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connu que sa détention a été illégalement prolongée, il n'en est plus ainsi à l'égard de celui qui est demeuré libre et qui n'a éprouvé par conséquent aucun préjudice. La Cour de cassation a répondu à ces objections : « que le cas de mise en liberté du prévenu n'est énoncé dans l'article 135 que dans un sens démonstratif, et non pas dans un sens limitatif; que l'opposition aux ordonnances des chambres du conseil doit être jugée par les chambres d'accusation, soit que le prévenu ait été arrêté, soit qu'il ne l'ait pas été, et soit que la mise en liberté ait été prononcée ou refusée par la chambre du conseil; d'où il suit que, dans ces différents cas, l'article 136, qui est corrélatif avec l'article 135, peut recevoir son application'. » Cette décision est la conséquence nécessaire de l'interprétation qui a étendu le droit d'opposition à toutes les ordonnances de la chambre du conseil. Il est possible, d'ailleurs, que l'inculpé éprouve un autre préjudice que celui qui résulte de la prolongation de sa détention : l'incertitude où l'opposition le maintient sur sa position, les doutes qu'elle fait planer sur son innocence, le dommage qui peut en résulter pour son industrie ou sa fortune.

2121. Les dommages-intérêts doivent-ils être prononcés de plein droit au cas de rejet de l'opposition, ou ne doivent-ils l'être que sur la demande de l'inculpé? M. Carnot pense que « le Code n'impose pas au prévenu l'obligation de les demander. La condamnation de la partie civile aux dommages-intérêts est la conséquence nécessaire du débouté de son opposition. » M. Legraverend ne partage pas cet avis: « Si le prévenu, dit-il, n'avait formé aucune demande, il est hors de doute que la chambre d'accusation n'aurait rien à lui adjuger, parce qu'elle ne peut prononcer que sur l'action et sur les demandes respectives". M. Bourguignon ajoute: « L'article 136 doit trouver son complément dans le droit commun, dans les autres dispositions du Code relatives aux dommages-intérêts, et notamment dans l'article 366 partout on voit que les dommages-intérêts ne peuvent être adjugés que sur la demande formelle de celui à qui ils sont dus. » Cette dernière opinion n'a point été adoptée par la Cour 1 Cass. 10 juin 1813, cité suprà.

2 Tom. I, p. 542.

3 Tom. III, chap. X, p. 404,

4 Tom. I, p. 310.

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de cassation, qui, consacrant l'avis de M. Carnot, a déclaré « que la disposition de l'article 136 est claire, précise et impérative; qu'elle rend indispensable la condamnation de la partie civile aux dommages-intérêts du prévenu, lors même que celui-ci n'en a pas formé la demande 1».

On voit que la querelle est ici, comme dans la question précédente, entre le droit commun et l'exception. En thèse générale, les tribunaux criminels, comme les tribunaux civils, ne peuvent prononcer sur une contestation dont ils ne sont point saisis, et là où il n'y a point de demande, il n'y a pas de procès, il n'y a point à statuer. L'article 136 a-t-il dérogé à cette règle de la procédure? Là est toute la difficulté. Or, nous avons vu que l'article 135, dont l'article 136 n'est que le complément, a introduit une première exception dans notre droit lorsqu'il a attribué à la partie civile un acte d'exercice de l'action publique; l'article 136 participe évidemment de ce caractère exceptionnel dicté par la nécessité de contenir l'action exorbitante confiée à la partie civile, il a dû, pour apporter un remède efficace, rompre les règles ordinaires de la procédure. « Quelle est, dit M. Mangin, la position d'un prévenu lorsqu'une opposition de la partie civile vient lui disputer les avantages qu'il tenait de l'ordonnance de la chambre du conseil? Il peut ignorer l'existence de cette opposition, puisque la partie civile n'est pas tenue de la lui notifier quand elle l'a faite au greffe. Supposez qu'il en ait connaissance; ne trouvez-vous pas qu'il y aurait une rigueur extrême à subordonner la réparation des dommages qu'elle lui fait essuyer à la condition qu'il en poursuivra la réparation devant la cour, souvent à une grande distance du lieu où siége le tribunal qui lui a été favorable? Comment pourra-t-il présenter un mémoire à la cour s'il est détenu? Comment le pourra-t-il s'il est indigent *? » Le préjudice causé par une opposition téméraire peut être facilement évalué; il s'agit moins, d'ailleurs, de la réparation d'un préjudice que d'une peine appliquée à la témérité de la partie civile; et c'est à raison de ce caractère spécial des dommagesintérêts que le juge est appelé à les prononcer d'office. L'article 436, qui veut que la Cour de cassation condamne à une indemnité la partie civile qui succombe dans son pourvoi, n'exige,

1 Cass. 6 nov. 1823 (S. V. C. n. 7. D. A. 11, 241; J. P., tom. XVIII, p. 181). 2 Mangin, tom. II, p. 107.

pas plus que l'article 136, qu'une demande soit formée. C'est la peine d'un recours légèrement formé, et cette peine, quoiqu'elle soit prononcée dans l'intérêt du prévenu et lui profite, n'est point soumise à la règle posée par les articles 159, 161, 191 et 366 pour la condamnation aux dommages-intérêts.

Si néanmoins le prévenu a formé une demande, il doit, pour agir régulièrement, faire signifier sa requête ou ses conclusions à la partie civile '; mais le défaut de cette signification ne pourrait être opposé par cette partie comme fin de non-recevoir à la demande, puisque la loi ne l'exige point, que la demande du prévenu est formée de plein droit et qu'elle existe comme conséquence de l'opposition 2.

2122. La chambre d'accusation a l'appréciation souveraine des dommages-intérêts, et son arrêt n'est soumis sous ce rapport à

aucun recours.

Si elle a omis de statuer sur ce chef, le prévenu peut prendre la voie de la cassation; mais c'est la seule voie qui soit à sa disposition; il n'est pas exact de dire, comme le fait M. Bourguignon, que son action peut être exercée ultérieurement par la voie civile. La chambre d'accusation a été spécialement affectée au jugement de cette action; si elle n'a pas statué, il y a lieu de penser qu'elle n'a pas cru qu'il y eût lieu de le faire'.

Si la chambre d'accusation a, au contraire, accordé au prévenu des dommages-intérêts, la partie civile ne serait pas fondée à faire opposition à cet arrêt, sous prétexte qu'il aurait statué par défaut à son égard ; car l'arrêt, étant intervenu sur son opposition même, est rendu contradictoirement avec elle. Il serait impossible de prétendre qu'un arrêt contradictoire, lorsqu'il confirme l'ordonnance, serait par défaut lorsqu'il prononce les dommagesintérêts".

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CHAPITRE SEPTIÈME.

DE LA CHAMBRE D'ACCUSATION.

2123. Composition de la chambre d'accusation (art. 218).

2124. Mode des remplacements en cas d'empêchement de ses membres.

2125. Dans quels cas l'empêchement est de droit réputé légitime et dans quels cas il y a lieu de le constater.

2126. Quand la chambre est complète, aucun membre étranger ne peut y siéger.

2127. Les membres de la chambre sont désignés et renouvelés par le roulement.

2128. Modifications apportées par l'ordonnance du 5 août 1844. Appréciation de ces modifications.

2129. Faculté de réunir à la chambre d'accusation la chambre des appels correctionnels. Dans quels cas cette mesure peut avoir lieu.

2130. Causes d'abstention, de récusation ou d'incompatibilité qui sont relatives aux membres de la chambre d'accusation.

2131. Assistance du greffier. Formes de la procédure.

2132. Fixation des jours de réunion.

2133. Elle ne statue que sur l'instruction écrite. 2134. Elle délibère et juge à huis clos.

2135. Dans quel délai elle doit statuer. 2136. Mode de sa délibération.

2123. L'organisation de la chambre d'accusation est réglée par plusieurs lois, décrets et règlements qu'il faut coordonner

entre eux.

L'article 218 du Code d'instruction criminelle dispose que <«< une section de la cour impériale spécialement formée à cet effet sera tenue de se réunir sur la convocation de son président et sur la demande du procureur général, toutes les fois qu'il sera nécessaire, pour entendre le rapport du procureur général et statuer sur ses réquisitions. A défaut de demande expresse du procureur général, elle se réunira au moins une fois par semaine. »

Cette section se forme d'après les règles prescrites en vertu de l'article 5 de la loi du 20 avril 1810, portant: « La division des cours impériales en chambres ou sections et l'ordre du service seront fixés par des règlements d'administration publique. » Ces règlements sont, en ce qui concerne la chambre d'accusation, le décret du 6 juillet 1810, l'ordonnance du 11 octobre 1820 et celle du 5 août 1844.

L'article 2 du décret du 6 juillet 1810 est ainsi conçu : « Nos cours impériales, composées de vingt-quatre conseillers au moins, formeront trois chambres, dont une connaîtra des affaires civiles,

une connaîtra des mises en accusation, et une connaîtra des appels en matière correctionnelle ces deux dernières chambres ne pourront rendre arrêt qu'au nombre de cinq juges au moins. Nous déclarerons par un décret particulier celles de nos cours dans lesquelles il serait nécessaire d'établir plus d'une chambre d'accusation. L'article 12 du même décret ajoute que les chambres temporaires d'accusation seront formées de cinq membres.

Il résulte de ces premières dispositions que la chambre d'accusation doit être composée de cinq membres de la cour au moins. Elle peut être composée d'un plus grand nombre, puisque la loi n'en a pas fixé le maximum et que chaque chambre des cours contient habituellement un ou deux magistrats au delà du nombre nécessaire, pour suppléer aux empêchements et aux absences; mais la présence de cinq est indispensable pour qu'elle puisse

statuer.

2124. Lorsque ce nombre n'est pas atteint par les membres de la chambre présents et non empêchés, on appelle les membres des autres chambres. L'article 9 du décret du 6 juillet 1810 porte Tous les membres des chambres civile ou criminelle pourront être respectivement appelés, dans le cas de nécessité, pour le service d'une autre chambre. »>

:

Cette nécessité est présumée par cela seul qu'il est énoncé que le magistrat étranger a été appelé pour compléter la chambre; il n'est pas nécessaire de constater l'empêchement particulier qui l'a fait appeler. Le pourvoi formé contre l'arrêt d'une chambre d'accusation était fondé sur ce que l'un des magistrats qui y avaient pris part ne faisait pas partie de cette chambre et que l'arrêt ne constatait pas l'empêchement du conseiller dont l'absence avait motivé le concours de ce nouveau magistrat. Ce pourvoi a été rejeté « Attendu que si M. le conseiller Mandet a été appelé pour compléter la chambre des mises en accusation, et s'il est vrai que ce magistrat a participé à l'arrêt attaqué, cet arrêt constate que ce conseiller a été appelé, conformément à la loi, pour compléter la chambre d'accusation; qu'il résulte de cette constatation présomption légale que le magistrat dont l'absence a nécessité le remplacement était légalement empêché; que par conséquent ladite chambre était régulièrement composée '. » La Cour 1 Cass. 19 déc. 1850 (Bull., no 425).

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