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guichetiers, la conduite de tous les magistrats, les abus choquants et scandaleux de toute espèce, les actes d'oppression publique, de quelque manière et en quelque lieu qu'ils soient commis, enfin, tous les dommages publics commis dans l'étendue du comté sont, pour le grand jury, des sujets de recherche, d'examen, de rapport et de mise en jugement'. » Leurs pouvoirs s'étendent même au delà de la police judiciaire; ils s'appliquent à la police municipale du comté : « les mauvaises routes, les ponts défectueux ou mal construits, les obstructions ou les débordements des rivières, les maisons de débauche et de jeu, les manufactures nuisibles, les maisons en ruine, tout ce qui menace la sûreté ou la vie des personnes, peuvent être l'objet de leur inspection et de leurs délibérations. Ils sont dans leur office des censeurs publics et constitutionnels investis par la loi de la haute mission de rechercher tous les abus, tous les dommages publics, toutes les oppressions et de les faire cesser, soit par leur propre décision, soit en les dénonçant à la cour du parlement par voie de pétition 2. »

En général, toute procédure criminelle doit suivre son cours par l'intermédiaire du grand jury: c'est là la marche régulière des procès, conforme d'ailleurs à l'esprit de la constitution anglaise. Mais cette règle admet une double exception relativement 1° aux informations faites d'office, au nom de la couronne, par l'attorney général au sujet de certains délits qui sont de nature à mettre le gouvernement en péril'; 2° aux appels (appeals) faits par les parties en leur nom, à raison d'injures privées dont elles demandent le redressement'. Dans l'un et l'autre cas, la procédure n'est pas soumise au grand jury. La raison de cette exception, suivant Meyer, est que le grand jury a surtout pour mission de statuer sur les accusations qui sont portées par des parties privées qui ne figurent pas au procès et que la garantie qu'offrent les réquisitions de l'attorney général ou l'accu

1 Pouvoirs des jurys, chap. 3.

2 R. Philipps, chap. 3.

3 The objects of the king's own prosecutions, filed ab officio by his own attorney general, are properly such enormous misdemeanors, as peculiarly tend to disturb or endanger his government, or to molest or affront him the regular discharge of his royal fonctions.

4 Inst. jud., tom. II, p. 219.

Blakstone, III, 354.

sation directe d'une partie remplace la garantie qui résulte de l'intervention des jurés.

Les formes de cette juridiction sont simples et expéditives. A chaque session d'assises le sheriff de chaque comté dresse une liste de grands jurés qu'il choisit parmi les personnes les plus notables du lieu '. Leur nombre est au moins de 23 membres, afin que la majorité soit de 12. Ils peuvent procéder néanmoins à l'examen d'une affaire, quoiqu'ils ne soient pas tous présents; mais aucun bill n'est valable s'il ne s'appuie sur les votes de 12 jurés. Aussitôt qu'ils sont réunis, ils se constituent en nommant eux-mêmes leur président et se présentent ensuite devant la cour pour prêter serment. Ce serment prêté, ils entrent immédiatement en fonctions. A défaut de ce serment ou si leur composition était illégale, leurs décisions seraient annulées. Ils ne sont d'ailleurs récusables que pour une cause déterminée. Ils sont saisis par indictment ou par presentment. Un indictment est une accusation écrite portée sous la foi du serment par une ou plusieurs personnes devant le grand jury. Un presentment est l'acte par lequel le grand jury se saisit d'office de la connaissance d'une offense, sur le rapport d'un de ses membres, sans qu'aucun bill d'accusation lui ait été présenté 3. Ses délibérations sont secrètes nul n'a droit d'y assister. Le président commence par donner lecture des plaintes, dénonciations et autres documents relatifs à chaque affaire; on entend ensuite les plaignants ou dénonciateurs (il n'y a jamais de parties civiles dans les procès criminels) et les témoins à charge; ni les témoins à décharge, ni les accusés ne sont entendus. Il s'agit d'édifier une accusation et non de la juger. Cependant les légistes anglais posent en principe: «< qu'un grand jury doit être pleinement convaincu de la vérité de tout ce qui est allégué dans une plainte avant de la déclarer bien fondée; qu'il doit rejeter tout bill qui n'est appuyé que sur des charges frivoles, et qu'il doit prendre garde de se rendre l'instrument de quelque malveillance particulière* ». La common law contient, au reste, un grand nombre de règles sur l'admission et la forme des preuves écrite et testimoniale que les

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1 R. Philipps, chap. 3.

2 Blakstone, IV, p. 301 et 302. 3 R. Philipps, chap. 3.

jurés connaissent et qu'ils pratiquent religieusement'. Si douze juges déclarent, en levant la main, que les charges produites à l'appui de la plainte sont suffisantes, le président constate cette sentence en écrivant à la suite de cette plainte les mots true bill; si douze jurés ne la trouvent pas fondée, le sujet de l'accusation est constaté par les mots not true bill ou not found. Cette déclaration du grand jury, dès qu'elle est rendue, est immédiatement exécutée si l'accusé est renvoyé devant le jury de jugement, il est traduit presque instantanément devant ce jury; aucun acte de procédure intermédiaire ne sépare la mise en accusation et de jugement. Les deux jurys siégent simultanément et le dernier prononce sur les accusations que l'autre lui renvoie à mesure qu'il les reçoit. On évite ainsi une double comparution des témoins. Les fonctions du grand jury expirent aussitôt qu'il a achevé d'expédier les affaires qui lui sont déférées.

2014. Telle est l'institution, telles sont les formes qui firent l'objet des méditations des commissaires de l'Assemblée constituante. M. Duport, dans le rapport qu'il fit le 20 décembre 1790, au nom des deux comités, se borna à poser le principe d'un double jury d'accusation et de jugement: « Ne séparons jamais le droit de la société d'arrêter provisoirement un citoyen du droit de chaque citoyen d'être promptement jugé et d'après le plus haut degré de certitude possible; sans ces deux choses, où les coupables échappent, ou les innocents sont punis, et dans ces deux cas, la liberté, la sûreté publique et individuelle sont violées. Le moyen le plus sûr de suivre exactement ces distinctions et de respecter ces droits, c'est d'en rapporter l'exercice à des institutions différentes, dont l'une représente l'action de la société sur chaque individu et l'autre renferme surtout les droits des individus contre la société; c'est d'établir des agents différents pour ces deux pouvoirs. Il est évident d'ailleurs que ce n'est pas la même institution que celle qui arrête et celle qui juge, que celle qui se saisit du prévenu avant la preuve, ou celle qui n'agit où le condamne que d'après la preuve; celle-là est active et

1 Philipps, Treatise of the law of evidence, tom. 1, p. 14; Russel, On crimes and misdemeanors, II, p. 588; Hume, Comm. on the law of scotland respecting crimes, II, p. 328; Mittermaïer, Arch. des Criminal-Rechtz, XIII, p. 292. 2 Ch. Comte, Du pouvoir judic., p. 159.

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prompte, l'autre est passive et réfléchie; l'une est provisoire, l'autre est définitive; j'appelle l'une la police, l'autre la justice. La police, dans le plan des comités, exercée par les juges de paix et autres ófficiers, avait pour but de recevoir les plaintes, de dresser les procès-verbaux, d'arrêter les prévenus et de les remettre aux tribunaux. Là finissaient ses fonctions. La justice s'exerçait par un jury d'accusation qui, dans chaque district, s'assemblait promptement pour décider si le prévenu devait ou non être accusé, et par un jury de jugement appelé à décider si l'accusé était ou non coupable du crime qui lui était imputé. « Nous séparons en deux époques différentes, ajoutait le rapport, les poursuites des délits : l'une, qui a lieú avant le premier jury, s'exerce par les plaintes des parties lésées, par les dénonciations des citoyens ou des officiers de police; toutes ces poursuites viennent aboutir au premier jury, lequel les termine en renvoyant les prévenus, ou les transforme en une seule action publique et sociale; et c'est cette action que nous avons appelée l'accusation. Jusque-là le prévenu n'était poursuivi que par la police ou l'inculpé sur des plaintes ou des dénonciations. Maintenant, c'est par la décision de ses concitoyens qu'il est accusé..... Jamais, selon Montesquieu, la sûreté n'est plus attaquée que dans les accusations. Il s'ensuit que la société doit prendre les plus grandes précautions pour faire que les accusations soient, sinon plus rares, au moins plus justes, plus exemptes de prévention et de calomnie: c'est à quoi l'on ne peut parvenir qu'en laissant des citoyens décider s'il y a lieu ou non à accuser un citoyen '. »

Il est clair que la pensée générale qui a dicté ces lignes appartient à la législation de l'Angleterre : le jury d'accusation n'y est, en effet, considéré, comme dans cette législation, que sous un seal aspect, comme une garantie de la liberté civile. Le rapporteur répétait encore, lors de la discussion du projet : « Il est une institution que nous avons cru devoir placer pour ainsi dire à la porte de la justice, le juré d'accusation. Nous avons pensé que la liberté des citoyens était une chose assez importante pour que, s'il est nécessaire à la tranquillité publique de donner à la police une grande énergie, une action prompte, il faille décider sur-lechamp sur le sort d'un citoyen arrêté. Voilà le motif de l'institution du juré d'accusation. Vous croirez important de l'établir

1 Moniteur du 27 décembre 1790.

presque au moment de l'arrestation. A l'instant où un homme est mis dans la maison d'arrêt, un juge doit examiner s'il s'agit d'un délit emportant peine infamante et si l'accusation est de nature à être présentée aux jurés; il faut ensuite que des citoyens s'assemblent pour juger s'il y a lieu à accusation'. »

2015. C'est dans cet esprit que la loi du 16-29 septembre 1791 fut rédigée. Elle s'éloigne des institutions anglaises en ce qui touche les attributions du jury qu'elle restreint, en ce qui touche le nombre des jurés qu'elle réduit à huit, en ce qui touche la direction de leurs délibérations qu'elle confie à un membre du tribunal qui prend le titre de directeur du jury. Sous tous les autres rapports, elle reproduit presque servilement les règles et les formes de la législation britannique.

Le procureur syndic forme tous les trois mois la liste de 30 citoyens réunissant les conditions requises pour être électeurs (loi 1629 sept. 1791, tit. X, art. 1). Le juge, délégué pour remplir les fonctions de directeur du jury, fait tirer au sort, en présence du public, huit membres de cette liste pour former le tableau du jury d'accusation. Ces huit jurés, assemblés au jour indiqué par le tribunal, prêtent serment et prononcent sur-le-champ sur les accusations qui leur sont soumises (tit. I, art. 18 et 19). Leurs attributions sont circonscrites dans le cercle judiciaire, et ils ne peuvent instruire d'office : leur compétence est restreinte aux délits emportant peine afflictive ou infamante et qui leur sont directement déférés. Ils sont saisis par un acte d'accusation qui peut être dressé soit par le juge, soit par la partie plaignante (art. 10 et 11). Le directeur du jury leur expose dans chaque affaire l'objet de l'accusation et leur explique les fonctions qu'ils ont à remplir les pièces de la procédure leur sont remises, à l'exception de la déclaration écrite des témoins (art. 19). Les pièces sont lues d'abord, ensuite les témoins produits à l'appui de l'accusation sont entendus de vive voix, ainsi que la partie plaignante (art. 20). Ni l'accusé ni les témoins qu'il pourrait présenter à sa décharge ne sont produits, et les jurés ne peuvent être l'objet d'aucune récusation. Ils délibèrent en secret, et leur président, qui est le plus ancien d'âge, inscrit au bas de l'acte d'accusation, suivant le résultat de la délibération, l'une ou l'autre 1 Moniteur du 3 janvier 1791.

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