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quels sa jurisprudence est fondée ne sont point en général dénués de force. Elle déclare en premier lieu « que l'excuse n'efface point la qualification de crime imputée à l'action par le Code pénal; qu'en effet l'article 326 porte que si le fait d'excuse est prouvé la peine sera réduite; d'où il suit que la loi laisse subsister la qualification de crime, lors même que le fait d'excuse est prouvé; qu'en ce cas la peine est réduite, mais que la réduction de la peine ne change point la nature du fait pour lequel elle est portée». Or, comme, aux termes de l'article 231 du Code d'instruction criminelle, si le fait est qualifié crime par la loi, la chambre d'accusation doit ordonner le renvoi du prévenu aux assises, la Cour de cassation tire de là la conséquence que, puisque l'excuse ne change pas la qualification du fait, elle ne doit pas donner lieu à changer la compétence. Il importe donc peu que par l'effet du fait d'excuse la peine, au lieu d'être afflictive et infamante, puisse devenir correctionnelle; la chambre du conseil et la chambre d'accusation n'ont point à se préoccuper de cette modification de la peine, puisqu'elles ne sont point chargées de l'appliquer et que, uniquement investies du pouvoir d'apprécier les charges et de régler la compétence, le fait d'excuse n'exerce aucune influence sur ces deux points.

La jurisprudence se fonde ensuite sur l'impossibilité où se trouve cette juridiction de faire la preuve du fait d'excuse: « En supposant, disait M. Merlin, que l'excuse fit rentrer le fait dans la classe des délits, encore faudrait-il que la preuve en fût complétement acquise lorsque la procédure se trouve encore devant la chambre d'accusation, car cette chambre n'est instituée que pour apprécier des indices et des présomptions. Et comment pourraitelle les envisager comme des preuves? Elle ne sait pas si ces prétendues preuves ne s'évanouiront pas dans une discussion contradictoire. Les arrêts déclarent, conformément à cette opinion:

Que jamais une chambre d'accusation ne peut considérer l'instruction qui lui est soumise comme renfermant la preuve pleinement acquise soit du fait principal, soit des circonstances; que cette instruction, faite sans solennité, qui n'a pas été livrée à un débat public entre la partie publique, la partie civile, le prévenu

1 Cass. 6 nov. 1812 (J. P., tom. X, p. 780; D. A., 1, 74); 25 févr. 1813 (J. P., tom. XI, p. 169; S. V. 13, 1, 261; D. A., 1, 75).

Rep., vo Excuse, n. 6.

et les témoins, ne peut présenter à une chambre d'accusation que des présomptions et des indices'. »

Enfin, la jurisprudence invoque les articles 339 et 340 du Code d'instruction criminelle, qui semblent réserver exclusivement au jury l'appréciation des faits d'excuse. On lit dans les arrêts de la Cour de cassation: « Que si les chambres du conseil, lorsqu'elles sont saisies de la connaissance d'un fait qualifié crime par la loi, peuvent apprécier les circonstances qui ôtent à ce fait tout caractère de crime ou de délit, et prononcer la mise en liberté du prévenu, elles ne peuvent pas, ayant égard à des faits d'excuse, qui ont seulement pour effet de réduire la peine, renvoyer le prévenu devant la police correctionnelle; que c'est au jury seul qu'il appartient de prononcer et sur l'existence du fait principal et sur les circonstances qui peuvent rendre ce fait excusable 2.

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2072. Cette interprétation, qui a pu être contestée au moment où elle s'est produite pour la première fois, ne saurait plus l'être aujourd'hui elle est devenue, par l'accord et la fermeté de la jurisprudence, une seconde loi dont l'autorité n'est pas moindre désormais que celle du Code. Mais si nous l'adoptons, ce n'est pas en nous appuyant sur les motifs que nous avons trouvés dans les arrêts. Il nous paraît douteux, en effet, que la compétence puisse avoir une autre base que la peine dont le fait est passible, puisque cette peine est elle-même l'unique fondement de la qualification. Il nous paraît douteux que les juges d'instruction et les chambres d'accusation, qui admettent la preuve des faits de démence, de contrainte et de légitime défense, ne puissent admettre la preuve des faits d'excuse et, par exemple, de la provocation. Il nous paraît douteux, enfin, que les articles 339 et 340, qui réservent au jury l'appréciation des excuses que les débats ont fait surgir, puissent s'appliquer aux excuses qui résultent de l'instruction.

Mais ce qui détermine notre opinion, c'est qu'en règle générale le juge d'instruction et la chambre d'accusation n'ont que le

1 Cass. 6 nov. 1812 et 25 févr. 1813, cités suprà.

2 Cass. 30 avril 1829 (J. P., tom. XXII, p. 954); et conf. Cass. 8 janv 1819 (S. V, 1, 113; J. P., tom. XV, p. 8); 13 janv. 1820 (J. P., tom. XV, p. 692; D. A., 1, 79); 21 févr. 1828 (J. P., tom. XXI, p. 1193).

droit de prononcer sur la mise en prévention et la mise en accusation, c'est-à-dire d'examiner si les éléments du crime ou du délit existent ou n'existent pas. Or les excuses modifient les faits imputės, mais ne les empêchent pas d'exister; qu'elles soient ou non prouvées, la prévention ne doit pas moins être admise et suivre son cours. La constatation de ces circonstances est donc en dehors de la mission générale de l'instruction. A la vérité, cette juridiction préliminaire, en même temps qu'elle statue sur la prévention, règle la compétence, et l'appréciation qu'elle ferait du fait d'excuse aurait pour conséquence de renvoyer le prévenu devant la police correctionnelle au lieu de le renvoyer devant la cour d'assises. Mais ici se présentent deux considérations la première, c'est que le débat pourrait sans cesse démontrer que l'excuse admise par les juges de l'instruction n'existe pas réellement, et de là naîtraient des conflits que la procédure doit tendre à éviter. La seconde, c'est que l'unique résultat de la jurisprudence est, en définitive, de renvoyer devant le jury des faits qui ne sont passibles, à raison des excuses, que de peines correctionnelles; or, le jury étant la juridiction commune et naturelle des citoyens, il n'y a pas lieu de déplorer un tel résultat '.

Toutefois, le juge d'instruction et la chambre d'accusation n'excèdent nullement la limite de leurs attributions s'ils se bornent à faire mention, dans l'ordonnance de mise en prévention ou dans l'arrêt de renvoi, des faits d'excuse qui, d'après les pièces de la procédure, leur paraissent avoir accompagné le délit ou le crime; car le renvoi du prévenu devant les juges correctionnels ou devant le jury laisse intacte la compétence de ces juridictions pour prononcer sur ces faits. La Cour de cassation a jugé dans ce sens « que, si les chambres d'accusation n'ont point d'attributions pour apprécier et juger elles-mêmes les faits qui peuvent rendre un crime excusable, et qu'ainsi elles ne puissent renvoyer les prévenus de pareils crimes devant les tribunaux de police correctionnelle pour l'application directe des peines portées par l'article 236 du Code pénal contre les prévenus excusables, néanmoins aucune loi n'a défendu aux dites chambres de faire mention, dans leurs arrêts de mise en accusation, de toutes les circonstances qui leur ont paru résulter de l'instruction et être

1 Legraverend, tom. I, p. 432; Bourguignon, tom. I, p. 501; Carnot, tom. II, p. 195; Mangin, tom. II, p. 28.

de nature à aggraver ou altérer le crime; que la cour d'Aix, ayant renvoyé le nommé Piquet devant la cour d'assises des Bouchesdu-Rhône comme prévenu du crime de meurtre, n'a donc point violė les règles de compétence en faisant mention dans son arrêt de la circonstance atténuante de provocation, qui, d'après les pièces de l'instruction, lui a páru avoir précédé ledit crime; que le renvoi du prévenu à la cour d'assises a laissé intacte la compétence du jury pour prononcer sur ledit fait d'excuse 1» .

§ V. Examen des charges de la prévention.

2073. Après avoir vérifié que le fait incriminé est prévu et puni par la loi, et qu'il est imputable au prévenu, il ne reste plus au juge d'instruction qu'à examiner s'il y a des charges suffisantes pour que la prévention puisse être admise.

Cet examen est formellement prescrit par les articles 128 et 133 du Code d'instruction criminelle. L'article 128 déclare que a si le juge d'instruction est d'avis qu'il n'existe aucune charge contre l'inculpé, il sera déclaré qu'il n'y a pas lieu de poursuivre». L'article 133 ajoute que « si le juge estime que la prévention contre l'inculpé est suffisamment établie, les pièces seront transmises au procureur général ». Et la règle que posent ces deux articles à l'égard du juge d'instruction est étendue à la chambre d'accusation par les articles 221, 229 et 231. L'article 221 dispose que « les juges examineront s'il existe contre le prévenu des preuves ou des indices d'un fait qualifié crime par la loi, et si ces preuves ou indices sont assez graves pour que la mise en accusation soit prononcée». L'article 229 déclare également « que si la cour n'aperçoit aucune trace d'un délit prévu par la loi, ou si elle ne trouve pas des indices suffisants de culpabilité, elle ordonnera la mise en liberté du prévenu ». Enfin, l'article 231 ajoute que « si la cour trouve des charges suffisantes pour motiver la mise en accusation, elle ordonnera le renvoi du prévenu aux assises ».

Il résulte de ces textes :

1o Que le juge d'instruction et la chambre d'accusation doivent rechercher dans les pièces de l'instruction des indices de culpabilité et non des preuves;

Gass. 13 janv. 1820 (J. P., tom. XV, p. 693).

2° Qu'elles ne peuvent soit admettre une prévention, soit la rejeter, qu'autant qu'elles reconnaissent qu'il existe ou qu'il n'existe pas des indices suffisants pour l'établir.

Il ne faut que peu de mots pour développer ces deux règles.

2074. Le juge d'instruction et la chambre d'accusation n'ont point à rechercher si le prévenu est coupable, mais seulement s'il est probable qu'il le soit. Ainsi que nous l'avons précédemment établi, la probabilité est la mesure de la prévention comme la certitude est la mesure du jugement. De là il suit que ce ne sont pas des preuves, mais seulement des indices qu'il faut demander à la procédure ces preuves ne peuvent résulter que d'un débat oral et public; l'instruction écrite ne peut fournir que des proba

bilités.

A la vérité, l'article 221 porte que les juges examineront s'il existe contre le prévenu des preuves ou des indices. Mais en sc reportant à la délibération du conseil d'État, on lit dans ses procès-verbaux ce qui suit : « M. Jaubert demande la suppression du mot preuves un arrêt de mise en accusation, motivé sur l'existence de preuves, formerait un préjugé trop puissant. M. Treilhard dit que le mot preuves ne porte ici que sur le fait; qu'au surplus il est pris dans le même sens que le mot indices. M. Cambacérès propose de dire que les juges se décideront d'après les preuves et les indices. Cette proposition est adoptée'. Les preuves ne sont donc ici, dans le sens de la loi, que les charges de l'instruction.

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Telle est aussi l'interprétation que la Cour de cassation a consacrée en déclarant : « Que les chambres d'accusation sont chargées d'examiner seulement s'il existe contre le prévenu des preuves ou des indices assez graves pour prononcer la mise en accusation, et que ce n'est que lorsqu'elles ne trouvent pas des indices suffisants de culpabilité qu'elles peuvent ordonner sa mise en liberté; qu'il n'appartient qu'au jury de jugement de juger si le fait est constant et si l'accusé est convaincu; que le Code du 3 brumaire an IV faisait un devoir au directeur du jury d'avertir les jurés d'accusation qu'ils n'avaient pas à juger si le prévenu était coupable ou non, mais seulement s'il y avait des preuves suffisantes à l'appui de l'acte d'accusation; que, malgré cet aver1 Locré, tom. XXV, p. 431.

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