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je lui ferois part du projet le moins dangereux. Je me proposois de renverser, par tous les moyens imaginables, le noir complot des jacobins, ou du moins d'en faire différer l'exécution, et de donner au roi le temps nécessaire pour son départ.

Le moyen qui me parut le plus propre à déjouer cet infâme projet fut d'en rendre publiques les moindres circonstances, en répandant une infinité de pamphlets. Je les fis distribuer par profusion, mais spécialement dans les faubourgs, sous les titres d'Horrible Complot contre Pétion, Nouvelles Conspirations contre la représentation nationale, Les faux sans-culottes démasqués, etc. etc. Je n'ignorois pas non plus que la populace, assez indifférente pour les pamphlets, dévoroit les placards collés sur les murailles. L'Ami des citoyens, par Tallien, imprimé sur du papier jaune, la Sentinelle, par Louvet, imprimée sur du papier, bleu, étoient sur-tout l'objet de son attention. J'imitai de mon mieux la violence patriotique du dernier ; je fis imprimer les détails précédens sur du papier semblable, et du mêine caractère ; j'intitulai le tout: La Sentinelle, No. 42; je la fis afficher sur le No. 4↳

que Louvet 'avoit donné la veille. De cette manière, mon histoire de conspiration fut lue dans tout Paris avant que les jacobins eussent eu le temps de l'arracher. J'avois prévu que ma feuille auroit ce destin; j'avois donc bien recommandé qu'on la placardât de nouveau sous des numéros différens, et qu'on en recouvrît les affiches de Louvet autant de fois qu'il en feroit paroître.

J'avois recommandé au juge de paix Buob d'envoyer des gens de confiance à portée de mes afficheurs, pour empêcher qu'on ne les troublât dans l'exécution de leurs ordres. Cette précaution n'étoit pas inutile. Plusieurs d'entr'eux furent attaqués par les espions des jacobins, et plusieurs rixes s'en suivirent. Un de mes agens eut trois dents fracassées; un assignat de cent livres l'en consola. Mais l'opposition qu'éprouva l'affiche de mon no. 44 fut assez forte pour l'empêcher; par-tout où elle fut tentée, les jacobins eurent l'avantage. Un de mes employés fut pris et conduit devant le juge-de-paix; mais comme il ne connoissoit pas celui qui remettoit les papiers, le juge ne tira de lui aucun renseignement essentiel.

Il déposa qu'un inconnu lui avoit proposé,

au nom de Louvet, d'afficher trente exemplaires de la Sentinelle dans les rues et carrefours dont on donnoit la liste; lui connoissant la Sentinelle du peuple pour un journal patriotique, s'en étoit chargé sans scrupule et avoit reçu cinq sols par chaque placard.

Le juge prit une lecture de la Sentinelle supposée et de la véritable. Il déclara qu'il ne voyoit nulle différence entre le style et les principes; que ces deux feuilles lui paroissoient également bonnes; qu'il seroit fort en peine de prononcer entre les nuances de leur patriotisme, et que le prisonnier ayant pu facilement s'y méprendre, il seroit mis en liberté.

Je n'oserois affirmer que ces pamphlets ayent été l'unique moyen qui prévint l'insurrection du 29, mais sûrement ils y contribuèrent.

Le roi, dans sa réponse à ma lettre où je le pressois de quitter la capitale, déclara formellement qu'il ne s'éloigneroit pas à plus de vingt lieues. Cette disposition étoit dans la constitution qu'il avoit juré d'observer, et dans le plan d'évasion que j'avois fait: j'avois eu égard aux scrupules autant qu'à la sûreté du roi.

M. du C. F. avoit assisté depuis quelques jours à nos conférences avec le consentement du roi. Son zèle, ses lumières nous furent singulièrement utiles dans cette importante crise. Après une mûre délibération entre lui, MM. Mont., Malouet et moi, je traçai le plan suivant :

Le château de Gaillon en Normandie sembla, pour le moment, une retraite convenable à la résidence de leurs majestés. Le bâtiment est vaste, le parc est étendu, et cette habitation est justement à 20 lieues de Paris.

Ce lieu unit à plusieurs avantages de situation celui d'être seulement à 18 lieues de la mer par la route d'Honfleur, et à 25 par celle de Fécamp. Cette famille royale, en cas de poursuites, seroit donc facilement en sûreté. M. M. . ., commissaire de la marine au Hâvre-de-Grace et royaliste zèlé, tiendra toujours en rade un vaisseau prêt à s'éloigner.

Je suis bien assuré qu'en cette partie de la Normandie le peuple, en général, est bien disposé pour le roi.

Il ne sera pas difficile à la famille royale de s'échapper du château à minuit, de traverser l'appartement du ministre de la liste

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civile, qui communique au château par la galerie du Louvre et n'en est séparé que par une cloison de planches. Une sen'e sentinelle garde ce passage; il sera très facile de l'endormir avec du vin ou de l'opium.

M. de la P. n'invitera personne à souper, excepté MM. de Mont. et de C. F., qui viendront sans aucune arme et dans leurs voitures à deux chevaux. Comme tous les soirs pareil nombre de carosses attend pour les personnes qui soupent chez M. de la P., on n'en pourra prendre d'ombrage. La famille royale y montera accompagnée de madame de T. et de deux femmes de chambre; M. Hubert, vêtu de gris, montera derrière l'une des voitures; un officier de la garde licenciée montera derrière l'autre.

Le roi et la reine se placeront ensemble dans le fonds, pour être moins vus.

Pour éviter les faubourgs et sortir de Paris le plus promptement possible, ils gagneront les boulevards, et ensuite la barrière blanche, moins soigneusement gardée que les autres ; ils reprendront la rue de Clichy et la route de St-Denis.

L'exécution du décret qui incorpore les gardes-suisses aux troupes de ligne, fournira

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