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première décision. Ne doit-on pas induire de là qu'en thèse générale, c'est le juge qui a connu des anciennes charges qui doit connaître des nouvelles? Ne doit-on pas induire que, lorsque la première procédure s'est arrêtée au juge d'instruction, c'est à ce juge qu'il appartient de statuer sur les éléments recueillis par la nouvelle instruction?

C'est dans ce sens que la jurisprudence s'est prononcée. Un premier arrêt s'était borné à déclarer, peut-être un peu brièvement, « que de la combinaison des articles 246, 247 et 248, placés au chapitre des mises en accusation, il résulte que l'instruction sur de nouvelles charges n'est attribuée aux chambres de mise en accusation que dans le cas où ces chambres auraient déjà connu des anciennes charges, et qu'à raison de leur insuffisance, ces chambres auraient déclaré qu'il n'y avait pas lieu à suivre contre les prévenus». Mais ces motifs sont complétés par des arrêts postérieurs portant : « que, quand les premières charges n'ont été soumises qu'à la chambre du conseil, et que c'est d'elle qu'est émanée l'ordonnance portant qu'il n'y a lieu à suivre, cette chambre n'est dessaisie que relativement aux charges existantes lors de cette ordonnance, et qu'en cas de charges nouvelles, elle est ressaisie de plein droit à l'effet de statuer de nouveau sur la prévention. » Ou encore « qu'il n'est dérogé au principe des deux degrés de juridiction en matière d'accusation que par lois spéciales, ou en vertu de dispositions exceptionnelles qui doivent être renfermées dans leurs limites; que dans le cas même où la règle non bis in idem fléchit devant la nécessité reconnue par la loi, et résultant de l'existence de charges nouvelles, de soumettre à un nouvel examen le fait au sujet duquel le prévenu a été relaxé de la poursuite, il ressort de la combinaison des articles 133, 231, 247 et 248, que la chambre d'accusation ne peut de plano procéder à cet examen qu'autant qu'elle a précédemment statué sur les charges antérieures; que, dans le cas contraire, et lorsque la chambre du conseil a seule, et par une décision devenue définitive, déclaré qu'il n'y avait lieu à suivre, cette chambre est ressaisie, comme juridiction de premier degré, de la connaissance de la prévention et du droit d'y statuer 3. "

1 Cass. 31 août et 22 nov. 1821 (J. P., tom. XVI, p. 895 et 960).

des

2 Cass. 14 mai 1829 (J. P., tom. XXII, p. 1013); 13 mars 1846 (Bull., no 71 ). 3 Cass. 18 févr. 1836 (Bull., no 50); 28 sept. 1865 (no 185).

2084. Il suit de là que ni le ministère public ni la partie civile ne peuvent, lorsqu'il survient de nouvelles charges après une ordonnance de non-lieu, citer directement le prévenu devant le tribunal correctionnel. Car la juridiction qui a apprécié les premières charges est seule compétente pour examiner si les faits signalés comme des charges nouvelles ont ce caractère, et pour anéantir, s'il y a lieu, sa première décision. Ce point, qui ne pouvait soulever aucune difficulté, a été reconnu par un arrêt portant que l'ordonnance de non-lieu, intervenue en faveur du prévenu, n'ayant pas été attaquée en temps utile par opposition du ministère public, seule partie poursuivante, a passé en force de chose jugée; que la prévention, ainsi écartée, ne pouvait revivre qu'autant qu'il surviendrait des charges nouvelles; qu'il n'appartenait pas au tribunal correctionnel, saisi en vertu de l'article 182, d'examiner si, des débats ouverts devant lui étaient ressortis des faits ayant le caractère et la portée de charges nouvelles, et d'infirmer par suite une décision dont l'autorité ne pouvait être détruite, s'il y avait lieu, que par les juges qui l'avaient rendue 1. »

2085. Est-il nécessaire, lorsque les nouvelles charges se manifestent, que la juridiction qui a connu des premières autorise la nouvelle instruction? Le ministère public, pour reprendre la poursuite, a-t-il besoin qu'une ordonnance ou qu'un arrêt déclare l'existence de ces charges?

On a prétendu qu'aucune autorité, si ce n'est le juge d'instruction ou la chambre d'accusation, ne peut avoir compétence pour rouvrir une instruction qui a été fermée par une ordonnance ou par un arrêt de non-lieu; que le ministère public ne peut en conséquence requérir que l'instruction soit reprise qu'après qu'une ordonnance ou un arrêt a permis cette seconde instruction, en constatant l'existence des nouvelles charges; que l'exception de chose jugée, qui est attachée à l'ordonnance ou à l'arrêt de nonlieu, lie l'action publique et ne lui permet pas d'agir avant que cette décision ait été en quelque sorte rapportée par la juridiction qui l'a rendue.

Cette thèse ne supporte pas un examen sérieux. L'article 248 veut qu'en cas de nouvelles charges, le président de la chambre. 1 Cass. 12 déc. 1850 (Bull., no 419).

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d'accusation, sur la réquisition du ministère public, indique le juge devant lequel il sera procédé à une nouvelle instruction." Cette indication était nécessaire, puisque les premiers juges sont, dans ce cas, entièrement dessaisis, et que, suivant les termes d'un arrêt, « ce mode de procéder est une conséquence nécessaire de l'ordre des juridictions, qui ne serait plus observé si, après que la chambre d'accusation a déclaré qu'il n'y a lieu à suivre, il dépendait des juges inférieurs de statuer de nouveau sur l'affaire1» .

Mais on doit en même temps inférer de cette disposition: 1° qu'une instruction est nécessaire pour constater les nouvelles charges, puisque la loi, quand ces charges surviennent, ne s'occupe que de désigner le juge qui doit y procéder; 2o que cette désignation émanant, non de la juridiction elle-même, mais du président seulement, la loi n'a pas voulu qu'elle fût saisie avant que les charges fussent recueillies; 3° enfin, que la nouvelle instruction doit précéder l'appréciation même de ces charges, puisque cette indication du juge par le président n'est soumise à aucun examen préalable de l'existence et de la nature des charges alléguées par le ministère public.

On peut ajouter que le juge d'instruction ou la chambre d'accusation ne pourrait apprécier si les charges alléguées existent ou n'existent pas, avant qu'elles aient été régulièrement recueillies et constatées; que, si deux décisions devaient intervenir, l'une pour rouvrir l'instruction, l'autre pour en apprécier les résultats, l'une de ces décisions serait évidemment inutile, puisque, si les nouvelles charges ne sont pas constatées, elle ne peut apprécier leur existence, et que, si elles le sont, une instruction ultérieure serait superflue; enfin, que la procédure sur les charges qui sont survenues est une procédure nouvelle qui doit suivre les mêmes errements et les mêmes règles que toutes les instructions criminelles.

Quant à l'objection prise de ce que le ministère public, qui requiert directement le juge d'instruction d'instruire sur les charges nouvelles, porte atteinte à l'autorité de l'ordonnance de non-lieu, il faut répondre que le ministère public n'est lié par cette ordonnance qu'autant que l'état des preuves, constaté par l'instruction, ne change pas l'autorité de cette ordonnance est purement conditionnelle. Qu'est-ce qu'elle a jugé? que les pre1 Paris, 30 nov. 1838, ch. d'acc.

mières charges étaient insuffisantes. Le ministère public n'agit donc point contre la chose jugée quand il provoque de nouvelles preuves, puisqu'il reconnaît par là même l'insuffisance des premières. Il ne reprend pas la procédure qui a été close, il requiert une procédure nouvelle; car chaque nouvelle charge peut être considérée comme un fait nouveau, et comment ce fait nouveau pourrait-il être constaté, si le ministère public ne pouvait requérir qu'il en fût informé? La garantie du prévenu consiste dans la constatation des faits ou des preuves nouvelles qué les juges, dessaisis à raison de l'état de la première instruction, sont tenus de faire pour se ressaisir et détruire leur première décision.

C'est aussi dans ce sens que la question a été résolue par un arrêt de la Cour de cassation, portant : « qu'aux termes de l'article 246 le prévenu en faveur duquel la chambre d'accusation a rendu un arrêt de non-lieu peut être poursuivi à raison du même fait, s'il survient de nouvelles charges; que l'article 248 charge, dans ce cas, le président de la chambre d'accusation d'indiquer, sur le réquisitoire du procureur général, le juge d'instruction devant lequel il est procédé à une nouvelle instruction; que de cette désignation pure et simple, qui est nécessaire dans cette hypothèse, par suite du dessaisissement des premiers juges, il résulte que la nouvelle instruction n'est nullement subordonnée à une appréciation préalable des charges nouvelles par la chambre d'accusation; que cette conséquence reçoit une nouvelle force de ce que la désignation émane du président et non de la cour elle-même; que cette instruction demeure donc soumise aux mêmes règles que la première, et que, d'ailleurs, toute autorisation préalable de reprendre la poursuite n'aurait aucun objet, puisque les nouvelles charges ne peuvent être constatées que par une instruction, et que cette instruction doit nécessairement précéder l'appréciation même de ces charges; que si, dès lors, première procédure a été déterminée par une ordonnance de la chambre du conseil, non suivie d'opposition, le ministère public, à qui les charges survenues sont signalées, peut directement requérir le juge d'instruction de procéder à la constatation de ces charges; que le juge n'est lié par cette ordonnance que relativement aux charges existantes à l'époque où elle est intervenue; qu'au cas de charges nouvelles, il reprend de plein droit sa compétence pour instruire sur les éléments nouveaux qui n'ont pas

la

fait l'objet de la première instruction; que la garantie résultant de l'exception de la chose jugée réside dans la constatation de ces éléments que la chambre du conseil et la chambre d'accusation sont tenues de faire avant de se ressaisir et de statuer sur la nouvelle procédure '. »

2086. Cette solution doit-elle être modifiée dans le cas où le juge d'instruction n'a puisé sa compétence pour statuer sur les premières charges que dans le fait accidentel de l'arrestation du prévenu dans son ressort?

On peut alléguer, pour l'affirmative, que le ministère public n'a aucun titre pour se saisir des charges nouvelles, si ces charges se sont produites dans un autre ressort et si le prévenu ne réside plus dans l'arrondissement du tribunal qui a statué; que, dans cette hypothèse, si le juge d'instruction de ce tribunal est seul compétent pour connaître des nouvelles charges, puisqu'il a prononcé l'insuffisance des premières, il est nécessaire que, puisqu'il ne se trouve dans aucun des cas prévus par les articles 23, 63 et 69, qu'il déclare qu'il y a lieu d'instruire sur les faits nou

veaux.

Il nous semble que cette objection n'est pas fondée. Si le juge d'instruction est exclusivement compétent pour apprécier les charges nouvelles; si, suivant l'expression des arrêts, il est ressaisi de plein droit pour les apprécier et statuer sur la prévention, ne suit-il pas de là qu'il est également compétent pour rechercher et constater les faits qui doivent être l'objet de cette appréciation? Telle est aussi la décision de l'arrêt qui vient d'être cité et dans lequel on lit : « Que si, dans l'espèce, le juge d'instruction n'avait été saisi de la prévention, lors de la première instruction, qu'à raison de la présence accidentelle du prévenu sur les lieux, sa compétence pour instruire sur les charges nouvelles, quoique cette circonstance n'existe plus et que les faits nouveaux ne se soient pas produits dans son ressort, n'en est pas moins certaine, puisque, la chambre du conseil étant ressaisie. de plein droit de l'appréciation des faits nouveaux, il s'ensuit nécessairement que le juge d'instruction est compétent pour rechercher les éléments qui doivent servir à cette appréciation. >>

Ainsi, dans cette hypothèse même, il n'est pas nécessaire que 1 Cass. 5 janv. 1854 (Bull., no 2).

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