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et enfin leur ordonner de poursuivre, à la diligence du procureur général. Autrefois, quoiqu'il y eût une partie publique, si elle demeurait dans l'inaction, les cours se constituaient ministère public 1. »

Ces vues nouvelles, encore un peu confuses, mais qui devaient plus tard revêtir une formule plus nette, furent en quelque sorte le signal d'attaques réitérées contre le jury d'accusation. A deux reprises, l'institution de ce jury fut représentée comme une des principales causes de l'impunité des crimes; mais, défendue par M. Treilhard et par M. Berlier, elle fut par deux votes successifs maintenue par le conseil. Le projet de Code, préparé à cette époque, continua donc de placer les deux jurys d'accusation et de jugement à côté des cours d'appel.

Mais ce travail, bientôt interrompu, ne fut repris que le 23 janvier 1808, et dans cet intervalle les idées des rédacteurs s'étaient modifiées. Lorsque la question « y aura-t-il un jury d'accusation?» fut de nouveau posée, aucune voix n'osa plus s'élever pour le défendre. L'Empereur l'avait condamné en ces termes : « S. M. dit que le jury d'accusation est composé d'hommes qui ne sont pas accoutumés au travail des juges; que cependant on ne fait que lire les pièces devant eux, et qu'à moins d'avoir l'habitude de juger, il est très-difficile de former son opinion d'après une pareille lecture. Peu de personnes peuvent même l'écouter avec une attention soutenue; il ne faut appliquer la masse des citoyens qu'à des fonctions qu'ils puissent remplir, et laisser aux gens de loi celles dont eux seuls sont capables. Qu'on ne parle pas du danger de laisser à des juges le droit de mettre en accusation; il disparaît si la loi est sagement conçue, si elle établit les précautions nécessaires. D'ailleurs, dans le système contraire, on manque le but, qui est de donner une grande force à la justice. Les inconvénients du jury d'accusation sont généralement sentis; ils sont avoués même par ceux qui réclament le jury de jugement. Chacun sait que ce jury absout trop facilement, ne fût-ce que par la crainte d'exposer à une longue détention un prévenu dont la culpabilité ne lui paraît pas certaine. D'un autre côté, il ne voit rien, il n'entend pas les témoins; il n'y a devant lui ni publicité ni débats; et, néanmoins, quand il met trop légè1 Locré, tóm. XXIV, p. 426.

2 Séances des 8 et 15 brumaire an XIII, Locré, t. XXIV, p. 443, 453 et 477.

rement en accusation, aucune autorité ne peut plus relâcher le prévenu, quelques preuves favorables qui surviennent. » Le conseil décida sans discussion que le jury d'accusation serait supprimé 1.

2019. La suppression de cette institution ainsi posée en principe, la question fut de savoir comment elle serait remplacée. La délibération qui s'éleva sur ce sujet témoigne de l'embarras du législateur et des difficultés dont la solution était environnée.

Une première pensée avait été d'ériger, suivant l'expression de l'Empereur, les tribunaux de première instance en jury d'accusation. La section de législation présenta, en conséquence, à la séance du 13 février 1808, un projet ainsi conçu : « Lorsque le magistrat instructeur et l'officier exerçant le ministère public seront d'accord sur le renvoi aux assises, le prévenu y sera traduit. En cas de dissentiment, le procureur impérial adressera sur-le-champ toutes les pièces au procureur général de la cour impériale, qui sera tenu dans les trois jours d'en faire son rapport à la chambre du conseil de la section présidée par le premier président. La section décidera s'il y a lieu à renvoi à la cour d'assises. Dans le cas où le magistrat instructeur et le ministère public déclareront qu'il n'y a lieu à accusation, le prévenu sera mis en liberté, sauf à recommencer les poursuites, s'il survient de nouvelles charges. »

Cette rédaction souleva diverses objections. Le ministre des cultes dit : « Il a été arrêté qu'il n'y aurait plus de jury d'accusation, et cependant la section le fait revivre dans le tribunal de première instance. De là naîtront les inconvénients qu'on a voulu éviter. Si le prévenu est mis en accusation, rien ne peut plus empêcher qu'il ne soit traduit devant la cour d'assises; s'il est renvoyé, il demeure irrévocablement absous. Le seul but qu'on ait prétendu atteindre, en faisant intervenir le tribunal de première instance, a été de se rapprocher de l'ancien ordre de choses, mais en pourvoyant à ce que l'instruction fût faite et le décret rendu avec plus de précaution qu'autrefois. » M. Treilhard répliqua « que la section avait compris que le jury d'accusation serait placé dans le tribunal de première instance. Cette théorie est conforme aux principes, car il ne peut y avoir deux instruc

1 Séance du 6 février 1808, Locré, tom. XXIV, p. 621 et 622, 2 Locré, tom. XXIII, p. 583,

tions faites dans les deux degrés de juridiction: il faut que l'un des deux tribunaux décrète et que l'autre juge.» M. Réal dit « que, sous l'ancienne législation, l'instruction était faite par le juge de premier degré, lequel rendait un jugement pour régler à l'extraordinaire ou pour renvoyer à fins civiles. Ce sera là ce que fera le tribunal de première instance; et s'il règle à l'extraordinaire, il renverra devant le juge criminel. » Le ministre de la justice fit observer « qu'autrefois le ministère public et la partie pouvaient interjeter appel du jugement d'accusation ». M. Berlier dit : « qu'il partage l'opinion du ministre sur le nouveau caractère que prendra l'accusation retirée aux jurés pour être confiée à des juges la déclaration du jury d'accusation n'était pas susceptible d'appel, parce que les juges du droit ne pouvaient jamais réformer les juges du fait; mais l'acte judiciaire qui va aujourd'hui remplacer cette déclaration pourra bien n'être considéré que comme un acte d'instruction, contre lequel restera la voie d'appel devant les juges supérieurs '.

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La discussion marchait ainsi, un peu incertaine et confuse, lorsque l'Empereur, qui la présidait, parut entrevoir une solution. « Le tribunal de première instance, dit-il, ferait l'information. S'il pensait qu'il y a lieu à poursuites, il enverrait la procédure à la cour d'appel, laquelle, quand elle le croirait convenable, décréterait le prévenu : elle ne le jugerait pas, car alors elle deviendrait trop puissante; mais elle le renverrait devant la cour d'assises. S. M. ne sait si ce système présente des inconvénients, mais elle y voit l'avantage de donner à un corps puissant le pouvoir de poursuivre tous les crimes. Elle ne pense pas que ce soit charger la cour d'appel de fonctions qu'il lui devienne difficile d'exercer, puisque le jury d'accusation ne prononce que sur des pièces et n'entend pas le prévenu3. » C'est là le point de départ de l'institution de la chambre d'accusation.

2020. M. Treilhard objecta : 1° que les lenteurs seraient inévitables s'il fallait porter les affaires au loin devant la cour d'appel et les faire passer par le procureur général; 2o qu'il serait à craindre que les juges, pour ne pas encourir les mêmes reproches que le jury d'accusation, ne missent en accusation sur les indices 1 Locré, tom. XXIV, p. 629.

2 Locré, tom. XXIV, p. 630.

les plus légers; 3° qu'il importe qu'un accusé ne vienne pas en jugement chargé de préventions trop fortes et que telle serait cependant la position de celui qui n'arriverait aux assises qu'après que l'affaire aurait déjà été examinée par une cour d'appel. M. Berlier ajouta à ces objections : « que cette attribution dont on veut investir la cour impériale tend à faire dégénérer l'accusation en une simple formalité, lorsqu'on n'entendra que la partie publique qui aura envoyé les pièces : il est assez évident que l'accusation sera toujours admise; et cependant, quand on a voté la suppression du jury d'accusation, il semblait généralement reconnu que cette garantie du premier degré devait être remplacée par une autre instruction qui la maintînt autant qu'il serait possible; or, des magistrats locaux qui connaissent les choses et les personnes, et pour qui le délit arrivé dans leur arrondissement est un événement grave, donneront toujours à la mise en accusation une attention qu'il ne faut point espérer d'une cour placée à de grandes distances. Les pièces qui lui seront transmises, ce corps inanimé et qui laissera les juges dépourvus de toutes notions propres à le modifier, la partie publique qui sera seule entendue: voilà quelle sera la position de la cour impériale, et le prévenu sera toujours accusé. » L'Empereur répondit : 1° que l'appel qu'accordait la section n'entraînerait pas moins de lenteurs; 2° que la prévention qu'on redoutait ne saurait exister: la cour d'appel n'a pas vu l'accusé; elle ne préjuge rien; elle sc borne à dire qu'il y a lieu de faire examiner par la cour d'assises; 3° que si l'on confie l'accusation aux tribunaux de première instance, il peut arriver qu'un tribunal peu nombreux, mal éclairé, facile à intimider, se trouve revêtu de ce pouvoir et qu'il relâche les prévenus avec trop de facilité; 4° que si l'on craint que la nécessité de faire décréter par la cour d'appel ne dégénère en simple formalité, on peut donner aux accusés des défenseurs.-M. Cambacérès ajouta : « qu'il n'est pas nécessaire de porter toutes les affaires devant la cour d'appel. Il faut d'abord qu'une autorité quelconque en fasse le départ entre la justice criminelle et les tribunaux correctionnels, en donnant néanmoins au procureur général le droit de revendiquer celles qu'il croirait avoir été mal à propos qualifiées de correctionnelles. Que reste-t-il donc à la cour impériale? Les délits qui emportent peine afflictive ou infamante et qui sont les moins nombreux. C'est ainsi que l'objection

se trouve écartée par une simple classification prise de la nature des choses. » M. Berlier dit que l'intention du projet est que les délits des hommes puissants ne demeurent pas impunis, et que l'on atteindrait plus infailliblement ce but si l'on investissait les cours impériales du droit d'instruire; qu'elles en useraient contre les coupables en crédit qui, à raison de la faiblesse des premiers juges, n'auraient pas été poursuivis. L'Empereur répondit : « que le droit de poursuivre ne suffit pas, puisque l'accusation pourrait être rejetée par un autre tribunal. Il faut que la cour impériale remplisse les fonctions de jury d'accusation, avec faculté de déléguer l'instruction à un juge pris sur les lieux pour les délits les moins importants. » Le conseil adopta en principe. « que le droit d'examiner şi un prévenu doit être mis en jugement et de le décréter serait placé exclusivement dans les cours impériales ».

2021. La section crut répondre à ce vœu en présentant à la séance suivante un projet qui attribuait à la cour impériale, en le circonscrivant dans d'étroites limites, et le droit de poursuite et le droit d'accusation. Le droit de poursuite était réglé par l'article suivant : « Les cours impériales, d'office et en tout état, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur le renvoi à la cour d'assises ou sur la liberté du prévenu, peuvent ordonner des poursuites, se faire apporter les informations, procès-verbaux et autres pièces, et envoyer le prévenu à la cour d'assises. » Telle fut la source de l'article 235 du Code d'instruction criminelle. Le droit d'accusation n'était attribué à la chambre du conseil de la première section de la cour d'appel que dans les cas où le juge instructeur et le ministère public se trouvaient soit en dissentiment pour le renvoi aux assises, soit d'accord pour la mise en liberté. Le ministre des cultes fit remarquer : « que le projet n'en disait pas assez en ce qu'il semblait n'attribuer à la cour impériale qu'une simple faculté. Pour entrer parfaitement dans l'esprit de ce qui a été arrêté, il faudrait avant tout décider d'une manière positive que le droit d'accuser n'appartient qu'à la cour impériale, si ce n'est à l'égard de certains délits, comme, par exemple, ceux que juge la police correctionnelle. L'Empereur persista à penser « que le droit d'accusation doit appartenir sans réserve à la cour 1 Locré, tom. XXIV, p. 636-640,

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