Page images
PDF
EPUB

se représenter à jour fixe devant le tribunal compétent. » Ces deux dispositions donnent lieu à deux observations.

:

Il faut en inférer, d'abord, que l'ordonnance ne doit maintenir le prévenu en état de détention provisoire que lorsqu'il est établi 1° que le fait est qualifié délit par la loi; 2° qu'il peut entraîner la peine d'emprisonnement; 3° enfin, que le prévenu a été régulièrement mis en état d'arrestation avant que la chambre du conseil ait été saisie.

Si le fait n'a que le caractère d'une contravention, la détention provisoire, nous l'avons dit tout à l'heure, doit cesser. Elle doit cesser encore si le fait, bien que qualifié délit, n'entraîne pas la peine d'emprisonnement: c'est la disposition formelle de l'article 131.

2092. Nous avons établi (voy. no 1031) que les ordonnances du juge d'instruction, non suivies d'opposition, ont l'autorité de la chose jugée en faveur du prévenu qui en est l'objet, sauf la survenance de nouvelles charges. Mais cette autorité, qui ne s'applique qu'à l'appréciation des charges relevées par l'instruction, ne s'étend ni à la qualification des faits, ni à la compétence.

En principe, tout juge a le droit de vérifier sa propre compétence; car, avant de statuer, il doit se demander s'il a le droit de le faire; avant d'exercer ses pouvoirs, il doit vérifier s'il n'en dépasse pas la limite; et comment pourrait-il être tenu de juger, s'il ne se reconnaît pas droit de juridiction sur les faits dont il est saisi? Sans doute il peut se tromper, et la juridiction supérieure rectifiera son erreur; mais le recours dont ses jugements sont susceptibles n'affaiblit nullement son droit d'examen sur l'étendue de ses attributions. C'est là, suivant l'expression des légistes, un droit naturel dont il ne peut être privé; car il a son fondement non-seulement dans la pensée du juge, mais dans sa conscience 1. Les arrêts consacrent en conséquence comme une maxime que le droit et le devoir de tout tribunal est de juger avant tout sa propre compétence ».

De là il suit que le tribunal de police saisi d'un fait qui lui est dénoncé comme une contravention, et qui reconnaît dans ce fait

'M. Mourre, Réquis. qui a précédé l'arr. cass. 26 août 1817 (J. P., tom. XIV, p. 448).

2 Cass. 3 juin 1835 (J. P., tom. XIX, p. 546).

les caractères d'un délit; que le tribunal correctionnel saisi d'un fait qui lui est dénoncé comme un délit et qui reconnaît dans ce fait les caractères d'un crime, ont l'un et l'autre le droit et le devoir de déclarer leur incompétence. Ce point a été nettement établi par le Code. L'article 160 porte : « Si le fait est un délit qui emporte une peine correctionnelle ou plus grave, le tribunal (de police) renverra les parties devant le procureur impérial. » L'article 193 déclare également que, « si le fait est de nature à mériter une peine afflictive ou infamante, le tribunal (correctionnel) pourra décerner de suite le mandat de dépôt ou le mandat d'arrêt, et renverra le prévenu devant le juge d'instruction compétent

Or, cette règle doit-elle recevoir une exception lorsque le tribunal de police ou de police correctionnelle est saisi par une ordonnance de la chambre du conseil? Cette ordonnance peutelle avoir pour effet de lier le tribunal saisi de telle sorte qu'il soit tenu de sortir des bornes de sa compétence légale et de juger à titre de contravention ou de délit un fait en qui il reconnaît le caractère d'un délit ou d'un crime? Cette question ne pouvait arrêter sérieusement la jurisprudence.

« Comment, disait M. Mourre dans le réquisitoire que nous avons déjà cité, l'ordonnance de la chambre du conseil auraitelle l'effet de régler définitivement la compétence? La loi n'a pas accordé au prévenu le droit d'être entendu devant cette chambre; elle ne lui a donné ni un droit d'opposition ni un droit d'appel. Comment concevoir que le sort d'un individu puisse être ainsi réglé à huis clos; qu'une question préjudicielle, question de la plus haute importance, puisse être décidée sans contradiction, hors la présence de la partie intéressée et sans cette garantie qui résulte de la publicité des audiences?... Ici tout serait préjudiciel et irréparable; car si le système d'attribution peut être quelquefois favorable au prévenu, mille fois il peut lui être funeste, Il peut arriver que ce fait que l'on renvoie à la police correctionnelle soit un fait purement civil. Dira-t-on que les tribunaux correctionnels sont obligés de juger des faits qui leur paraîtraient purement civils? Non sans doute; les prévenus auraient trop à gémir de cette théorie. »

Aucun texte de la loi ne la suppose. Les articles 129 et 130, en ordonnant aux juges d'instruction de renvoyer soit au tribunal de police, soit au tribunal correctionnel, les faits qu'ils recon

naissent de nature à être punis de peines de police ou correctionnelles, ne leur confèrent point le droit de fixer irrévocablement par ce renvoi la compétence de leur juridiction; ils les saisissent de la connaissance des faits qu'ils leur renvoient; mais c'est là évidemment tout l'effet de leurs ordonnances; car les limites de la compétence de ces tribunaux, fixées par les articles 139 et 179, ne sont point dans ce cas modifiées, et l'obligation qui leur est imposée par les articles 160 et 193 de renvoyer les affaires qui excèdent cette compétence ne reçoit ici aucune dérogation. Les tribunaux de police et de police correctionnelle sont saisis par l'ordonnance de renvoi comme ils le sont par la citation : le renvoi et la citation obligent également le tribunal à ouvrir les portes de l'audience et à faire lire la plainte; mais quand le sanctuaire de la justice s'est ouvert, quand la plainte a été entendue, tous les effets de cette saisine sont épuisés; alors commencent les droits de cette juridiction à laquelle la loi a donné son caractère particulier, sa constitution, son indépendance, De là la conséquence que les ordonnances du juge d'instruction ne lient les tribunaux qu'elles saisissent ni en ce qui concerne la qualification des faits, ni en ce qui concerne la compétence, ou, en d'autres termes, qu'elles sont, non point attributives, mais simplement indicatives de juridiction.

Cette règle, déjà appliquée sous l'empire de l'article 219 du Code du 3 brumaire an IV, à l'égard des ordonnances du directeur du jury portant renvoi devant les tribunaux de police et de police correctionnelle, a été maintenue par la jurisprudence et consacrée par une longue série d'arrêts. Les motifs énoncés par l'un de ces arrêts sont « que l'ordonnance de compétence, rendue par la chambre du conseil, n'ayant pas été attaquée, doit sans doute recevoir son exécution; mais qu'elle a eu la plénitude de cette exécution en saisissant la juridiction correctionnelle; que cette juridiction n'est pas liée par le renvoi; que le tribunal correctionnel doit prononcer conformément aux règles de compétence déterminées par la loi; que le ministère public, par son défaut d'opposition contre l'ordonnance de renvoi, ne peut pas

1 Cass. 11 sept. 1807 (J. P., tom. VI, p. 307).

2 Cass. 27 juin et 21 nov. 1811; 15 mai 1812; 12 mars, 4 sept. et 21 oct. 1813; 14 et 30 mars, 13 juin, 19 juillet et 15 nov. 1816, 12 juin et 26 août 1817, etc. (J. P., à leur date).

être lié non plus relativement au jugement rendu postérieurement par le tribunal correctionnel; que ce défaut d'opposition rend nécessaire l'exécution de l'ordonnance, mais que son effet est consommé par l'instruction faite au tribunal correctionnel1». La plupart des autres arrêts portent simplement « que les ordonnances de la chambre du conseil portant renvoi ne sont point attributives, mais seulement indicatives de juridiction; que les tribunaux correctionnels conservent toujours le droit de vérifier leur propre compétence, et que l'article 193 leur fait un devoir, lorsque le fait dont ils sont saisis mérite une peine afflictive ou infamante, de se déclarer incompétents et de renvoyer devant qui de droit ». Du reste, nous nous bornons à poser ici en termes généraux cette limite à l'autorité des ordonnances des juges d'instruction; nous indiquerons plus loin, et avec plus de détail, en examinant la compétence des tribunaux correctionnels, sous quels rapports ils sont liés par ces ordonnances et dans quels cas ils peuvent s'en écarter.

2

2093. Le Code n'a réglé l'exécution de ces actes que par l'article 132, qui porte : « Dans tous les cas de renvoi, soit à la police municipale, soit à la police correctionnelle, le procureur impérial est tenu d'envoyer, dans les quarante-huit heures au plus tard, au greffe du tribunal qui doit prononcer, toutes les pièces, après les avoir cotées. »

L'envoi doit comprendre toutes les pièces, et par conséquent les pièces de conviction, puisque les juges saisis doivent juger le prévenu; c'est ainsi que l'article 291 ordonne l'envoi des mêmes pièces devant la cour d'assises.

Le procureur impérial doit les coter lui-même la délégation à ce magistrat de cette opération toute matérielle atteste son importance: il s'agit, en effet, de conserver minutieusement tous les éléments de l'instruction écrite qui a servi de base au renvoi.

La tâche du greffier se borne à faire inventaire. L'article 60 du décret du 18 juin 1811 porte : « Dans tous les cas où il y aura envoi des pièces d'une procédure, le greffier sera tenu d'y joindre un inventaire. »

Cass. 4 sept. 1813 (J. P., tom. XI, p. 699).

2 Cass. 7 mars 1835 (Journ. crim., tom. VII, p. 176).

La transmission au greffe du tribunal saisi doit avoir lieu dans les quarante-huit heures au plus tard. De quel moment court ce délai? Nous croyons, comme M. Carnot', qu'il faut appliquer ici la règle écrite dans l'article 135. Il n'y a pas de raison de déterminer un autre délai, car, au cas de renvoi en simple police ou en police correctionnelle aussi bien qu'au cas de non-lieu, il peut y avoir intérêt pour le ministère public ou la partie civile de former opposition; ce n'est donc qu'après ce délai d'opposition expiré que la transmission doit être opérée. Toutefois les mots au plus tard indiquent la célérité que la loi a voulu imprimer à cette procédure préparatoire; le ministère public, s'il ne veut pas former opposition et s'il n'y a pas de partie civile, ne doit donc pas attendre l'expiration du laps de temps fixé par l'article 135. Sa responsabilité serait engagée, au moins dans son for intérieur, si, par un manque de surveillance ou d'exactitude, il prolongeait la détention d'un prévenu.

2094. L'ordonnance de renvoi doit-elle être signifiée au prévenu? La Cour de cassation a jugé que l'omission de cette formalité ne peut ouvrir une nullité : « attendu qu'aucune disposition du Code n'oblige à signifier au prévenu l'arrêt qui le renvoie en police correctionnelle; que si la citation qui lui a été donnée ne lui a pas fait connaître suffisamment le délit qui lui est imputė, il peut demander un délai pour préparer sa défense; mais que dans aucun cas il n'est fondé à se plaindre de l'inexécution d'une formalité qui n'est point prescrite par la loi 2. » Mais, en admettant que, dans l'absence d'une disposition formelle, l'omission de cette signification ne puisse entacher la procédure de nullité, s'ensuit-il qu'il ne soit pas utile à la défense, sinon de signifier, au moins de communiquer au prévenu l'ordonnance qui le renvoie en police correctionnelle? Est-ce que les motifs qui ont fait prescrire la notification de l'arrêt de mise en accusation n'existent pas ici dans toute leur force, moins graves seulement parce que la matière a moins d'importance? Comment le prévenu pourra-t-il se défendre contre les charges de l'instruction écrite, s'il ne connaît la prévention que par la citation ou par l'interrogatoire? Lorsqu'il n'y a pas d'instruction préalable, la citation suffit, 1 Inst. crim., tom. I, p. 517.

2 Cass. 27 déc. 1849 (Bull., no 357); et 4 oct. 1850 (Dalloz, 50, 5, 291).

« PreviousContinue »