Page images
PDF
EPUB

de ces deux formules: oui, il y a lieu, ou non, il n'y a pas lieu (art. 22). La décision est prise à la majorité des suffrages (art. 27). Si les jurés prononcent qu'il n'y a pas lieu à accusation, le prévenu est mis en liberté et ne peut plus être poursuivi à raison du même fait, à moins que, sur de nouvelles charges, il ne soit présenté un nouvel acte d'accusation. S'ils déclarent, au contraire, qu'il y a lieu à accusation, le directeur du jury rend sur-le-champ une ordonnance de prise de corps contre l'accusé, qui est renvoyé devant le jury de jugement (art. 28 et 29).

Telle est l'économie du jury d'accusation tel que l'Assemblée constituante l'avait établi. Ces dispositions avaient leur complément dans l'instruction pour la procédure criminelle du 29 septembre-21 octobre 1791. Cette instruction portait : « Les jurés doivent bien se pénétrer de l'objet de leur mission; ils n'ont pas å juger si le prévenu est coupable ou non, mais si le délit qu'on lui impute est de nature à mériter l'instruction d'une procédure criminelle, et s'il y a déjà des preuves suffisantes à l'appui de l'accusation; ils apercevront facilement le but de leurs fonctions, en se rappelant les motifs qui ont déterminé à établir un jury d'accusation. Ces motifs ont leur base dans le respect pour la liberté individuelle. La loi, en donnant au ministère actif de la police le droit d'arrêter un homme prévenu d'un délit, a borné son pouvoir au seul fait de l'arrestation. Mais une simple prévention qui souvent a pu suffire pour qu'on s'assurât d'un homme ne suffit pas pour le priver de sa liberté pendant l'instruction du procès et l'exposer à subir l'appareil d'une poursuite criminelle. La loi a prévenu ce dangereux inconvénient, et, à l'instant même où un homme est arrêté par la police, il trouve des moyens faciles et prompts de recouvrer sa liberté s'il ne l'a perdue que par l'effet d'une erreur et de soupçons mal fondés, ou si son arrestation n'est que le fruit de l'intrigue, de la violence ou d'un abus d'autorité. Il faut alors qu'on articule contre lui un délit grave: ce ne sont plus de simples soupçons, une simple prévention, mais de fortes présomptions, mais un commencement de preuves déterminantes qui doivent provoquer les décisions des jurés pour l'admission de l'acte d'accusation. Ce n'est qu'après avoir subi cette première épreuve, ce n'est que sur l'accusation reçue par un jury de huit citoyens, que le détenu peut être poursuivi criminellement et jugė. »

Nous examinerons tout à l'heure, au point de vue de la procédure criminelle, cette théorie et les formes qui en sont les corollaires; nous ne voulons que constater en ce moment la parfaite analogie de cette législation et de la législation anglaise. Elles ont le même but la protection de la liberté individuelle; elles se servent du même moyen : l'intervention de jurés qui admettent ou rejettent les accusations; elles emploient enfin les mêmes formes la délibération secrète, l'audition des parties plaignantes et des témoins à charge, la lecture des procès-verbaux. Chaque disposition de la loi française a sa source dans les coutumes anglaises, à moins que quelque motif spécial pris dans nos mœurs et dans nos usages n'ait exigé quelque modification. On peut retrouver à chaque règle de cette procédure la preuve de cette filiation.

2016. Le Code du 3 brumaire an IV ne fit que reproduire avec une scrupuleuse exactitude les dispositions de la loi du 16-29 septembre 1791 sur le jury d'accusation (art. 235-254, 491-500). Il n'en fut pas ainsi de la loi du 7 pluviôse an IX. Cette loi, dont nous avons déjà caractérisé les tendances ', eut pour mission principale de restituer à la justice pénale une force qui semblait lui manquer.

Le jury d'accusation, dont les décisions paraissaient à quelques esprits empreintes de mollesse et d'indulgence, fut soumis à une grave modification dans les formes de sa procédure: il fut appelé à statuer, non plus après l'audition des parties et des témoins, mais seulement sur le vu de l'instruction écrite. Le directeur du jury, devenu juge d'instruction, était seul chargé d'entendre les témoins et de procéder à tous les actes de la procédure. L'acte d'accusation, dressé par le substitut du commissaire du gouvernement, était la base de la délibération des jurés; et l'article 21 de la loi ajoutait : « La partie plaignante ou dénonciatrice ne sera pas entendue devant le jury d'accusation; les témoins n'y seront pas non plus appelés : leurs dépositions lui seront remises avec les interrogatoires et les pièces à l'appui de l'acte d'accusation. »

Ainsi, le jury d'accusation fut réduit à chercher les éléments de ses décisions dans la procédure écrite toute instruction en dehors de cette procédure, tous débats lui furent interdits. Ra1 Voy. no 450,

mené aux proportions d'une chambre du conseil, et statuant sous la direction d'un juge qui se bornait à lui donner lecture des pièces de l'instruction, s'il exerçait encore les mêmes pouvoirs, il ne les exerçait plus avec les mêmes lumières et la même indépendance. Au surplus, l'établissement des tribunaux spéciaux décrétés par la loi du 18 pluviose an IX apporta d'étroites limites à ces attributions.

§ III. Institution des chambres du conseil et d'accusation.

2017. Le ministre de la justice, dans un compte rendu au gouvernement consulaire le 3o complémentaire an XI, après avoir exposé les motifs qui lui paraissaient militer soit pour la conservation, soit pour l'abrogation de la procédure par jurés, avait conclu à ce qu'une nouvelle épreuve de cette institution, purgée des vices qu'on y aurait remarqués, fùt tentée, afin qu'une dernière expérience décidât entre elle et ses détracteurs. Un nouveau projet de Code criminel fut en conséquence préparé. Ce projet conservait le jury d'accusation, mais il en modifiait les bases.

« Dans aucun cas, disait M. Oudart (l'un des membres de la commission chargée de la rédaction du projet), dans aucun cas le jury d'accusation ne sera soumis aux opérations du sort ni à l'exercice du droit de récusation, et nous voulons de plus qu'à l'exemple des Anglais, chez qui la grande jurée est la plus nombreuse et choisie parmi les hommes les plus recommandables du comté, nous voulons que le jury d'accusation soit composé de quinze personnes, et qu'elles soient prises parmi les deux cents citoyens les plus imposés de l'arrondissement ces deux cents citoyens seront ainsi constitués, pour ainsi dire, les gardiens permanents de la paix du pays. Qui peut, en effet, ne pas demeurer convaincu que, s'il faut des lumières et du courage pour juger un accusé après une instruction complète, au milieu d'un appareil protecteur, il faut bien plus de lumières pour juger de l'état d'un prévenu sans solennité et sur une instruction encore incomplète '."

Le projet fut communiqué aux tribunaux d'appel et aux tribunaux criminels pour avoir leurs observations critiques : ces observations, qui ont en général peu de portée, ne jetèrent aucune

1 Observations sur le projet de Code criminel, Locré, tom. XXV, p. 27.

lumière nouvelle sur la question. La plupart se fondent sur la nécessité de fortifier la justice répressive et sur l'idée généralement admise à cette époque que le jury et surtout le jury d'accusation, par sa faiblesse ou par son ignorance, l'avaient énervée, pour proposer sa suppression. Quelques-uns n'hésitent même pas à rejeter toutes les institutions de 1791 et à revenir au système de l'ordonnance de 1670, en ajoutant seulement en faveur de l'accusé l'assistance d'un défenseur et la publicité de l'audience 3. Quelques-uns néanmoins, mais en petit nombre, s'attachent à l'institution des jurés et veulent en maintenir le principe en corrigeant les vices reconnus de la législation. Deux tribunaux, dans une opinion remarquable, émettent le vœu du maintien du jury d'accusation et de la suppression du jury du jugement, comme s'il était plus facile encore de trouver dans les juges permanents des garanties d'un bon jugement que des garanties d'une poursuite prudente et mesurée. Deux tribunaux émettent les premiers la pensée, puisée d'ailleurs dans notre ancien droit, de restituer aux tribunaux statuant en chambre du conseil les pouvoirs du jury d'accusation 5.

Le projet étant revenu, entouré de ces observations, devant la section de législation du conseil d'État, la question fut portée la première fois à la séance de ce conseil du 16 prairial an XII. Voici les termes du procès-verbal : « Y aura-t-il un jury d'accusation? M. Treilhard dit que cette question ne peut souffrir de difficulté, puisqu'il est évident qu'un seul jury ne donne point de garantie suffisante ni à la société ni à l'accusé. -M. BigotPréameneu ajoute qu'il faut nécessairement que le prévenu soit ou renvoyé ou traduit devant le tribunal criminel par la décision soit d'un magistrat de sûreté, soit d'un jury d'accusation, et qu'il y a plus de sûreté à confier ce pouvoir à un jury. — Le conseil adopte l'afffirmative de la question 7. »

1 Observations des tribunaux d'appel et des tribunaux criminels sur le projet de Code criminel, 4 vol. in-4o, publiés en l'an XIII.

2 Tribunal d'appel d'Aix : « Nous n'hésitons pas à penser que l'ordonnance de 1670, modifiée par les décrets de 1789, offre plus de garantie et des motifs plus réels de sécurité. »

3 Tribunal d'appel d'Agen.

4 Tribunaux criminels de la Manche et de l'Orne.

5 Tribunal d'appel de Metz; tribunal criminel de l'Ain.

6 Locré, tom. XXIV, p. 11.

7 Locré, tom. XXIV, p. 48.

Le conseil adopte ensuite en principe « que les jurés seront pris parmi les membres des colléges électoraux ; qu'on n'appellera que les jurés désignés avant la cause; que la liste sera formée par le préfet; que celle du jury d'accusation sera composée de quinze jurés désignés pour un mois et celle du jury de jugement de quarante-huit désignés pour trois mois 1».

1

Le projet consacrait, du reste, le système de la loi du 7 pluviose an IX. Voici, en effet, quelques-uns de ses articles : « Art. 98. Le juge d'instruction donnera aux jurés, en présence du magistrat de sûreté, lecture de l'acte d'accusation, ainsi que de toutes les pièces qui y seront relatives, à peine de nullité. Art. 99. La partie civile, le prévenu, les témoins ne paraîtront point devant le jury d'accusation; les plaintes, dénonciations et dépositions seront remises au jury avec les interrogatoires et toutes les pièces à conviction ou à décharge relatives à l'acte d'accusation, à peine de nullité. Cela fait, le juge d'instruction et le magistrat de sûreté se retireront les jurés délibéreront entre eux. Ces articles et toutes les dispositions du projet relatives au jury d'accusation furent adoptés sans discussion'.

2018. Cette première détermination fut bientôt soumise à une nouvelle épreuve. A la séance du 1er brumaire an XIII, le conseil d'État examinait la question de la réunion en un seul corps judiciaire de la justice civile et de la justice criminelle, et M. Cambacérès, qui voulait le rétablissement des grands corps judiciaires, dit : « Il ne faut pas se dissimuler qu'en laissant subsister le jury d'accusation tel qu'il est organisé, il est au pouvoir du petit nombre d'individus privés qui le composent d'arrêter le mouvement imprimé par les cours au ministère public. Cette considération doit peut-être déterminer à ne pas laisser les particuliers prononcer sur l'accusation et à la faire délibérer par le tribunal de première instance, en donnant aux juges instructeurs les qualités de substituts du procureur général. On arriverait ensuite au second degré, qu'on placerait dans les cours d'appel, aux quelles on réunirait les cours criminelles. On donnerait à ces cours ainsi composées le droit de haut ressort sur les tribunaux inférieurs. Elles pourraient les réprimander, les mander mène 1 Locré, tom. XXIV, p. 54.

2 Locré, tom. XXIV, p. 257, 309 et suiv.

« PreviousContinue »