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est un bénéfice de la loi, qui fait obstacle à l'exercice de l'action publique et à toute poursuite qui, en définitive, serait frustratoire et produirait un effet contraire au but que s'est proposé le législateur; d'où il suit que la question de prescription doit être décidée préliminairement, soit par la chambre du conseil, que l'article 128 charge de déclarer, lorsqu'il y a lieu, qu'il n'existe ni crime ni délit punissable, sauf l'opposition autorisée par l'article 135, soit par la chambre d'accusation, sauf le recours en cassation 1. >>

§ IV. Examen des faits incriminés.

2068. Le juge d'instruction, après avoir reconnu sa compétence et la recevabilité de l'action, doit examiner si le fait constitue un crime, un délit ou une contravention; en d'autres termes, s'il est prévu et puni par la loi.

Pour qu'il soit punissable, deux conditions sont nécessaires : il faut que l'une des dispositions de la loi pénale lui soit applicable; il faut qu'il soit imputable à l'agent.

Il n'est pas sans difficulté de reconnaître le véritable caractère d'un fait et de désigner la disposition pénale qui devra lui être appliquée. Cette opération exige l'examen attentif de toutes les circonstances de l'acte et la connaissance complète de tous les textes de la loi. Or, d'une part, les actions humaines, à raison des formes multiples qu'elles revêtent, ne sont pas toujours faciles à caractériser. Tantôt, par le dol dont elles sont empreintes, elles participent de la nature de quelque délit, sans réunir néanmoins tous les éléments qui le constituent; tantôt, placées sur la limite de plusieurs incriminations, elles semblent appartenir à la fois, là par la similitude de l'acte matériel, ici par sa tendance et son but, à l'une et à l'autre. D'une autre part, la loi pénale, qui ne prévoit que des catégories de faits et ne pose que des règles générales, doit nécessairement laisser à l'interprétation l'application de ses incriminations à chaque fait spécial.

De là il suit que le juge d'instruction doit constater avec exactitude chacun des éléments constitutifs du crime ou du délit que présente l'instruction; car il ne peut y avoir de prévention de crime ou de délit qu'autant que toutes les conditions de l'incrimination de la loi peuvent être présumées se trouver dans les 1 Cass. 18 juin 1812 (J. P., tom. X, p. 485).

faits qui font l'objet de la poursuite; et il suffit que l'une de ces conditions soit écartée, pour que la prévention elle-même doive être déclarée dénuée de fondement. Ainsi, en matière de vol, si le juge, tout en constatant une soustraction de la chose d'autrui, ne reconnaît pas de fraude; si, en matière de meurtre, il n'aperçoit pas la volonté de tuer; si enfin, à l'égard de tout délit moral, il ne constate pas l'élément intentionnel, il est clair qu'il doit écarter la prévention; car, en effaçant l'un des caractères essentiels du délit, il efface le délit lui-même. Ce point a été plusieurs fois confirmé par la jurisprudence.

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Ainsi, en matière de faux témoignage, la Cour de cassation a reconnu que la chambre d'accusation, et par conséquent le juge d'instruction, peut examiner si la fausse déposition a été faite de mauvaise foi et dans une intention criminelle. Cet arrêt porte : qu'il appartient aux chambres d'accusation et au jury d'examiner les circonstances dans lesquelles le témoin s'est trouvé, d'apprécier sa bonne foi et l'influence qu'il se proposait d'exercer sur le sort de l'accusation à l'occasion de laquelle il a déposé 1. » En matière de faux, la même Cour a déclaré : « que les chambres d'accusation, chargées par la loi d'examiner s'il existe des indices suffisants de culpabilité, sont, par cela même, investies du droit d'apprécier les circonstances qui peuvent dépouiller le fait imputé au prévenu de tout caractère de criminalité; que Catherine Dumoulin était poursuivie pour s'être fait écrouer au greffe de la maison de correction de Valence, sous le nom de sa sœur, afin d'y subir la peine d'un mois d'emprisonnement, à laquelle cette dernière avait été condamnée; qu'après avoir reconnu que ce fait constituait un crime de faux, et conséquemment un faux préjudiciable, la cour de Grenoble (chambre d'accusation), en déclarant qu'il n'avait été accompagné d'aucune intention criminelle, et que la prévention ne se trouvait pas suffisamment établie, n'a point excédé les pouvoirs qui lui avaient été confiés par la loi 2. » En matière de provocation à la désobéissance aux lois, il a encore été reconnu : « que, s'il appartient à la Cour de cassation d'apprécier, au point de vue légal, les qualifications données par les cours aux faits par elles déclarés constants, il est vrai aussi que les chambres d'accusation, investies par la loi du droit d'examiner 1 Cass. 17 mars 1827 (J. P., tom. XXI, p. 261).

2 Cass. 17 févr. 1838 (Bull., no 45).

s'il existe des indices suffisants de culpabilité, sont par cela même investies de celui d'apprécier souverainement et sans contrôle les circonstances qui peuvent dépouiller le fait imputé au prévenu de tout caractère de criminalité, et qu'en fait de crime ou de délit, il n'y a pas de criminalité possible là où le fait matériel poursuivi est dépouillé de toute intention de nuire; qu'ainsi, en fondant surtout sa décision sur l'absence de toute intention criminelle, la cour n'a fait qu'user du droit d'appréciation qui lui appartenait . »

2069. Il y a peut-être lieu de remarquer que ces deux derniers arrêts n'ont pas déterminé assez nettement dans leurs motifs la règle qu'ils appliquent. Le pouvoir des juges d'instruction et des chambres d'accusation de rejeter la prévention lorsqu'ils ne trouvent dans les faits aucune intention coupable dérive, non, comme le disent ces arrêts, du droit d'examiner s'il existe des indices suffisants, mais du droit d'examiner si le fait, tel qu'il est constaté par l'instruction, a les caractères d'un crime ou d'un dělit. L'intention criminelle, en effet, est un des éléments de l'infraction, et non une charge de la procédure. A la vérité, il y a lieu d'examiner s'il y a ou s'il n'y a pas des indices suffisants de cette intention; mais lorsque ces indices n'existent pas, ce n'est que par suite du droit que le juge d'instruction a d'examiner le caractère général du fait qu'il peut déclarer que ce fait, manquant de l'élément intentionnel, n'est pas un délit.

Il est dès lors nécessaire que la décision qui rejette la prévention, en se fondant sur l'absence d'une intention criminelle, déclare nettement que cette intention ne résulte pas des faits établis par l'instruction; il ne suffirait pas d'invoquer, par exemple, les antécédents favorables du prévenu ou des faits qui peuvent modifier sa culpabilité sans la détruire; car s'il appartient au juge d'écarter une prévention dénuée de fondement, il ne lui appartient pas d'écarter une prévention fondée, par cela seul que le prévenu lui semblerait mériter quelque intérêt. C'est le sens d'un arrêt de la Cour de cassation, qui prononce l'annulation d'un arrêt de la chambre d'accusation de Poitiers: « Attendu que la chambre d'accusation a déclaré, en fait, dans l'arrêt attaqué, qu'il paraissait constant qu'un faux matériel avait été commis par 1 Cass. 20 déc. 1844 (Bull., no 408).

Geoffroy, qui de la sorte a manqué au devoir de sa profession d'huissier, et s'est au moins rendu coupable d'un fait indélicat et fort répréhensible; que, cependant, après une telle déclaration en fait et ainsi qualifiée, elle a confirmé l'ordonnance de la chambre du conseil et ordonné la mise en liberté du prévenu, et ce par le motif qu'il n'existait pas assez d'indices pour penser que l'altération qu'avait subie la pièce argüée de faux n'avait pas été autorisée tacitement ou expressément par le garde champêtre signataire de ladite pièce; duquel motif il pourrait être induit seulement qu'au lieu d'un seul prévenu, il aurait pu y en avoir deux par le résultat des poursuites; et par cet autre motif que, dans une contestation purement civile, l'inculpé a pu croire que des changements opérés sur un procès-verbal non contradictoire n'avaient aucune importance réelle, pouvaient ne pas influer sur l'opinion du juge de paix saisi du litige, et encore d'après les antécédents favorables de l'inculpé; en quoi faisant, la chambre d'accusation a usurpé les fonctions réservées au jury de jugement'.

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Il importe donc de distinguer, pour régler la compétence du juge d'instruction, entre les faits qui constituent l'un des éléments du délit et les faits accessoires qui ne font qu'en modifier la criminalité. Il peut apprécier les premiers, puisqu'il est chargé de constater l'existence même du délit; il ne peut apprécier les autres, puisqu'il n'est point chargé de déterminer le degré de sa criminalité.

2070. Mais il ne suffit pas, pour constituer une prévention, que le fait, considéré en lui-même, ait les caractères d'un crime, d'un délit ou d'une contravention; il faut qu'il soit imputable à l'agent. Car il importerait peu qu'il fût en général punissable, s'il ne l'était pas dans la personne de l'individu auquel il est imputé ce que la justice pénale flétrit, ce ne sont pas des actes pris abstractivement, ce sont les agents qui se sont rendus responsables de ces actes. Le juge doit donc apprécier, non la culpabilité des prévenus, mais leur imputabilité.

Aux termes de la loi pénale, les crimes et délits cessent d'être imputables, 1 lorsque l'agent était en démence au temps de l'action (art. 64 C. p.); 2° lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister (art. 64 C. p.); 3° en matière d'ho1 Cass. 25 avril 1833 (J. P., tom. XXV, p. 407).

micide ou de coups et blessures, lorsque ces actes étaient ordonnés par la loi ou commandés par l'autorité légitime (art. 327 C. p.); 4° lorsqu'ils étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui (art. 328).

Il est clair que le juge d'instruction doit connaitre les faits de démence, de force majeure ou de légitime défense, puisque ces faits dégagent l'agent de sa responsabilité pénale, puisque, dès qu'ils sont constatés, l'acte incriminé cesse de constituer un délit. C'est ainsi que la Cour de cassation a jugé : « que, d'après l'article 229 Code instruction criminelle, les chambres d'accusation doivent ordonner la mise en liberté des prévenus toutes les fois. qu'elles n'aperçoivent dans l'instruction aucune trace d'un délit prévu par la loi; qu'il s'ensuit nécessairement que lesdites chambres ont le droit et que même il est de leur devoir d'apprécier les circonstances qui peuvent caractériser l'état de légitime défense, puisque cet état exclut tout crime et tout délit, et par conséquent toute poursuite 1.

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La même règle s'applique à tous les faits qui ont pour effet d'effacer la criminalité des actes qui sont l'objet de la poursuite: telle est, par exemple, en matière de vol, la qualité, que revendiquerait l'inculpé, d'époux ou d'enfant de la personne lésée par le délit. Dès que les individus que l'article 380 du Code pénal a énumérés ne peuvent être punis à raison des soustractions qu'ils ont commises envers leurs époux ou parents, il est clair qu'il ne peut y avoir lieu de les mettre en prévention 2.

2071. De ce que le juge d'instruction peut apprécier les faits justificatifs, s'ensuit-il qu'il puisse également apprécier les faits d'excuse? De ce qu'il peut déclarer qu'il n'y a lieu à suivre quand la démence, la force majeure ou la légitime défense lui semble prouvée, s'ensuit-il qu'il puisse renvoyer le prévenu de crime devant le tribunal correctionnel quand un fait d'excuse légale qui a pour effet de réduire la peine afflictive à une peine correctionnelle lui paraît établi?

La Cour de cassation lui a dénié ce droit, et les motifs sur les

1 Cass. 27 mars 1818 (J. P., tom. XIV, p. 724; D. A. 1, 76); 8 janv. 1819 (J. P., tom. XV, p. 8; D. A. 1, 76; S. V. 19, 1, 113); 13 oct. 1853 (Bull., no 508); Grenoble, 13 nov. 1823 (J. P., tom. XVIII, p. 205; D. A. 3, 432). Conf. Mangin, n. 16.

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