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c'est là ce qui constitue la légitimité de cette mesure. Si les juges n'avaient pas la conviction, non pas que le prévenu est coupable, mais qu'il est probable qu'il l'est, son renvoi devant le tribunal correctionnel ou les assises ne serait qu'une mesure vexatoire, car ce serait mettre en jugement un individu qu'on ne croit pas coupable; ce serait infliger à un individu la flétrissure d'une mise en accusation inutile, et dont l'acquittement ne peut pas toujours effacer les traces. Telle est, au surplus, la doctrine enseignée les rédacteurs mêmes de notre Code : « Aussitôt que la cour, par dit l'exposé des motifs, a reconnu sa compétence, elle examine s'il existe des présomptions suffisantes contre le prévenu. Ces présomptions sont-elles vagues ou légères, n'existe-t-il aucun moyen d'en acquérir de plus fortes, elle doit mettre le prévenu en liberté; une rigueur plus longue ne serait pas seulement inutile, elle serait encore injuste à l'égard de la personne poursuivie et alarmante pour la société entière'. »

§ VI. Règlement de la compétence.

2078. Lorsque le juge d'instruction a reconnu que le fajt est punissable et qu'il existe contre l'inculpé des indices suffisants, i prononce sa mise en prévention. Mais, après l'avoir déclaré prévenu du fait qui lui est imputé, un point reste encore à régler.

Il ne suffit pas, en effet, d'établir une prévention, il faut déterminer la marche qu'elle doit suivre, il faut fixer le cours de la procédure. De là la nécessité de renvoyer l'affaire devant les juges qui doivent la juger, et d'en faire l'indication expresse. C'est par ce renvoi que la juridiction compétente est saisie et qu'elle devient apte à statuer.

2079. Si le juge d'instruction est d'avis que le fait n'est qu'une simple contravention de police, il doit, aux termes de l'article 129, renvoyer l'inculpé devant le tribunal de police. Il est nécessaire dans ce cas de désigner le tribunal devant lequel il renvoie le procès; car il a le droit de saisir tous les tribunaux de police de son ressort, et il peut arriver que plusieurs soient à la fois compétents.

1 Locré, tom. XXV, p. 566.

S'il est d'avis que le fait constitue un délit correctionnel, il prononce, en vertu de l'article 130, le renvoi devant le tribunal correctionnel. Il est inutile, dans cette dernière hypothèse, qu'il désigne le tribunal devant lequel il renvoie; il suffit qu'il saisisse la juridiction correctionnelle; car il ne peut prononcer le renvoi que devant la chambre correctionnelle du même siége, et cette chambre se trouve dès lors complétement désignée par toutes les ordonnances qui prononcent une mise en prévention à raison d'un délit. Il en est autrement à l'égard de la chambre d'accusation: cette chambre se trouve, en matière correctionnelle, dans la même situation que le juge d'instruction en matière de police: elle doit donc nécessairement indiquer le tribunal correctionnel compétent pour juger '.

Enfin, si le juge est d'avis que le fait constitue un crime, il ordonne que les pièces de l'instruction seront transmises au procureur général, pour en être fait rapport à la chambre d'accusation (art. 134). Il ne peut dans ce cas ni prononcer en premier ressort la mise en accusation, ni ordonner le renvoi des prévenus devant la cour d'assises. Cette double mesure appartient exclusivement à la chambre d'accusation (art. 231).

Si les faits imputés aux mêmes prévenus sont d'une nature différente et susceptibles d'être divisés, le juge d'instruction doit renvoyer la prévention relative aux faits qui seraient qualifiés crimes devant la chambre d'accusation, et, le cas échéant, la prévention relative aux autres faits devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police, afin que, au cas d'acquittement prononcé par le jury, la seconde prévention puisse être reprise et suivie 2.

Dans une hypothèse analogue, lorsque l'instruction a été commencée contre deux individus dont l'un a la qualité de militaire, et que le juge déclare n'y avoir lieu à suivre contre l'inculpé non militaire, il doit, s'il reconnait des indices suffisants de culpabilité contre le premier, le renvoyer devant la juridiction militaire'.

2080. Telles sont les attributions du juge d'instruction. Lorsqu'il a statué sur la procédure qui lui est soumise, lorsqu'il a

1 Cass. 10 avril 1823 (J. P., tom XVII, p. 1027 ).

2 Cass. 5 août 1843 (Bull., no 201).

3 Cass. 19 févr. 1829 (J. P., tom. XXII, p. 706).

réglé l'instruction de la compétence, ses pouvoirs sont épuisés, sa mission est accomplie. Toute autre mesure excéderait les limites de sa compétence et lui est formellement interdite.

Ainsi, il ne peut prononcer, soit en faveur de l'inculpé, soit en faveur de la partie lésée, aucune réparation de dommages résultant soit du délit, soit de la poursuite. Aucune disposition de la loi ne lui attribue, en effet, un tel pouvoir, et la raison en est évidente '.

Ainsi, il ne peut connaître des faits disciplinaires commis par les fonctionnaires de l'ordre judiciaire, et qui lui seraient révėlės par l'examen des procédures dont elle est saisie. Sa compétence est, en effet, limitée à l'appréciation des faits qui sont qualifiés par la loi crime, délit ou contravention. Les infractions disciplinaires, quoique soumises à une procédure analogue, ne le concernent pas.

Ainsi, enfin, il ne peut ordonner aucune mesure, soit pénale, soit même préventive; car, institué pour procéder à l'examen de l'instruction, il n'a pas de juridiction criminelle. C'est par suite de ce principe qu'il a été reconnu que l'ordonnance qui avait déclaré qu'un étranger en état de vagabondage serait mis à la disposition du gouvernement est illégale et constitue un excès de pouvoir. C'est par suite du même principe, qu'il a été encore jugé que ce juge est incompétent pour prononcer sur la reconnaissance de l'identité d'un condamné évadé et repris *.

§ VII. Compétence pour l'examen des charges nouvelles. 2081. Nous avons exposé les attributions du juge d'instruction; mais cette matière, pour être complète, exige l'examen d'une dernière hypothèse : nous voulons parler du cas où par la survenance de nouvelles charges, les fonctions de ce juge, quoique déjà remplies, s'exercent une seconde fois, où, ses pouvoirs épuisés reprennent une nouvelle force, où l'instruction, terminée à raison de l'insuffisance de ses constatations, recommence ses recherches.

1 Anal. cass. 7 déc. 1821 (J. P., tom. XVI, p. 998); Bruxelles 28 déc. 1822 (J. P., tom. XVII, p. 771).

2 Décr. 30 mars 1808, art. 103; L. 20 avril 1810, art. 52 et 55; Cass. 5 déc. 1823 (J. P., tom. XVIII, p. 250).

Cass. 6 déc. 1832 (J. P., tom. XXIV, p. 1622 ).

4 Cass. 20 oct. 1825 (J. P., tom. XX, p. 889).

Nous avons vu précédemment, lorsque nous avons examiné les effets des ordonnances du juge d'instruction, ce qu'il faut entendre par charges nouvelles, et dans quels cas elles enlèvent à l'ordonnance l'autorité de la chose jugée. (Voy. no 1022.) Il nous reste à expliquer ici dans quelle mesure il est compétent pour statuer sur ces charges.

2082. Le juge d'instruction est, en premier lieu, incompétent pour connaitre des nouvelles charges toutes les fois qu'elles ne se manifestent qu'après un arrêt de non-lieu de la chambre d'accusation.

L'article 246 porte, en effet: « Le prévenu à l'égard duquel la cour aura décidé qu'il n'y a pas lieu à renvoi devant la cour d'assises ne pourra plus être traduit à raison du même fait, à moins qu'il ne survienne de nouvelles charges. » Et l'article 248 ajoute: « En ce cas, l'officier de police judiciaire ou le juge d'instruction adressera sans délai copie des pièces et charges au procureur général près la cour impériale; et sur la réquisition du procureur général, le président de la section criminelle indiquera le juge devant lequel il sera, à la poursuite de l'officier du ministère public, procédé à une nouvelle instruction. » Il résulte de ce texte que c'est à la chambre d'accusation qu'il appartient de prononcer sur les nouvelles charges qui surviennent après qu'elle a déjà statuė. La loi n'a pas voulu que, par un inutile circuit de procédure, l'affaire fût renvoyée devant les juges de première instance avant de revenir devant la cour par cela seul qu'elle a déjà été saisie et qu'elle a connu des premières charges, les nouvelles charges la ressaisissent de plein droit ; il est naturel qu'elles soient appréciées par la juridiction même qui avait déclaré les premières insuffisantes.

Cette attribution de la chambre d'accusation s'étend même au cas où le fait objet de la poursuite, ne constituant qu'un délit, elle n'en a été saisie que par voie d'opposition. La raison de décider est la même dans les deux hypothèses; la procédure revient nécessairement aux juges qui ont déclaré n'y avoir lieu à suivre. C'est en ce sens que la question a été résolue dans une espèce où la chambre du conseil était saisie des nouvelles charges, bien que la chambre d'accusation eût été appelée, par l'opposition du ministère public, à confirmer l'ordonnance de non-lieu. Cette pro

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cédure a été annulée « attendu que pour l'appréciation des charges nouvelles les articles 246 et suivants n'ont fait aucune distinction entre les faits de nature à être punis de peines correctionnelles et ceux emportant peine afflictive et infamante, de la compétence exclusive des cours d'assises; que, du moment où la chambre du conseil du tribunal de première instance a été dessaisie par l'opposition du ministère public, il appartient à la chambre d'accusation d'apprécier non-seulement les charges primitives et celles qui seraient résultées du supplément d'information par elle ordonné, ou qui lui seraient fournies, mais encore les charges nouvelles ; que l'examen de ces charges est indivisible, et qu'il ne peut appartenir qu'à la chambre d'accusation de décider si les charges nouvellement produites sont réellement nouvelles, puisque, si elles ne l'étaient pas, la décision rendue en faveur du prévenu devrait le mettre à l'abri d'une nouvelle poursuite; qu'une juridiction inférieure ne peut être appelée à substituer son appréciation à celle faite par les magistrats supérieurs, et que la procédure ne peut rétrograder'. »

2083. Mais si l'ordonnance de non-lieu n'a point été déférée à la chambre d'accusation, quelle est la juridiction qui doit connaître des nouvelles charges? La loi, évidemment incomplète, est muette sur ce point; elle n'a prévu qu'une hypothèse, celle où les nouvelles charges ne se sont produites qu'après que la chambre d'accusation a rendu un arrêt de non-lieu, et elle lui en a déféré dans ce cas l'appréciation. Mais il ne faut pas conclure de là que cette appréciation lui appartienne dans les autres cas. La loi, en lui donnant cette attribution, a supposé qu'elle avait statué sur la première poursuite. C'est ce qui résulte de l'article 247, qui porte : « Sont considérés comme charges nouvelles les déclarations des témoins, pièces et procès-verbaux qui, n'ayant pu être soumis à l'examen de la cour impériale, sont cependant de nature soit à fortifier les preuves que la cour aurait trouvées trop faibles, soit à donner aux faits de nouveaux développements utiles à la manifestation de la vérité. » Ainsi, c'est parce qu'elle a apprécié les premières charges, c'est parce qu'elle les a trouvées trop faibles, qu'elle est appelée à apprécier les charges nouvelles qui, n'ayant pas été soumises à son examen, peuvent modifier sa 1 Cass. 11 août 1842 (Bull., no 195); 22 juillet 1859 (Bull., no 186).

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