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public une précipitation nuisible à l'intérêt public ou aux droits de la défense, l'article 219, qui l'autorise à ne prononcer que dans les trois jours du rapport, et l'article 228, qui lui permet d'interloquer, lui fournissent les moyens de concilier ce qu'elle doit aux attributions du procureur général et ce qu'elle croirait devoir à des intérêts non moins respectables; qu'au surplus, dans l'espèce, il y avait d'autant moins lieu à de telles appréhensions, à de telles mesures, qui, en tous cas, ne pouvaient être consacrées par l'arrêt dénoncé, que rien n'indiquait l'intervention d'une partie civile; que le prévenu avait renoncé à la faculté de présenter un mémoire; que cette renonciation était régulière et valable; qu'on ne voit pas pourquoi, à une phase de la procédure où le droit de défense est à peine et si incomplétement ouvert, celui qui pourra plus tard renoncer à la faculté de se pourvoir contre l'arrêt de renvoi ne pourrait pas renoncer à produire un mémoire; qu'enfin le procureur général avait, dans l'intérêt même du prévenu, de justes motifs de hâter sa mise en accusation, afin que cette affaire pût être soumise au jury conjointement avec une autre de même nature, dans laquelle était déjà intervenu un arrêt de contumace contre le même prévenu'. »

2184. Si le prévenu demande un délai pour produire un mémoire, la cour peut-elle le lui accorder? Nous ne faisons aucun doute à cet égard. L'arrêt qu'on vient de lire décide que le rapport ne peut être retardé; mais il n'impose à la cour d'autre obligation que de l'entendre; il a même soin de déclarer qu'elle doit prendre les moyens de concilier les droits du ministère public et les droits de la défense. (Voy. infrà, no 2193.) Ces moyens, quels sont-ils? c'est dans l'article 228 qu'il faut les chercher. L'article 219 donne, à la vérité, à la chambre la faculté de suspendre son arrêt pendant trois jours, et elle peut fixer ce délai au prévenu pour fournir un mémoire. Mais, s'il ne suffit pas, elle peut trouver dans l'article 228 le droit de le prolonger; car le droit d'ordonner un supplément d'information emporte nécessairement celui d'ordonner tous les actes qui peuvent éclairer les charges que la procédure a réunies; or la défense du prévenu, les explications qu'il peut opposer aux 1 Cass. 13 mars 1841 (Bull., no 64).

témoignages et aux indices, l'exposé qu'il fait des actes incriminés à un autre point de vue que l'accusation, n'est-ce pas là quelquefois l'un des éléments les plus essentiels de l'instruction?

Toutefois ce ne serait là qu'une faculté, et l'arrêt qui aurait rejeté la demande d'un délai, surtout s'il excédait les trois jours, ne violerait évidemment aucune disposition de la loi. C'est ce qui a été jugé très-explicitement par un arrêt portant : « Que la faculté accordée par l'article 217 aux parties de fournir un mémoire devant la chambre des mises en accusation est soumise à cette condition que le rapport que doit faire le procureur général ne sera pas retardé; que cette condition repose sur une raison d'ordre public, puisqu'elle tend, aussi bien dans l'intérêt des accusés que dans l'intérêt de la vindicte publique, à l'accélération des procédures et à la prompte distribution de la justice; que c'est dans cette vue que les articles 133, 135, 217, 219, 291, 292, 293, se préoccupant de toutes les mesures d'ordre pouvant conduire à la prompte expédition des affaires criminelles, ont déterminé de brefs délais applicables aux diverses phases de la poursuite; qu'il est de règle que ces délais, et spécialement le délai indiqué par l'article 217, peuvent être abrégés toutes les fois qu'il est possible de procéder plus promptement à l'expédition de l'affaire; que les mots de cet article « dans les cinq jours au plus « tard le démontrent suffisamment; qu'autrement il faudrait dire que, sous prétexte de la faculté accordée aux prévenus et aux parties civiles, tous les rapports à faire par le procureur général à la chambre d'accusation ne pourraient l'être qu'après l'expiration du délai de dix jours, ce qui serait diametralement opposé au texte et à l'esprit de l'article 217; qu'il suit de là, d'une part, qu'en saisissant la chambre des mises en accusation par son rapport oral et sa réquisition écrite, dans les quatre jours qui ont suivi la transmission des pièces, le procureur général a usé suivant sa conscience d'une faculté qui lui est attribuée par la loi, et, d'une autre part, qu'en refusant le délai qui lui était demandé, la chambre des mises en accusation s'est exactement conformée à la disposition sainement entendue dudit article 217'. »

2185. Le procureur général peut-il, d'un autre côté, retarder son rapport jusqu'après l'expiration du délai? Cette question a 1 Cass. 13 août 1863 (Bull., no 218).

été soulevée dans les délibérations du conseil d'État. Le projet de l'article 217 portait : « Le procureur général sera tenu, sous sa responsabilité, de mettre l'affaire en état dans les cinq jours... M. Cambacérès demanda « si la section avait entendu rendre le délai de cinq jours comminatoire ». M. Faure répondit «< qu'il avait paru trop difficile de le rendre absolu; qu'une foule de circonstances pouvaient obliger le procureur général de l'outrepasser sans mériter le reproche de négligence ». M. Boulay conclut de là qu'il fallait rayer les mots sous sa responsabilité'. Ces mots out, en effet, été rayés. L'intention de la loi a donc été que le procureur général mit toute la diligence possible à présenter son rapport; mais il est évident qu'elle n'a voulu attacher aucune déchéance à ses retards.

2186. Il peut être utile de reproduire ici l'observation d'un magistrat expérimenté relativement à l'envoi des procédures : Les procureurs généraux ont pu remarquer que, tant que l'époque des assises est éloignée, les juges d'instruction mettent de la lenteur à faire régler par les chambres du conseil les procédures qui sont susceptibles d'être transmises à la chambre d'accusation; mais que, quand le moment de cette ouverture approche, ils se hâtent de faire procéder à ce règlement, de telle manière que les procédures formalisées dans les départements où les assises vont s'ouvrir arrivent toutes à la fois; le parquet est surchargé, les affaires ne peuvent pas y être examinées avec l'attention et la maturité convenables, les actes d'accusation sont rédigés avec précipitation, et les présidents des cours d'assises n'ont pas le temps nécessaire pour compléter les instructions, lors même qu'ils s'aperçoivent qu'elles présentent des points qu'il serait utile d'éclaircir avant l'ouverture des débats. Ce sont là de graves inconvénients. Mais le zèle du procureur général peut y pourvoir. Les notices qui lui sont transmises l'avertissent des affaires qui sont susceptibles d'être réglées par la chambre d'accusation; il lui est facile d'en presser l'instruction, de demander compte des retards qu'elles éprouvent, de faire cesser ceux qui ne tiennent qu'à la négligence'.

1 Locré, tom. XXV, p. 430.
2 M. Mangin, tom. II, p. 138.

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témoignages et aux indices, l'exposé qu'il fait des actes incriminés à un autre point de vue que l'accusation, n'est-ce pas là quelquefois l'un des éléments les plus essentiels de l'instruction? Toutefois ce ne serait là qu'une faculté, et l'arrêt qui aurait rejeté la demande d'un délai, surtout s'il excédait les trois jours, dure, la base nécemment aucune disposition de la loi. C'est ce cette pièce doit prendre place au un arrêt portant: « Que la par elle-même de sa régularité.

par

furnir un mé

Ces réquisitions doivent être motivées; elles doivent caractériser les faits, citer les lois pénales qui leur sont applicables, et porter sur tous les points sur lesquels la chambre d'accusation doit statuer. Cette chambre doit y trouver les éléments de son arrêt.

L'article 234 ajoute que l'arrêt doit, à peine de nullité, faire mention des réquisitions du ministère public. Cette mention ne dispense pas de la production des réquisitions; mais elle pourrait cependant y suppléer.

Les réquisitions doivent, pour que la chambre d'accusation puisse statuer, porter sur le fond de la prévention; il ne suffirait pas qu'elles eussent été prises sur un incident de la procédure. La Cour de cassation a jugé dans ce sens : « Qu'en droit, tout arrêt d'une chambre des mises en accusation, rendu sans que le ministère public ait été entendu, doit être annulé; que l'arrêt de la chambre d'accusation de Poitiers a statué tout à la fois sur l'incident relatif à la mise en liberté provisoire réclamée par le défendeur à la cassation, et sur le fond de la prévention évoquée par la chambre; que le ministère public, qui avait fait son réquisitoire et donné ses conclusions sur l'incident seulement, n'a pas été entendu sur le fond; que dès lors l'arrêt en cette partie a été rendu en violation de l'article 2341. » Cet arrêt vient implicitement confirmer l'opinion que nous avons émise sur la même question, lorsqu'elle est soulevée devant le juge d'instruction. (Voy. no 2049.)

Le ministère public doit se retirer après avoir déposé ses réquisitions écrites. Il a été jugé toutefois « qu'en admettant que le ministère public ne se soit pas retiré lors de la délibération de la cour, les dispositions de l'article 224 ne sont pas prescrites à peine de nullité ».

2

1 Cass. 31 août 1837 (Bull., no 255); 16 juin 1864 (no 156).

2 Cass. 16 juin 1864 (Bull., no 156).

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§ II. Droit du prévenu et de la partie civile de fournir

un mémoire.

2188. L'article 217 porte que « la partie civile et le prévenu pourront fournir tels mémoires qu'ils estimeront convenables ». Quelle est la portée, quelles sont les limites de cette faculté?

Il faut d'abord reconnaître avec M. Mangin' que la loi n'a point voulu, en l'établissant, élever entre le prévenu, la partie civile et le procureur général, un débat contradictoire et nécessaire. On en trouve la preuve dans ces mots qui terminent l'article 217: « sans que le rapport puisse être retardé. » Donc, le procureur général n'est pas tenu d'attendre les mémoires; donc ils ne sont pas un élément indispensable de l'instruction.

La loi, en instituant une procédure préalable, écrite et secrète, n'a pas voulu cependant, pendant cette première, phase de l'instruction, supprimer entièrement les droits de la défense: elle a autorisé les parties à fournir des mémoires, elle a prescrit que ces mémoires fussent déposés sur le bureau de la chambre d'accusation; mais là s'est arrêtée sa pensée il est évident qu'elle n'a pas voulu faire d'une faculté qu'elle ouvre au prévenu et à la partie civile une forme essentielle de l'instruction. Elle a permis la défense, mais elle ne l'a point protégée, elle ne lui a donné aucune garantie, elle lui a même refusé les moyens de se produire utilement. Aucun délai n'est donné aux parties pour préparer leurs mémoires; elles n'ont que celui qui a été attribué au procureur général pour préparer son rapport; et comme ce délai peut être abrégé, il s'ensuit que, si ce magistrat termine son travail avant qu'elles aient terminé leur défense, elles sont frappées de déchéance. La loi s'est en même temps abstenue de prescrire formellement que les moyens de l'accusation leur fussent communiqués, de sorte que, si son texte est rigoureusement appliqué, leur rôle est de réfuter des charges qu'elles ignorent, de repousser des attaques qu'elles ne peuvent ni prévoir ni connaître, de se débattre dans le vide en face d'une accusation dont elles savent le but, mais dont elles ne savent pas les moyens. Ce n'est point là, nous le répétons, l'organisation d'un droit de défense; c'est simplement l'ouverture d'une faculté que les parties 1 Tom. II, p. 139,

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