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du ministère public. (Voy. n° 513 et suiv.) L'arrêt confond le droit d'exercer cette action et le droit de la mettre en mouvement. L'exercice de l'action publique, nous l'avons déjà dit (voy. no 519), est une véritable fonction; le droit de la mettre en mouvement n'est que le droit de saisir la justice d'une plainte. Le législateur a réservé la fonction au ministère public, mais il a reconnu aux parties le droit d'apporter leurs plaintes à la justice et de la saisir. La partie civile qui porte son action devant la juridiction criminelle n'agit donc point en vertu d'une exception, mais en vertu d'un droit qui lui est propre.

Il y a néanmoins une exception dans l'article 135, mais elle porte sur un autre point: elle résulte, non pas de ce que la partie civile met en mouvement l'action publique, mais de ce qu'elle fait un acte d'exercice de cette action. L'arrêt confond encore ici deux actes distincts: le droit de citer les prévenus devant les tribunaux de police et de police correctionnelle, établi par les articles 145 et 182, et le droit d'opposition aux ordonnances de mise en liberté prévu par l'article 135. En citant le prévenu, la partie civile ne fait que saisir les tribunaux; en formant opposition, elle fait plus, car ils sont déjà saisis; elle participe à l'exercice même de l'action publique, elle fait un acte que, d'après la division générale des pouvoirs, le ministère public doit seul accomplir. C'est sous ce rapport que l'article 135 consacre une véritable dérogation au principe posé par l'article 1er du Code.

2105. Cette dérogation doit-elle, au point de vue théorique, être approuvée? Nous avons soutenu le droit de la partie civile de saisir le juge par sa plainte : ce droit nous a paru une sorte de liberté publique, un moyen de résistance aux abus de la vie civile, une garantie qui assure aux faibles et aux petits la protection de la justice contre les coupables assez puissants ou assez adroits pour se dérober à la surveillance du ministère public. Mais quand la justice est saisie de l'action publique, le droit de la partie lésée est épuisé; l'exercice de cette action ne saurait lui appartenir, elle n'a ni l'indépendance, ni l'impartialité qui sont les conditions de cet exercice; son pouvoir doit être restreint à l'exercice de son action civile, et telle est la distinction que l'article 202 a formellement consacrée. On peut dire, à la vérité, qu'en sauvegardant l'action publique par son opposition elle sau

vegarde en même temps ses propres intérêts: mais le même motif pourrait s'appliquer à tous les actes de la procédure, puisque l'action civile, liée à l'action publique, a nécessairement intérêt à ce qu'elle ne succombe pas, et il faudrait alors, pour résoudre entièrement l'objection, associer la partie lésée, comme dans l'ancienne législation, à tous les actes de la poursuite. C'est là précisément ce que n'a pas voulu notre législation nouvelle, et la barrière qu'elle a posée entre les personnes qui peuvent mettre l'action publique en mouvement et les personnes qui peuvent l'exercer a été un notable progrès, puisque, sans préjudicier aux droits des parties, elle a retiré de leurs mains une arme dont elles auraient abusé. Mais pourquoi, après avoir posé cette sage distinction, l'a-t-elle enfreinte dans l'article 135? Est-ce pour rassurer les intérêts de l'action civile? L'exposé des motifs du Code nous apprend que c'est pour ne pas laisser la société exposée aux suites d'une déclaration hasardée qui arrêterait les poursuites d'un crime réel, sous la fausse supposition que le fait ne présente ni crime, ni délit, ni contravention, ou parce qu'on penserait qu'il est uniquement du ressort des tribunaux de police simple ou correctionnelle ». Ainsi, la loi a voulu placer à côté du ministère public une seconde sentinelle chargée de surveiller les ordonnances du juge et de conserver l'action publique que l'inaction de celui-là aurait éteinte. Ce motif est-il suffisant pour justifier cette disposition? N'est-ce pas assez du ministère public pour veiller à côté de l'ordonnance? Et, par cela seul qu'elle ordonne la mise en liberté des inculpés, faut-il convier les intérêts privés avec leurs mauvaises passions à en arrêter l'exécution? N'eût-il pas été préférable, lorsqu'il s'agit de suspendre un élargissement, de n'admettre que l'intervention du fonctionnaire qui représente l'intérêt général de la société? Au surplus, il est certain que la loi a voulu donner à l'opposition formée par la partie civile les mêmes effets qu'à celle du ministère public, et sous ce rapport l'interprétation consacrée par la Cour de cassation est parfaitement conforme au texte et à l'esprit de notre Code..

2106. M. Mangin infère de là que « l'opposition de la partie civile est acquise en ce sens qu'ayant pour résultat de porter l'action publique devant la chambre d'accusation, cette chambre ne peut pas en être dessaisie par le désistement de cette partie

qui renoncerait à son opposition'». ». Cette conséquence est-elle exacte? La partie civile est maîtresse de son action, et la faculté qu'elle a de se désister ne peut donner lieu à aucun doute. Aussi n'est-ce pas là ce que conteste M. Mangin; il prétend seulement que le désistement de cette partie, après son opposition formée, ne fait pas obstacle à ce que la juridiction supérieure demeure saisie. Il suivrait de là que la poursuite survivrait à l'action et l'effet à la cause. L'opposition de la partie civile a les mêmes conséquences que celles du ministère public, lorsqu'elle existe, lorsqu'elle est régulière; mais par cela même qu'elle émane de la partie civile, elle est sujette aux formes et aux conditions qui sont inhérentes aux actes de cette partie. Elle peut donc être anéantie par le désistement et la transaction. Et comment d'un acte nul faire sortir l'action publique ?

L'article 135 n'accorde qu'à la partie civile le droit de former opposition; le simple plaignant n'a pas le même droit. Il faut même que cette partie se soit constituée au moment où l'ordonnance est intervenue; car cet article fait courir le délai de l'opposition à son égard à compter de la signification de cette ordonnance au domicile par elle élu dans le lieu où siège le tribunal; il suppose donc une constitution antérieure, puisque la signification peut suivre immédiatement la signature de l'ordonnance. Ainsi, un plaignant ne pourrait former opposition, même dans les 24 heures de l'ordonnance, en déclarant par l'acte d'opposition qu'il se constitue partie civile. Ce point, déjà implicitement reconnu par deux arrêts de la Cour de cassation, a été formellement consacré par un arrêt de la cour de Metz, portant que, s'il est vrai de dire, aux termes de l'article 67 du Code d'instruction criminelle, que le plaignant peut se constituer partie civile en tout état de cause, cela doit s'entendre des différents cas où cette cause est portée devant les juges chargés d'appliquer la pénalité; que l'article 135 établit des règles spéciales en matière d'opposition à une ordonnance de chambre du conseil ; que, d'après cet article, ce droit n'appartient qu'au ministère public et à la partie civile; que, d'après le même article, le délai de vingtquatre heures, accordé pour formaliser cette opposition, court

1 Règl. de la comp., p. 80.

2 Conf. Metz 17 déc. 1819, ch. d'acc. (J. P., tom. XV, p. 633).

3 Cass. 19 mars 1813 (J. P., tom. II, p. 222); et 19 sept. 1823. Non imprimé.

contre la partie civile à compter de la signification qui lui est faite de l'ordonnance; qu'il est évident dès lors que le plaignant ne peut former opposition à cette ordonnance, sans avoir acquis antérieurement la qualité de partie civile '.

2107. Le prévenu a-t-il le droit de former opposition aux ordonnances du juge d'instruction qui le renvoient devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police, ou qui rejettent ses exceptions? La loi ne lui reconnaît ce droit que dans deux cas, celui où sa demande en liberté provisoire aurait été rejetée, et celui où il aurait élevé l'exception d'incompétence fondée sur ce que la chambre du conseil ne serait le juge ni du lieu du délit, ni du lieu de sa résidence, ni de celui où il a été arrêté. En dehors de ces cas, qui sont prévus par les articles 119 et 539 du Code d'instruction criminelle, il est de principe dans la pratique que le droit de se pourvoir par opposition contre les ordonnances du juge n'est point ouvert au prévenu. Sur quels motifs s'appuie cette jurisprudence?

Dans une première espèce, le prévenu, officier dans un régiment, avait formé opposition à l'ordonnance qui le renvoyait en police correctionnelle, en se fondant sur ce que, étant agent du gouvernement, il ne pouvait être mis en jugement sans une autorisation du conseil d'État. La chambre d'accusation rejeta cette opposition, « attendu que l'article 135 ne confère le droit d'opposition qu'au ministère public et à la partie civile, et nullement au prévenu renvoyé soit devant un tribunal correctionnel, soit devant un tribunal de police». Le pourvoi contre cet arrêt a été également rejeté, « attendu qu'à l'égard du prévenu, l'ordonnance de la chambre du conseil n'est que préparatoire et d'instruction; qu'ainsi la chambre d'accusation a fait une juste application des règles générales de procédure et de l'article 135, en le déclarant non recevable dans son opposition à ladite ordonnance; que l'arrêt attaqué n'a pu ni voulu priver le demandeur du droit d'opposer devant le tribunal correctionnel tels moyens, en la forme et au fond, qu'il croira utiles à sa défense *».

Dans une deuxième espèce, un notaire, poursuivi pour viola

1 Metz 24 janv. 1832 (J. P., tom. XXIV, p. 844); et conf. Mangin, tom. II, p. 82. 2 Cass. 30 déc. 1813 (S. V. C., n. 4, J. P., tom. II, p. 859, D. A. 9, 507).

tion de dépôt, avait formé opposition contre l'ordonnance qui rejetait une exception fondée sur ce qu'aucun commencement de preuve par écrit n'était apporté pour établir le dépôt. Cette opposition, que la chambre d'accusation n'avait pas accueillie, a été déclarée non recevable par la Cour de cassation, « attendu que les chambres du conseil des tribunaux de première instance, hors les cas des demandes en liberté provisoire sous caution, ne peuvent jamais rendre, au préjudice d'un prévenu, que des ordonnances d'instruction, ou des ordonnances qui, sans régler définitivement la compétence, ne font que l'indiquer; que ces ordonnances ne pourraient donc être susceptibles d'opposition ou d'appel de la part du prévenu que par une disposition formelle de la loi; que le droit d'opposition ou d'appel ne lui est pas accordé par l'article 135; qu'il ne lui est accordé que par l'article 539; mais que la disposition de cet article ne peut pas être étendue au delà du cas auquel il se réfère; que cet article, qui fait partie du chapitre des règlements de juges, ne peut être appliqué qu'aux circonstances qui, dans l'article 526, sont nécessairement supposées exister, c'est-à-dire aux cas où l'exception d'incompétence relevée contre le juge d'instruction ou la chambre du conseil serait fondée sur les articles 63 ou 69; que la loi n'aurait pu admettre en faveur des prévenus un droit d'opposi tion ou d'appel plus étendu contre les ordonnances des juges d'instruction et des chambres du conseil, sans qu'il en fût résulté pour eux un moyen assuré d'entraver la marche de la première instruction, de se procurer le dépérissement des preuves, et de paralyser ainsi l'action de la vindicte publique1».

Dans une troisième espèce, la Cour de cassation a déclaré non recevable le pourvoi des prévenus contre un arrêt de la chambre d'accusation, confirmatif d'une ordonnance de la chambre du conseil, qui le renvoyait en police correctionnelle. Le moyen de cassation était pris de ce que le fait incriminé constituait une contravention et non un délit. La Cour a déclaré « que l'article 135 n'accorde point aux prévenus le droit de se pourvoir par opposition ou appel contre les ordonnances des chambres du conseil; que le recours contre les arrêts des chambres d'accusation rendus sur l'opposition ou l'appel de ces ordonnances ne

1 Cass. 7 nov. 1816 (S. V. 17, 1, 65. C. n. 5. D. A. 9. 508. J. P., tom. XIII, p. 660).

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