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suivi devant elle. La seule limite qui sépare le droit des chambres assemblées et le droit de la chambre d'accusation est que les premières peuvent enjoindre au ministère public de poursuivre, tandis que celle-ci ne peut ordonner la poursuite que lorsqu'elle est requise. Mais, aussitôt qu'elle est provoquée par les réquisitions du ministère public, elle peut informer ou faire informer sur tous les faits qui lui sont dénoncés, lors même que ces faits ne se rattachent par aucun lien à des procédures commencées et n'ont été l'objet d'aucune poursuite.

2169. Dans la troisième hypothèse, c'est-à-dire lorsque la cour impériale, toutes les chambres assemblées, enjoint au procureur général, en vertu de l'article 11 de la loi du 20 avril 1810, de poursuivre les crimes ou délits qui lui sont dénoncés, elle peut ordonner que l'instruction sera faite devant la chambre d'accusation. Cette injonction suffit pour mettre l'action publique en mouvement, et pour saisir cette chambre de l'instruction à laquelle la poursuite va donner lieu. Cette marche est celle que suivent habituellement les cours, lorsqu'elles usent de cette attribution extraordinaire. La chambre d'accusation, provoquée par ce renvoi, entre aussitôt dans l'exercice de la plénitude de ses pouvoirs.

§ VII. Attributions de la chambre d'accusation pour le
règlement de la compétence.

2170. La chambre d'accusation a deux fonctions: le règlement de l'instruction et le règlement de la compétence. Elle procède, en premier lieu, au règlement de l'instruction, c'est-à-dire à l'appréciation et à la qualification des faits, et c'est pour arriver à cette double décision qu'elle est armée de tous les pouvoirs qui viennent d'être exposés. Le règlement de la compétence n'est que la conséquence de cette première opération.

Il consiste, en effet, uniquement à déduire de la qualification donnée au fait son corollaire légal. C'est la qualification qui est la base de la compétence; c'est parce que le fait constitue une convention, un délit ou un crime, que le tribunal de police, le

1 Cass. 9 janv. 1812 (S. V. 17, 1, 327; D. A. 1, 86).

2 Legraverend, tom. I, p. 467; Carnot, tom. II, p. 256; Bourguignon, tom. I,

P. 509.

tribunal correctionnel ou la cour d'assises a juridiction pour le juger; le règlement de la compétence, c'est-à-dire l'indication. du tribunal compétent, n'est donc, en thèse générale, que la stricte application de la déclaration qui détermine le caractère du fait.

Ainsi, lorsque la chambre d'accusation, soit qu'elle ait statué sur l'instruction qui lui a été transmise, ou sur une instruction nouvelle par elle ordonnée, a déclaré qu'il existe contre le prévenu des indices suffisants d'un fait qualifié crime ou délit par la loi, sa tâche n'est pas terminée : il faut encore qu'elle désigne le juge compétent pour procéder au jugement et qu'elle renvoie la procédure devant ce juge. Telle est la disposition formelle des articles 230 et 231. C'est ce renvoi, d'ailleurs, qui assure l'exécution de la déclaration rendue sur le fait; s'il n'était pas prononcé, la marche de la procédure serait suspendue, puisque aucune juridiction n'en serait saisie: dès que la procédure n'est pas fermée par un arrêt de non-lieu, il est nécessaire d'en régler le cours. La Cour de cassation a donc dù juger : « Que la chambre d'accusation qui, après avoir procédé à l'examen d'une procédure, a trouvé dans le fait le caractère de délit et les indices de culpabilité, devait, aux termes des articles 130 et 230, prononcer le renvoi du prévenu en police correctionnelle et indiquer le tribunal qui devait en connaître; d'où il suit que, en ne prononçant aucun renvoi, et en n'indiquant aucun tribunal devant lequel le prévenu serait traduit, la chambre d'accusation a suspendu la marche de la justice et violé les articles 130 et 230 1. »

Telle est la règle générale que la chambre d'accusation est tenue de suivre toutes les fois qu'elle laisse subsister une prévention susceptible d'être vidée par une décision au fond. Il faut en faire l'application, qui n'est pas toujours exempte de difficultés, aux différents renvois qu'elle est appelée à prononcer.

Ces renvois ont lieu soit lorsqu'elle n'a statué, sans évoquer le fond, que sur un acte d'instruction ou sur une exception et qu'elle rend à la procédure son cours naturel, soit lorsqu'elle a admis que le fait incriminé avait les caractères d'une contravention, d'un délit ou d'un crime, et qu'elle en saisit la juridiction de police, la juridiction correctionnelle ou la cour d'assises.

1 Cass. 10 avril 1823 (J. P., tom. XVII, p. 1027).

2171. Lorsqu'elle a été saisie par une opposition à une ordonnance du juge d'instruction dans le cours de l'instruction, à quel juge la chambre d'accusation doit-elle, après avoir annulé ou confirmé l'ordonnance, faire le renvoi de la procédure? Nous pensons que ce renvoi doit être fait au même juge. Ce juge, en effet, n'a point été dessaisi du fond de l'affaire; l'opposition n'a frappé qu'un seul de ses actes, c'est cet acte seul qui a été déféré à la chambre d'accusation, et si cette chambre n'évoque point l'instruction entière, comme l'article 235 lui en donne le droit, elle doit, après avoir statué sur l'incident, renvoyer la procédure à la juridiction qui s'en trouve régulièrement saisie; car les juridictions ne peuvent être saisies ou dépouillées qu'en vertu d'une disposition de la loi, et nulle disposition n'autorise, dans le cas spécial dont il s'agit, le renvoi devant un autre juge. A la vérité, l'article 214 porte que le tribunal d'appel, « si le jugement est annulé parce que le délit est de nature à mériter une peine afflictive ou infamante, décernera, s'il y a lieu, le mandat de dépôt et renverra le prévenu devant le fonctionnaire public compétent, autre toutefois que celui qui aura rendu le jugement ou fait l'instruction ». Et l'article 431 ne veut pas qu'après l'annulation d'un arrêt par la Cour de cassation, les juges d'instruction, s'il est nécessaire de procéder à quelques actes complémentaires de l'information, soient pris dans le ressort de la cour dont l'arrêt est annulé. Or, si la loi ne veut pas, au cas où le tribunal d'appel reconnait le caractère d'un crime au fait incriminé comme délit, ressaisir le juge qui a procédé à l'instruction, ne doit-on pas penser qu'il en doit être ainsi dans le cas où la chambre d'accusation est appelée à réformer une ordonnance qui avait prescrit ou refusé une mesure quelconque de l'instruction? Ne peut-on pas inférer également de l'article 431 une sorte de suspicion jetée par la loi sur les juges d'instruction qui ont procédé à des actes d'information dans une affaire? La réponse est d'abord, en ce qui concerne l'article 214, que, dans l'hypothèse même qu'il a prévue, cet article veut que le prévenu soit renvoyé devant le fonctionnaire public compétent, d'où la jurisprudence a conclu, par une induction qui sera examinée dans la suite de ce livre, que la déclaration d'incompétence du tribunal d'appel, lorsque la juridiction correctionnelle a été saisie par une ordonnance du juge d'instruction, conduit nécessairement à un règle

ment de juges par la Cour de cassation. Et, en effet, il n'appartient point à la chambre d'accusation de briser les règles de la compétence et de distraire un prévenu de ses juges naturels, qui ne sont autres que ceux désignés par l'article 23, c'est-à-dire ceux du lieu du délit, du lieu du domicile du prévenu, du lieu où il a été trouvé. Saisir un juge d'instruction qui ne serait pas compétent aux termes de la loi, ce serait statuer par forme de renvoi d'un tribunal à un autre, et la Cour de cassation seule a ce pouvoir. Or, quel est le juge compétent, si ce n'est celui qui a commencé l'instruction et que l'opposition n'a point entièrement dessaisi? Il suffit, d'ailleurs, que l'article 214 ait restreint ses termes au cas où le tribunal d'appel se déclare incompétent, à raison de la nouvelle qualification qu'il donne au fait, pour qu'on ne doive pas les étendre à un cas tout à fait différent. On a pu craindre dans la première hypothèse l'influence d'une première décision que le tribunal d'appel vient contredire; le dissentiment ne portant dans la seconde que sur un incident de la procédure, la même défiance n'existe pas. Quant à l'article 431, il est évident qu'il est entièrement étranger à notre espèce : ce n'est pas le préjugé formé dans l'esprit du juge qu'il repousse, c'est l'influence d'une compagnie qui peut faire dévier la direction de l'instruction. C'est dans ce sens que la question a été résolue par la Cour de cassation dans un arrêt qui sera rapporté plus loin '.

2172. La question devient plus délicate lorsque c'est contre une ordonnance statuant sur la mise en prévention que l'opposition a été formée : nous supposons que cette ordonnance se soit arrêtée à une question préjudicielle, à une fin de non-recevoir, à une exception quelconque : devant quel juge la chambre d'accusation, après avoir annulé l'ordonnance, si elle n'évoque pas la procédure, doit-elle en ordonner le renvoi?

Ce renvoi ne peut être fait qu'au même juge d'instruction. Quelle est, en effet, la disposition de la loi qui permet à la chambre d'accusation de saisir un autre juge d'instruction? N'estelle pas enchaînée par la règle générale de compétence, qui n'admet comme juges naturels du délit que les juges du lieu de la perpétration ou de la résidence du prévenu? Si les articles 427 et 429 veulent qu'après cassation d'un jugement ou d'un arrêt, 1 Cass. 12 avril 1829, cité infrà, p. 243.

le procès soit renvoyé à une juridiction autre que celle qui a rendu la décision annulée, il y a lieu de remarquer que ces articles ne s'appliquent qu'aux renvois prononcés par la Cour de cassation; que la chambre d'accusation n'a point d'ailleurs le pouvoir, que cette cour puise dans les articles 526 et 542, de dessaisir les tribunaux régulièrement saisis; qu'elle ne peut que régler la marche de la procédure en déclarant le juge légalement compétent. Ensuite, la raison qui, dans le cas d'un jugement annulé, dépouille le juge qui l'a rendu ne se présente même pas dans notre hypothèse, car la procédure ne peut revenir devant la même chambre du conseil que dans le seul cas où cette chambre, avant de prononcer au fond, s'est arrêtée à une exception; or, si cette exception est rejetée par la chambre d'accusation, c'est un autre procès, le procès du fond, qui est renvoyé devant la même chambre. Elle n'est donc pas appelée par ce renvoi à connaître deux fois de la même, affaire, mais bien à rendre deux ordonnances successives sur deux parties distinctes du même procès.

La Cour de cassation a jugé, conformément à cette doctrine, « que, si les chambres d'accusation sont chargées de prononcer sur les dissentiments qui peuvent s'élever entre le ministère public et les juges d'instruction ou les chambres du conseil, elles ne peuvent, en faisant cesser les obstacles qu'ils auraient mal à propos apportés à l'exercice de l'action publique, décider que ces juges d'instruction ou ces chambres du conseil ont épuisé leurs pouvoirs et conséquemment les dessaisir; que non-seulement la loi ne l'a point ainsi ordonné, mais qu'il résulterait de ce mode de procéder l'inconvénient grave de transporter l'instruction d'une affaire hors des lieux où la loi a présumé qu'elle se ferait le plus facilement, d'exposer même l'instruction à parcourir plusieurs tribunaux : ce qui arriverait toutes les fois que les ordonnances annulées par les cours auraient été rendues par des tribunaux qui ne sont pas divisés en plusieurs chambres, et lorsque ces dissentiments entre eux et le ministère public se multiplieraient dans une même affaire; que les pouvoirs des chambres du conseil reposant essentiellement dans les chambres d'accusation, il est sans inconvénient, tant que celles-ci ne sont pas dessaisies par suite de la cassation de leurs arrêts, de conserver aux juges dont elles ont annulé les ordonnances l'instruction de l'affaire, instruction dont les chambres d'accusation conservent la suprême

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