de la propriété privée, p. 17, DE BOECK: De la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi, p. 117-118.

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