Page images
PDF
EPUB

il résulte de la combinaison de ces articles que l'examen auquel la chambre d'accusation doit se livrer lorsqu'une affaire est portée devant elle doit embrasser tous les faits sur lesquels a porté l'instruction; que ces faits doivent être considérés sous toutes leurs faces 1».

Le deuxième arrêt, qui rappelle dans son texte les faits de l'espèce dans laquelle il est intervenu, porte également « qu'il résulte des dispositions combinées des articles 221, 226, 229 et 231 que la chambre d'accusation, saisie en exécution de l'article 217, doit rechercher s'il existe dans l'instruction contre le prévenu indices suffisants d'un fait qualifié crime par la loi; que, cette chambre étant investie, quant aux instructions criminelles, d'une attribution pleine et entière, son examen doit embrasser tous les faits sur lesquels a porté l'information; que son devoir est de déterminer la nature de chacun de ces faits et d'assigner à chacun d'eux sa qualification légale, en réparant ainsi, s'il y a lieu, les omissions qui ont pu être faites par les chambres du conseil dans l'exercice d'un pouvoir considéré par la loi comme secondaire, et que la chambre d'accusation peut toujours exercer elle-même lorsqu'elle est saisie par une ordonnance de prise de corps; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, lors du rapport fait en chambre d'accusation de la cour de Poitiers de l'instruction suivie contre Jean Giraudot, prévenu par l'ordonnance de la chambre du conseil de Jonzac de deux attentats à la pudeur dont avaient été victimes deux jeunes filles âgées l'une de moins de onze ans, l'autre de moins de quinze, le procureur général a formellement conclu à ce que le prévenu fût renvoyé devant la cour d'assises, à raison d'un autre fait de même nature sur une autre jeune fille âgée de moins de quinze ans, fait relevé dans l'information par les déclarations des témoins et sur lequel le prévenu avait même eu à s'expliquer dans l'interrogatoire par lui subi; que la chambre se trouvant saisie de la procédure, conformément à l'article 133, il ne pouvait y avoir lieu de sa part d'user du droit d'évocation qu'accorde l'article 235, mais qu'elle devait statuer, ainsi qu'il vient d'être établi, d'après les dispositions des articles 221 et suivants a » .

1 Cass. 23 janv. 1845 (Bull., no 24). 2 Cass. 27 août 1851 (Bull., no 300).

§ IV. Appréciation des faits.

2155. La chambre d'accusation, lorsqu'elle a reconnu sa compétence et écarté les diverses exceptions qui peuvent se placer au-devant de l'action, arrive immédiatement à l'examen de l'instruction.

Nous avons posé (n° 2061 et 2062) les règles qui doivent être suivies par le juge d'instruction et la chambre d'accusation dans cet examen. Nous avons vu: 1° qu'ils doivent constater tous les éléments des crimes ou délits qu'ils incriminent; 2° qu'ils ont le droit d'apprécier tous les faits qui ont pour effet d'en effacer la criminalité; 3° mais que leur pouvoir ne s'étend pas jusqu'à l'appréciation des faits d'excuse qui atténuent cette criminalité sans la détruire (n° 2059). Nous avons également établi 1° qu'ils doivent rechercher des indices de culpabilité et non des preuves; 2o qu'ils ne peuvent ni admettre une prévention ni la rejeter sans constater qu'il existe ou qu'il n'existe pas des indices suffisants pour la justifier (no 2060).

Nous n'avons point à revenir sur ces différents points.

Nous voulons seulement ajouter ici à ces attributions communes aux deux degrés de la juridiction deux attributions spéciales de la chambre d'accusation; savoir: 1° qu'à cette chambre appartient l'appréciation souveraine des faits recueillis par l'instruction; 2° qu'elle est également investie du droit de réformer et de compléter les qualifications imposées à ces faits par le juge d'instruction.

2156. La loi a délégué à la chambre d'accusation l'appréciation souveraine des faits sur lesquels a porté l'instruction, En effet, l'article 221 du Code d'instruction criminelle porte : « Les juges de la chambre d'accusation examineront s'il existe contre le prévenu des preuves ou des indices d'un fait qualifié crime par la loi, et si ces preuves ou indices sont assez graves pour que la mise en accusation soit prononcée. » Les articles 229, 230 et 231 ajoutent qu'ils ont le droit soit d'ordonner la mise en liberté des prévenus, s'ils ne trouvent pas des indices suffisants de culpabilité, soit de le renvoyer, s'il y a lieu, en police correctionnelle, soit, s'ils trouvent des charges suffisantes et que le fait soit qualifié crime par la loi, d'ordonner son renvoi aux assises.

Il suit de là que la chambre d'accusation est investie d'un droit supérieur d'appréciation des faits, qu'elle peut modifier et réformer les appréciations du juge d'instruction, qu'elle peut même y substituer ses propres appréciations. La loi lui a attribué un pouvoir qui, renfermé dans le cercle des faits relevés par l'instruction, est souverain; car l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 porte: «La justice est rendue souverainement par les cours impériales; leurs arrêts, quand ils sont revêtus des formes prescrites à peine de nullité, ne peuvent être cassés que pour une contravention. expresse à la loi. »

Cette règle ne donne lieu, en général, à aucune difficulté. Nous nous bornerons donc à en suivre l'application dans quelques espèces. La Cour de cassation a successivement déclaré : 1o Que la chambre d'accusation peut déclarer que le notaire qui a faussement certifié dans un inventaire s'être transporté sur les lieux, et avoir procédé soit à l'inventaire même, soit à un acte de vente, tandis que ces deux actes avaient été passés par son clerc, en son absence, n'est passible d'aucune poursuite, lorsqu'il n'a pas agi frauduleusement : « Attendu que ces actes, qui n'ont été faits qu'entre personnes privées, et que ce notaire a revêtus des formes authentiques, par la force desquelles foi entière et publique doit leur être accordée, ne sont pas seulement mensongers quant à la forme, qu'ils sont faux dans leur substance, aux termes de l'article 146 Code de procédure, lorsqu'ils constatent comme vrais des faits qui sont faux, et que ces faits faux dénaturent la substance de ces actes, en leur donnant le caractère d'authenticité qui n'appartient point à des actes privés; qu'aux termes du même article, ce fait est un crime lorsqu'il a été commis frauduleusement; mais que la cour de Rouen, après avoir déclaré les faits rappelés ci-dessus, a ajouté que le notaire n'a pas dénaturé frauduleusement ces actes, et que par cette déclaration elle ne peut avoir violé aucune loi '.

[ocr errors]

2o Que l'arrêt d'une chambre d'accusation qui déclare n'y avoir lieu à suivre, à défaut de charges suffisantes, contre un prévenu de faux témoignage, est à l'abri de toute critique: « Attendu qu'il résulte de l'arrêt que la chambre d'accusation a discuté et apprécié toute l'instruction, et que c'est après cette appréciation qu'elle a déclaré qu'il n'existait pas de charges suffi1 Cass. 18 févr. 1813 (J. P., tom. XI, p. 148).

santes pour poursuivre Mesnil, prévenu de faux témoignage; que cette décision justifie suffisamment l'arrêt; qu'il n'est point dans les attributions de la cour de prononcer sur les éléments d'une déclaration rendue d'après le résultat des charges d'une instance'..

3° Qu'une chambre d'accusation qui juge « que de la procédure il ne résulte aucun indice des crimes imputés aux prévenus, et qui déclare en conséquence qu'il n'y a lieu à suivre contre eux, use du droit que la loi lui donne, et qu'à elle seule appartient l'appréciation des charges *».

4° « Qu'il appartient aux chambres des mises en accusation d'apprécier souverainement les circonstances qui peuvent dépouiller le fait objet de la prévention de tout caractère de criminalité; qu'en fait l'arrêt attaqué a déclaré qu'il résultait de l'instruction que Pierre Chavarin a brisé une voiture appartenant à autrui, laissée momentanément sur un chemin public, et que ledit Chavarin a jeté les roues, moyeux et essieu de cette voiture dans une pièce d'eau dépendant d'un domaine par lui habitė; mais que ledit arrêt a déclaré en même temps que, d'après les faits et circonstances qui résultent de l'instruction, ce ne serait pas un vol que le prévenu aurait commis, mais seulement un fait dommageable pouvant donner lieu à une action civile, et qu'en conséquence il n'y avait lieu à accusation contre cet inculpé; que cette appréciation de fait échappe à toute censure. »

Ces arrêts, qui se reproduisent incessamment dans la jurisprudence, suffisent à démontrer que la règle qui répute irréfragables les déclarations de fait des chambres d'accusation ne rencontre aucune objection dans la pratique. Elle s'applique à tous les faits constitutifs des crimes et des délits, à tous les éléments de la criminalité, à la moralité de l'acte aussi bien qu'à sa matérialité.

2157. Et néanmoins, quelque nette et précise que soit cette règle, il arrive dans certains cas que son application soulève quelque incertitude, soit à raison de la rédaction trop vague des déclarations de fait, soit parce qu'elles semblent apprécier, non

1 Cass. 13 févr. 1818 (J. P., tom. XIV, p. 647).

2 Cass. 20 janv. 1820 (J. P., tom. XV, p. 717).

3 Cass. 16 juin 1846 (Bull., no 163),

4 Cass. 5 avril 1838 (Bull., no 93); 11 févr. 1842 (Bull., no 25), etc.

plus le fait seulement, mais le délit lui-même. On peut citer comme signalant un exemple de cette confusion, au moins apparente, un arrêt de la Cour de cassation qui rejette un pourvoi du procureur général de Poitiers : « attendu que la chambre d'accusation a renvoyé des poursuites Eusèbe de Tasseau et Hilaire Bournigal, non par le motif qu'il n'était pas suffisamment prouvé qu'ils eussent commis les délits qui leur étaient imputės, mais parce qu'il ne résultait pas de la procédure qu'ils eussent porté ou répété les toasts, ou proféré les cris qui auraient constitué les délits à raison desquels ils étaient poursuivis, et qu'en outre, à l'égard de Bournigal, qu'il eût chanté une chanson en l'honneur des rebelles de la Vendée; qu'en cela faisant, la chambre d'accusation n'a point usurpé les fonctions de jurés, mais s'est renfermée dans les termes de la loi et dans ses attributions '. »

Quelquefois la difficulté devient plus délicate lorsque les déclarations de fait, émises évidemment en vue des dispositions de la loi, semblent n'avoir d'autre but que d'en éluder indirectement l'application. L'erreur de fait, lorsqu'on en déduit une conséquence légale, lorsqu'elle conduit à une erreur de droit, participe-t-elle encore de l'irrefragabilité qui protège les appréciations des cours? N'est-ce qu'un mal jugé? ou faut-il y voir une contravention expresse à la loi? Ce n'est point le lieu de traiter cette question, que nous avons dû seulement indiquer ici; car, a côté du droit de la chambre d'accusation, elle place un autre droit, celui de la Cour de cassation elle-même, qui, si elle ne doit pas entrer dans l'examen des faits, doit néanmoins, chargée qu'elle est de maintenir les règles légales, rechercher si les déclarations des cours ne recèlent pas quelques interprétations erronées de la loi. C'est donc lorsque nous traiterons du pourvoi contre les arrêts des chambres d'accusation que nous essayerons de poser une limite entre ces deux attributions *.

2158. Le droit de modifier et de réformer les qualifications données aux faits par le juge d'instruction n'est pas moins certain que le droit de reviser les déclarations mêmes de ces faits : il est formellement écrit dans les articles 229, 230 et 231. Ce droit a été consacré dans les termes les plus formels par la jurispru1 Cass. 23 nov. 1837 (Bull., no 409).

2 Voy. infrà, chap. X.

« PreviousContinue »