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100 de droit de sortie de tous les objets achetés dans les états du roi et transportés en Pologne; s'ils tirent les mêmes objets de l'étranger, ils en payeront un droit de 12 pour 100. Le sel qui entrera en Pologne par la Vistule sera exempt de tout impôt.

Ainsi fut consommé le premier partage de la conclusion. Pologne. On demande ici naturellement quel effet cet événement produisit sur deux grandes cours qui paroissoient le plus vivement intéressées au maintien de la république polonoise, la France et la Grande-Bretagne. Le cabinet de Londres, qui faisoit alors sa cour à l'impératrice de Russie pour la dégager de l'alliance prussienne, paroît n'avoir tenté aucune démarche pour prévenir ou sauver la république; et il se contenta, pour l'intérêt du commerce anglois, d'exciter Catherine à ne pas laisser tomber Dantzig et Thorn au pouvoir du roi de Prusse. Quant à la France, son système étoit essentiellement pacifique. Le duc d'Aiguillon, qui avoit succédé au duc de Choiseul dans le ministère des affaires étrangères, confirmoit le roi dans la persuasion que le rôle passif étoit le seul qui convint à la situation de la France, et que, pour écarter de ses états le fléau de la guerre, il falloit éviter de s'engager dans des querelles qui ne l'intéressoient qu'indirectement, et dont la distance des lieux pouvoit dispenser de s'occuper. Ce ministre dit à Louis XV qu'il pouvoit d'autant mieux s'aban

donner au penchant de son cœur, qu'il n'avoit contracté qu'une seule obligation formelle, celle de secourir la maison d'Autriche, si elle étoit attaquée dans ses possessions.

Soit que le duc d'Aiguillon eût été mal servi par les ministres que la France entretenoit à l'étranger, soit que ses préventions l'eussent empêché d'ajouter foi à leurs rapports 1, tou

'On sait que, lorsque Louis XV apprit la nouvelle du démembrement de la Pologne, il dit avec humeur : Cela ne seroit pas arrivé, si cet autre (Choiseul) eût été ici. Les partisans du duc d'Aiguillon, voulant le disculper, répondirent alors que le prince Louis de Rohan, qui étoit ambassadeur du roi à la cour de Vienne, s'étant laissé amuser par des parties de plaisir, n'apprit qu'avec tout le monde le traité de partage dont il ne donna par conséquent au gouvernement françois que des avis trop tardifs. La légèreté connue de ce prélat accrédita une opinion qui est presque devenue un fait historique; et on en a si peu douté, que l'on n'a pas même réfléchi que l'ignorance du cardinal de Rohan n'explique pas celle des ministres de France à Saint-Pétersbourg et à Berlin (M Sabathier et le marquis de Pons), qui, à ce qu'il paroît, ne se doutèrent pas de la négociation qui étoit sur le tapis.

Le premier qui ait essayé de venger la mémoire de cet ambassadeur est l'auteur anonyme, quoique bien connu, et pour cela digne de foi, des Souvenirs du comte de *** sur le premier démembrement de la Pologne en 1772, qui se trouvent dans le même volume avec les Lettres particulières du baron de VIOSMÉNIL (Paris, 1808, in-8°). On y lit, p. 125, ce qui suit: « En 1779 ou 1780, un jour que je trouvai ce prélat (le cardinal de Rohan) encore plus disposé à causer qu'à l'ordinaire, je

jours est-il certain qu'il ne sut le démembrement de la Pologne, ou qu'au moins il n'y

lui demandai si ces bruits avoient quelque fondement. Il m'assura que non; que, parfaitement instruit de ce qui se passoit chez l'empereur, l'impératrice-reine et le prince de Kaunitz, il en avoit toujours exactement informé M. d'Aiguillon; mais que la cour, fermement décidée à rester en paix, avoit dissimulé son mécontentement, et cherché en même temps à rejeter sur qui elle pourroit le blâme de sa pusillanimité; qu'au reste ses dépêches, qui étoient au dépôt des affaires étrangères, justifioient ce qu'il avançoit. Le cardinal parla si affirmativement, qu'il me parut inutile de faire aucune vérification. »

Nous avons toujours regretté que l'auteur des Souvenirs, ayant été à même de vérifier l'assertion du cardinal, ne l'ait pas fait. Cette vérification auroit peut-être empêché M. de FLASSAN de commettre une injustice. Voici ce que cet écrivain, qui nous paroît avoir jugé le cardinal un peu trop avec les yeux du baron de Breteuil, son successeur et son ennemi irréconciliable, dit, Vol. VII, p. 122 de son Histoire de la diplomatie fran çoise: « Le prince Louis de Rohan se trouvoit à Vienne au moment du premier partage de la Pologne; et sa présence, dans une aussi difficile conjoncture, fut d'une foible utilité. Il paroît même qu'il ignora complétement le projet de partage. » Il nous paroit que M. de Flassan ayant été, comme l'auteur des Souvenirs, à même de vérifier le fait dans le dépôt des affaires étrangères, n'auroit pas dû nous laisser dans l'incertitude à son égard, surtout après la publication de la Correspondance de VIOSMÉNIL.

Le cardinal a trouvé un défenseur dans la personne de l'abbé GEORGEL, qui lui fut attaché comme secré

crut, que lorsque le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur de l'empereur en France, vint lui

taire d'ambassade. Les Mémoires de ce jésuite prouvent les faits suivans:

1o. Le prince Louis de Rohan arriva à Vienne le 6 janvier 1772, ainsi à une époque où la négociation entre les cours copartageantes étoit bien avancée, et, trois semaines avant cette conversation, entre le prince de Kaunitz et le prince Galitzin qui décida le premier à prendre une part au démembrement (Voy. ci-dessus, p. 35).

2o. Les instructions dont le duc d'Aiguillon l'avoit muni, prouvent qu'à cette époque la cour de Versailles étoit dans l'intime conviction que celle de Vienne favorisoit l'insurrection des Polonois confédérés ; l'ambassadeur étoit chargé de l'entretenir dans cette disposition.

3o. Il trouva à Vienne M. Durand, qui remplissoit les fonctions d'envoyé, et continua à les remplir pendant que le prince étoit revêtu du caractère d'ambassadeur extraordinaire. M. Durand ne fournit à l'ambassadeur aucune donnée qui pût faire soupçonner à celui-ci l'importante négociation qui occupoit alors le cabinet de Vienne, et dont le duc d'Aiguillon ne se doutoit nullement.

4°. Un mois après son arrivée à Vienne, le prince de Rohan, trouvant de l'embarras dans les conversations du prince de Kaunitz, conçut des doutes sur sa franchise, voulut les mander au duc d'Aiguillon, et en fut empêché par M. Durand qui l'assuroit qu'il se trompoit.

5. Dans une conférence du 1er ou 2 mars 1772, le prince de Kaunitz dit à l'ambassadeur que l'impératrice-reine ne souffriroit pas que l'équilibre fût rompu par un démembrement qui donneroit trop de prépondérance à des cours voisines et rivales. Cette déclaration parut entièrement satisfaisante à M. Durand, tandis

annoncer «< que le danger que les troupes autrichiennes couroient, en s'opposant seules aux

que le prince la jugea équivoque, comme elle l'étoit en effet, puisque, dans le sens du prince de Kaunitz, elle ne disoit autre chose sinon que sa souveraine ne consentiroit pas à un partage de la Pologne, dans lequel sa part en seroit pas très-forte. L'ambassadeur et le ministre n'ayant pu s'accorder, chacun fit sa dépêche particulière; celle du prince Louis est du 2 mars 1772.

69. Le duc d'Aiguillon y répondit que, la conjecture de l'ambassadeur étant incompatible avec les assurances positives de la cour de Vienne et sans cesse renouvelées par le comte de Mercy, son ambassadeur, et par les promesses toutes récentes faites à M. Durand, il falloit abandonner ce fil qui ne pouvoit qu'égarer, et s'en tenir à la marche indiquée par les instructions.

7°. Malgré cette espèce de réprimande, l'ambassadeur continua à persévérer dans son opinion, et à mander au duc d'Aiguillon divers événemens qui se passoient et qui auroient ouvert les yeux à un homme moins préoccupé que le duc d'Aiguillon.

Ces faits, dont les preuves se trouvent, dit-on, dans les archives des affaires étrangères, justifient complétement le prince de Rohan du reproche qu'on lui a adressé. L'abbé Georgel, qui a ainsi vengé la mémoire de son bienfaiteur, nous laisse cependant ignorer une chose. Comment les phrases mesurées du prince de Kaunitz, qui possédoit au suprême degré le talent de cacher ses pensées sous une apparence de sincérité, ontelles produit sur l'esprit d'un homme aussi superficiel et aussi nouveau en politique que le prince de Roban, un effet entièrement différent de celui qu'elles firent sur M. Durand, diplomate expérimenté ? Cette sagacité de la part d'un jeune ambassadeur livré à la dissipation a quelque chose d'incroyable.

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