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Ces deux points établis, les attributions définies par les articles 228, 235 et 250, peuvent se résumer en ces termes : la chambre d'accusation peut 1° compléter les poursuites dont elle est saisie et les étendre à tous les faits qui peuvent s'y rattacher, à toutes les personnes qui peuvent y être impliquées; 2° ordonner une information lorsque, dans l'exercice de ses fonctions, c'est-à-dire en examinant quelque procédure dont elle est saisie, elle découvre les traces d'un crime ou d'un délit ; 3° enfin, évoquer, soit d'office lorsqu'elle se trouve déjà saisie, soit sur les réquisitions du ministère public, l'instruction des affaires qui sont poursuivies devant les juges inférieurs. (Voy. no 538.)

2166. L'exercice de ces importantes attributions, que la loi n'a conféré à la chambre d'accusation que, suivant l'expression de l'exposé des motifs, pour empêcher qu'aucun crime ne reste impuni, est soumis à plusieurs conditions générales.

Une première condition est que les faits qui donnent lieu à ces mesures d'instruction soient déclarés punissables par la loi. Nous avons déjà indiqué cette règle, qui domine toute la compétence de la chambre d'accusation. (Voy. n° 531 et 2138.)

Une deuxième condition est que cette chambre soit déjà saisie de l'affaire dans laquelle ces faits se révèlent, ou en acquière la connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Les articles 228, 235 et 250 supposent, en effet, une première procédure, à laquelle les actes ordonnés viennent se rattacher ou dans laquelle du moins ils ont pris leur source, une première poursuite qui sert de base ou de point de départ à la poursuite nouvelle. (Voy. no 528 et suiv.)

Une troisième condition est que la chambre d'accusation nonseulement soit saisie, mais le soit valablement. Elle ne serait pas valablement saisie, suivant les termes de l'article 235, si elle avait épuisé sa juridiction en statuant sur la mise en accusation '; elle n'a le droit de diriger ses investigations sur les faits qui dépendent de l'accusation que parce qu'elle est saisie de l'accusation elle-même. Ses attributions extraordinaires ne sont que la conséquence de ses attributions ordinaires.

Elle ne serait pas également saisie valablement si les faits dont elle évoque la poursuite étaient couverts par une ordonnance de 1 Cass. 8 oct. 1829 (J. P., tom. XXII, p. 1467).

non-lieu ayant acquis force de chose jugée. Cette seconde limite est indiquée assez vaguement dans l'article 235, qui porte: Dans toutes les affaires, les cours, tant qu'elles n'auront pas décidé s'il y a lieu de prononcer la mise en accusation, pourront.... De ces termes, on pourrait induire que les chambres d'accusation ont le droit de statuer sur toutes les affaires, tant que ces affaires n'ont été l'objet d'aucune décision de leur part. Mais cet article n'a nullement dérogé à l'article 135, qui fixe le délai dans lequel le ministère public et la partie civile ont la faculté de former opposition aux ordonnances de la chambre du conseil. Lorsqu'aucune opposition n'a été formée dans ce délai, les ordonnances portant qu'il n'y a lieu à suivre ont l'autorité de la chose jugée', et dès lors la chambre d'accusation doit s'arrêter devant leur décision. La Cour de cassation a reconnu ce point par deux arrêts le premier porte « que l'article 235 ne peut être étendu qu'au cas où, devant le tribunal de première instance, l'instruction commencée n'a pas reçu son complément par une ordonnance définitive de la chambre du conseil; que si, d'après cet article et les articles 246 et 248, la cour impériale peut faire directement une instruction, lorsqu'il y a de nouvelles charges, c'est que les nouvelles charges constituent une affaire nouvelle et que l'instruction, faite dans cette circonstance, n'est point une atteinte à l'autorité passée en force de chose jugée par le défaut d'opposition de l'ordonnance de la chambre du conseil, qui ne peut être considérée et n'avoir jamais d'effet que relativement aux résultats de l'instruction sur laquelle elle a été rendue 2 » .

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Le second arrêt à été rendu sur un réquisitoire présenté en vertu de l'article 441 et dans lequel on lit : « Lorsqu'une ordonnance de non-lieu à été rendue et n'a point été attaquée, lorsque les pièces sont envoyées à la chambre des mises en accusation, parce qu'il se trouve, à côté des chefs d'acquittement, des chefs de prévention, cette chambre, ainsi saisie, peut-elle, en évoquant, effacer, détruire le bénéfice acquis à l'ordonnance de non-lieu? Non assurément; car sur ce point, l'instruction n'est pas seulement commencée, elle est consommée. Il ne s'agit plus d'informer, de poursuivre; il y a une décision judiciaire, la chambre du conseil a statué. Or la loi à déterminé les effets de cette dé1 Voy. notre tome II, no 1049.

2 Cass. 19 mars 1813 (J. P., tom. II, P.

222).

cision portant qu'il n'y a lieu à suivre. Si elle n'est point frappée d'opposition, elle doit être respectée par la chambre des mises en accusation, qui n'est légalement saisie que de la connaissance des chefs de prévention motivant l'ordonnance de prise de corps; elle couvre donc provisoirement l'acquitté, qui ne saurait être poursuivi de nouveau que dans le cas de survenance de nouvelles charges; mais, en thèse et abstraction faite de ce cas de charges nouvelles, il est impossible de concevoir que l'évocation équivaille à l'opposition du ministère public, et qu'elle arrive à cet étrange résultat de soumettre ipso facto à la révision de la cour une ordonnance de non-lieu devenue définitive. Il est impossible de concevoir que cette ordonnance, qui, désormais, reste en dehors de la procédure, parce qu'elle l'arrête et la termine sur les chefs qu'elle juge, soit pourtant ramenée dans cette procédure à titre de décision sujette à révision. Il est impossible de concevoir que, devenue inattaquable, elle soit, comme si elle était légalement attaquée, déférée à la juridiction supérieure : l'article 235 ne consacre point de pareilles anomalies : il délégue aux juges d'appel le droit souverain d'enlever au juge de première instance les informations à faire ou commencées; mais il ne leur donne pas, il ne peut pas leur donner le privilége exorbitant de se saisir, sous le prétexte d'une procédure à suivre (car l'évocation n'a pas d'autre but), de l'examen d'une décision judiciaire contre laquelle le recours n'existe plus. » Celte doctrine a été consacrée par la cour'.

2167. Après avoir rappelé ces conditions générales qui dominent l'application des articles 228, 235 et 250, il y a lieu d'examiner dans quels cas ces articles peuvent être appliqués.

La chambre d'accusation peut être saisie: 1° par le renvoi qui lui est fait des procédures, soit de plein droit, soit par suite d'une opposition, dans les cas prévus par les articles 133 et 135;

par un réquisitoire du procureur général tendant à ce qu'elle évoque des poursuites commencées devant un tribunal de première instance, ou à ce qu'elle procède directement à des poursuites qui ne sont pas encore formées; 3° par un arrêt des cham-' bres assemblées dans le cas prévu par l'article 11 de la loi du 20 avril 1810.

1 Cass. 22 mai 1852 (Bull., no 166).

Nous allons rechercher ce que peut faire la chambre d'accusation dans chacune de ces trois hypothèses.

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Lorsqu'elle est saisie, par le renvoi de la procédure ou par une opposition régulière, elle peut, aussitôt qu'elle le juge utile, faire l'application de tous les pouvoirs qu'elle tient des articles 228 et 235. Elle peut les exercer, en effet, dans toutes les affaires dont elle est saisie; elle est investie, dans toutes ces affaires, du droit d'ordonner tous les actes d'instruction qu'elle croit nécessaires, et ce droit, loin d'être limité par la loi, est pleinement. abandonné à sa conscience'. Ainsi, il importe peu que l'opposition ait été formée par le ministère public, le prévenu ou la partie civile; il importe peu que cette opposition ait été restreinte à un acte de l'instruction ou à une exception présentée devant les premiers juges la chambre d'accusation, dont les attributions ne dépendent ni de la qualité de la personne qui la saisit, ni des réquisitions du ministère public, embrasse la procédure tout entière, sauf les faits qui seraient couverts par l'autorité de la chose jugée; elle peut donc, en vertu de la haute surveillance qu'elle exerce sur l'instruction des procédures et du droit d'évocation qu'elle peut appliquer, même d'office, dans les affaires qui sont portées devant elle, ordonner des informations nouvelles, étendre les poursuites à des faits nouveaux ou à des individus non compris dans la première instruction et prescrire toutes les mesures qui rentrent dans le cercle d'une instruction criminelle. Ainsi, elle peut, lors même qu'elle n'a été saisie que par l'opposition d'une partie civile, ordonner la mise en accusation d'un individu non compris dans les premières poursuites et contre lequel une information nouvelle par elle ordonnée a produit des charges. Ainsi, elle peut, lors même qu'elle n'est saisie que d'une prévention pour crime de soustraction de titres dans une étude, renvoyer en police correctionnelle le notaire dont la négligence lui paraît avoir donné lieu à cette soustraction . « La chambre d'accusation ne fait en cela, dit M. le président Barris, que prononcer sur un accessoire à des poursuites dont elle est légalement saisie, et sur une instruction qui, lui paraissant suffisante, doit dispenser de toute autre instruction particulière et

1 Cass. 13 févr. 1818 (J. P., tom. XIV, p. 647).
2 Cass. 10 mars 1827 (J. P., tom. XXI, p. 238).
3 Cass. 5 déc. 1823 (affaire Marquet), non imprimé.

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spéciale. Les chambres d'accusation sont chargées de régler les poursuites et de déterminer la compétence; elles ont la plénitude de la juridiction dont le premier exercice appartient aux chambres du conseil, et lorsqu'elles sont légalement saisies d'une affaire, elles ont le droit d'ordonner, sur tout ce qui peut s'y rattacher, tout ce qu'il aurait appartenu aux chambres du conseil d'y statuer. Nous avons précédemment constaté que tel était le véritable esprit de la loi. (Voy. no 529 et 531.)

2168. Lorsque, dans la deuxième hypothèse, la chambre d'accusation est saisie par les réquisitions du procureur général, ses pouvoirs s'accroissent encore: non-seulement elle peut ordonner de nouvelles informations sur les faits dont elle est saisie et sur ceux qui s'y rattachent, mais elle peut encore évoquer les procédures commencées par les premiers juges et procéder même à des poursuites qui ne sont pas encore commencées.

Il y a lieu de rappeler ici une limite que nous avons déjà marquée (no 529): la chambre d'accusation peut, dans les affaires dont elle est régulièrement saisie, évoquer les procédures, et ordonner tous les actes d'instruction qu'elle juge utiles; mais lorsqu'elle n'est pas saisie, lorsque ce n'est pas dans ses fonctions qu'elle acquiert la connaissance des faits qu'elle veut incriminer, elle ne peut ordonner d'office des poursuites, car ce droit n'appartient qu'aux chambres assemblées en vertu de l'article 11 de la loi du 20 avril 1810; ce n'est que sur les réquisitions du ministère public qu'elle peut les prescrire.

Peut-elle, même sur ces réquisitions, procéder à des poursuites qui n'ont point encore été entamées? Le doute vient de l'article 11 de la loi du 20 avril 1810, qui semble réserver aux chambres assemblées de la cour impériale le droit d'ordonner des poursuites à raison de faits qui n'ont été l'objet d'aucune information et qui ne se rattachent à aucune procédure commencée. La Cour de cassation n'a pas admis cette interprétation; elle a décidé qu'un procureur général qui, à l'occasion d'un procès civil, avait acquis la connaissance d'un crime de faux, avait pu le dénoncer directement à la chambre d'accusation, et que cette chambre avait pu également ordonner qu'il serait pour

1 Notes manuscrites de M. le président Barris, n. 302.

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