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ment un autre plan; mad, Elisabeth le trouva si dangereux, que dans la nuit du 8, elle m'envoya le baron de Gilliers pour s'informer si j'en étois l'auteur, et dans ce cas, me prier d'y renoncer. Les détails que me donna le baron me démontrèrent que le

projet n'étoit pas le mien. Je le priai d'informer madame Elizabeth que le départ du roi me paroissoit nécessaire ; que les moyens d'exécution tels que je les avois conçus, n'auroient jamais pu l'allarmer; mais qu'après les avoir goûtés, le roi avoit changé d'avis et ne paroi ssoit plus vouloir quitter la capitale.

Le plan dont mad. Elizabeth avoit eu tant d'effroi étoit, je l'ai su depuis, de faire partir la famille royale à l'instant, et de la conduire à Compiègne, afin de pouvoir, en cas de nécessité, quitter le royaume par les Ardennes et la principauté de Beaumont. Le comte d'Hervilly, sans cesse près du roi, avoit reconnu avant moi sa répugnance pour le projet du Gaillon: dans l'ardeur de son zèle, il avoit combiné celui-ci et l'avoit fait connoître et approuver à Coblentz par un homme du premier rang, qui fit exprès le voyage. Mais à son retour, en pas

sant à Bruxelles, il se permit une confidence indiscrète : le jour suivant, la gazette de Bruxelles rendit publics jusqu'aux moindres détails, et arrêta par conséquent l'exécution. Je ne veux point commenter un si singulier incident; le fait est avéré, mais j'en ignore les motifs.

Rien n'étoit plus allarmant que les rapports dont Buob et Gilles me faisoient part chaque jour sur l'état de Paris et les manœuvres jacobites. Déjà le jour, l'heure, le plan de l'insurrection étoient fixés ; le roi le savoit, et pourtant se flattoit encore, ou de tout empêcher, ou de fuir. J'ai su depuis que le 9 même on traitoit avec Pierre Brissot; qu'un agent secret, autorisé du roi, batailloit sur les conditions; que pour arrêter le complot, cet infâme demandoit 12 millions en espèces ou en lettres - de - change et un passe - port pour quitter le royaume. On eut probablement consenti si la liste civile avoit eu cette somme ; mais il est vraisemblable qu'on n'eût acheté qu'un délai.

Mon abcès avoit augmenté; je ne pouvois le 9 août, ni marcher, ni soutenir la voiture, mais un de mes amis qui s'étoit tenu au château pendant tout le jour, me rendit

?

compte de ce qui s'y passoit et des mesures de sûreté que l'on avoit prises. Les bataillons de Gardes-Nationales étoient disposés pour le roi ; les Gardes-Suisses dévoués à sa personne étoient d'une bravoure et d'une fidélité reconnues. Enfin, des gentilshommes des royalistes de tout rang étoient en foule dans le château pour soutenir les troupes, et leurs forces réunies eussent donné le temps d'attendre les trois mille hommes de Courbevoye, s'ils eussent reçu l'ordre assez tôt. Mais le 10 même, si le roi fut resté au château, s'il eut attendu leur arrivée que son départ devança d'un moment, il eut repoussé l'insurrection de ce fatal jour. En cédant à des sollicitations peut-être perfides, mais sûrement funestes, il vint prendre un azile parmi ceux qui lui préparoient une prison, des chaînes et la mort.

Je ne retracerai pas les événemens de ce jour de sang; tous ses momens marquèrent autant de crimes; ils sont trop bien connus et le souvenir en est trop affreux. Une seule circonstance pourra prouver dans quelle inconcevable illusion la reine étoit encore dans la loge même du Logographe. On tiroit le canon sur la place; de féroces pétitions demandoient

demandoient qu'on détrônât le monarque, et la reine se fiant sur la réponse que le président avoit adressée au roi, dit au comte d'Hervilly, alors placé derrière elle :

"Eh bien! n'avons-nous pas bien fait de " venir?"

Je désire bien sincèrement, répondit-il, que votre majesté pense de même dans six

mois.

M. d'Hervilly eut plus d'une fois, dans ce fatal jour, à y déployer l'héroisme du courage et l'énergie du caractère qui le distinguoient éminemment. Le danger disparoissoit à ses yeux dès qu'une occasion se présentoit deprouver son zèle et son attachement pour le roi. Quelle intrépidité, quel calme ne montra-t-il pas dans ce moment terrible où le canon foudroyoit le château! Un détachement de Gardes-Suisses, sans ordre

, y

pour ne pas tirer étoit resté seul après le départ du roi. Le feu le plus vif continuoit. Plusieurs des députés parurent consternés de cette résistance, et se plaignirent qu'on ne l'eut pas interdite aux Gardes-Suisses. Un ministre leur déclara que le roi l'avoit déja fait, et l'on exigea à l'instant que l'ordre, en fut donné de nouveau. Il ne paroissoit Tome III.

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pas possible de parvenir jusqu'au château. Le roi comptant sur les heureux effets de cette preuve de confiance et de bonté, parut fort affligé de ne pouvoir envoyer d'ordre à M. d'Hervilly. Quoique persuadé qu'en se rendant à l'assemblée, le roi avoit choisi le plus détestable parti, qu'après une pareille démarche il alloit être.détrôné sûrement et sacrifié peut-être, M. d'Hervilly néanmoins offrit de porter l'ordre du roi, en se promettant d'en faire l'usage que la sûreté du monarque et de sa famille exigeoit. Le roi et la reine, pénétrés d'une si touchante preuve d'attachement, craignoient trop d'exposer un de leurs plus fidèles serviteurs ; ils lui saisirent le bras pour l'empêcher de sortir; ils serroient ses mains dans les leurs : mad. Elizabeth éprouvoit les mêmes sentimens, et tous les trois, les larmes aux yeux, le conjurèrent de ne pas s'exposer. Le zèle de M. d'Hervilly, plus animé encore par ces témoignages d'intérêt, insiste fortement pour sa proposition.

Je prie vos majestés de ne point songer à mon danger, dit-il; mon devoir est de le braver pour vous servir, mon poste est aux coups de fusils, et si je les craignois, je serois indigne du nom de soldat.

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