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que le Sénat se refusât à devenir un tribunal politique, car les arrêts de ces tribunaux sont toujours contestés. Le Sénat se déclara compétent et les membres de la droite s'abstinrent de prendre part aux délibérations. La Haute-Cour condamna les accusés qui avaient fait défaut, à la déportation dans une enceinte fortifiée (14 août 1889). Élections du 22 septembre et du 6 octobre 1889. Ce procès avait porté un coup sensible au parti du général Boulanger, car bien des accusations avaient été dirigées contre l'homme privé et sa moralité. Le général n'était point venu se défendre. Aussi, malgré l'activité que déployèrent partout ses comités, les élections du 22 septembre pour le renouvellement de la Chambre des députés amenèrent-elles la défaite du parti, qui avait espéré au contraire y obtenir un triomphe éclatant. A ces élections sur lesquelles le général avait compté comme sur un plébiscite qui devait lui frayer le chemin du pouvoir, c'est à peine si, au premier tour, 22 députés boulangistes furent élus contre 230 républicains, 87 royalistes, 51 bonapartistes. A Paris même, le général Boulanger n'obtenait plus, dans l'arrondissement de Montmartre, que 2 000 voix de plus que son concurrent. Aux élections complémentaires le nombre des députés républicains se trouva porté à 336, celui des boulangistes à 38 les partis monarchiques comptaient 172 représentants. C'était une déroute complète du parti boulangiste, qui s'émietta, car tous les chefs se reprochèrent des fautes mutuelles et beaucoup récriminèrent contre la défection du général. Les royalistes, qui s'étaient alliés plus ou moins ouvertement au général Boulanger, sortirent aussi de ces élections singulièrement affaiblis, et la presse retentit de discussions qui réjouirent les républicains triomphants. La nouvelle Chambre se réunit le 12 novembre 1889, et nomma pour son président M. Floquet. Quoique peu nombreux, les députés boulangistes intervinrent bruyamment dans les débats, surtout quand on délibéra sur la validation de l'élection du général Boulanger, réellement nommé à Montmartre. Mais la Chambre, déclarant le général inéligible et nuls les bulletins qu'il avait recueillis, valida au contraire son concurrent Joffrin.

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Le 8 février 1890, les Parisiens furent tout surpris d'apprendre l'arrivée et l'arrestation du jeune duc d'Orléans, fils aîné du comte de Paris. Le jeune duc, qui venait déjà d'atteindre l'âge de la conscription réclamait son inscription, sur les listes du contingent et demandait à accomplir son service militaire. Le gouvernement le traduisit devant le tribunal correctionnel pour avoir violé la loi d'expulsion des princes, et le tribunal le condamna à deux ans de prison (12 février). On transféra le jeune duc à Clairvaux, dont les portes lui furent ouvertes quelques mois plus tard (3 juin).

Ministère Freycinet (17 mars 1890). — Le ministère qui avait présidé aux élections générales et fait les élections s'était trouvé embarrassé devant la Chambre nouvelle et, après quelques tiraillements, se retira sur un vote en apparence insignifiant du

Sénat. M. de Freycinet constitua un nouveau cabinet, d'accord avec M. Constans, ancien ministre de l'intérieur (17 mars 1890).

Ce ministère ne tarda pas à se trouver aux prises avec la redoutable question sociale; des manifestations ouvrières étaient annoncées en France comme dans toute l'Europe pour le 1er mai. Ces manifestations devaient appuyer les revendications formulées par les congrès socialistes. Elles furent néanmoins pacifiques, et quelques villes à l'étranger furent seules le théâtre d'actes violents. Pour ramener les esprits des ouvriers, le ministère se montra particulièrement résolu à étudier les problèmes du travail. La France avait envoyé des délégués à la conférence convoquée par l'empereur Guillaume II à Berlin. Le ministère s'occupa de faire passer dans les lois quelques-unes des mesures qui avaient obtenu un assentiment général. Il voulait assurer aux travailleurs, surtout aux femmes, aux enfants, une protection plus sérieuse. Il faisait faire une vaste enquête sur la situation sociale, économique et légale de la classe ouvrière. Il préparait des projets organisant l'assistance publique dans les campagnes et instituant des retraites avec le concours de l'Etat en faveur des ouvriers. Il avait aussi beaucoup à se préoccuper du régime commercial de la France, car les traités de commerce expiraient en 1892; les ministres s'engageaient à n'en renouveler aucun, mais à soumettre à la Chambre un tarif général des douanes. Ces promesses satisfirent la Chambre, dont la majorité était acquise aux idées protectionnistes.

Le ministère Freycinet entreprit en outre une modification de l'impôt foncier qui tendait à un dégrèvement de la propriété non bâtie. Il eut, à l'extérieur, à régler les questions africaines par l'accord avec l'Angleterre sur le partage du sultanat de Zanzibar. Manifestations franco-russes; suicide du général Boulanger (1891). En 1891, le ministère marcha sur un terrain plus affermi. Les partis opposants se renvoyaient des reproches cruels beaucoup de notabilités s'en détachaient solennellement. Des chefs même du clergé, encouragés par le pape lui-même, tout en faisant leurs réserves sur la politique religieuse du gouvernement, déclaraient que l'Église ne combattait aucune forme de gouvernement et tendaient à distinguer de plus en plus la religion de la politique. Le parti boulangiste, presque dissous, frappé encore par les révélations piquantes de M. Mermeix, les Coulisses du boulangisme, se vit enfin privé de son chef. Le 30 septembre 1891, le général Boulanger, qui de Jersey s'était réfugié à Bruxelles, se suicida au cimetière d'Ixelles sur la tombe d'une femme, à la façon d'un héros de roman.

1. Le ministère fut composé de M. de Freycinet, président du Conseil et ministre de la guerre; M. Constans, ministre de l'intérieur; M. Fallières, de la justice et des cultes; M. Bourgeois, de l'instruction publique; M. Develle, de l'agriculture; M. Jules Roche, du commerce: M. Yves Guyot, des travaux publics; M. Ribot, des affaires étrangères

Cette fin mélodramatique donnait une conclusion assez scandaleuse à cette équipée boulangiste qui restera comme une aventure curieuse et en même temps un enseignement, car elle démontrait qu'un soldat ne pouvait aboutir qu'à une triste destinée s'il quittait la route droite du devoir militaire et se laissait aveugler par une ambition malsaine.

L'armée d'ailleurs, par son travail incessant, par l'imposante revue de cent mille hommes que passa, près de Vitry-le-François, le général Saussier, à la suite des grandes manœuvres, montrait qu'elle entendait rester étrangère aux mouvements politiques. Elle a une mission supérieure qu'elle ne perd point de vue la défense du

pays.

Cette défense, préparée par des progrès continuels dans l'instruction, l'équipement, l'armement des troupes, l'organisation des ser-vices auxiliaires, les convocations régulières des milices de la réserve et de l'armée territoriale, paraissait d'autant mieux assurée que la diplomatie française recueillait le fruit de la paix rétablie à l'inté rieur. Des incidents fâcheux provoqués au printemps par un voyage de l'impératrice Frédéric d'Allemagne à Paris et les efforts faits pour attirer nos artistes à une Exposition de peinture à Berlin avaient réveillé les susceptibilités des deux nations. L'empereur Guillaume II en avait profité pour renouveler bruyamment les traités de la Triple Alliance. Mais l'empereur de Russie se rapprocha au contraire de la France. Au mois d'août 1891, la flotte française, conduite par l'amiral Gervais, visita les côtes des contrées du Nord et se rendit à Copenhague, à Stockholm, à Cronstadt. L'éclat, l'enthousiasme de la réception des marins français par les Russes donnèrent à cette manifestation l'importance d'un événement politique, et un télégramme de l'empereur de Russie à M. Carnot ajoutait encore à cette importance. La France y répondit par des ovations à l'ambassadeur russe, au grand-duc Alexis, et, dans toutes les villes, les musiques jouaient l'hymne national russe. La France donna, le 15 octobre, une preuve plus éclatante encore du prix qu'elle attachait à l'alliance russe : Un emprunt russe fut couvert sept fois et demi par les capitalistes français. Ces démonstrations des Russes, lors de la visite de la flotte française à Cronstadt, éveillèrent les inquiétudes de l'Allemagne, et l'Angleterre, qui avait semblé pencher du côté de la Triple Alliance, voulut faire à la flotte française à son retour une réception aussi solennelle que celle de Cronstadt. La reine d'Angleterre vint à Portsmouth la passer en revue, et les fêtes succédèrent aux fêtes, et la France, qui depuis vingt ans était isolée en Europe, se vit recherchée, courtisée même. Ce succès, qui lui rendait confiance, l'encourageait aussi dans la voie du travail sérieux, de l'union des citoyens et de la sagesse.

XXIII. La guerre franco-allemande de 1870-187!.

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XXVI. Le mouvement politique. L'Europe contemporaine et
les principes de 1789..

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XXVII. L'Europe contemporaine. Le mouvement intellectuel

depuis 1848.

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XXVIII. L'Europe contemporaine. Le mouvement économique
et social au dix-neuvième siècle.

873

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