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impériale; que cependant, comme elle ne peut pas atteindre partout, il faut que les juges inférieurs exercent aussi des poursuites, mais seulement à sa décharge et sous son autorité. La première instruction influe beaucoup sur l'issue des affaires. Si donc elle était confiée en entier à des mains trop faibles, il serait possible qu'elle fût dirigée de manière à ménager ou à sauver des coupables trop puissants. C'est par cette raison que S. M. voudrait qu'un grand tribunal, également au-dessus des passions et des craintes, pût, dans tous les cas, appeler à lui les affaires, les soumettre à un nouvel examen, et statuer définitivement. » M. Treilhard répondit : « que les grands corps sont aussi accessibles aux passions; qu'en conséquence la section, afin de pourvoir à la sûreté des citoyens, avait été d'avis que, quand le procureur impérial et le juge instructeur seraient d'accord pour élargir le prévenu, leur décision ne pourrait être réformée. D'un autre côté, elle ne s'est pas dissimulé que quelquefois la faveur ou la crainte pourraient faire dévier des magistrats isolés; mais elle a cru remédier à cet inconvénient et pourvoir à la sûreté de la société, en autorisant la cour impériale à ordonner une nouvelle information, et à poursuivre s'il survient de nouvelles charges. »

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Le ministre de la justice dit : « qu'il est très-important de ne pas laisser au procureur impérial et au juge instructeur le pouvoir immense de rendre une décision arbitraire et cependant irrévocable mieux vaudrait conserver l'ancien jury d'accusation. C'est néanmoins ce qui arriverait dans le système de la section; car, lorsque, même contre l'évidence des preuves et des faits, ces deux magistrats auraient renvoyé le prévenu, la cour impériale se trouverait paralysée si l'information qu'elle aurait ordonnée n'amenait pas de charges nouvelles. » M. Treilhard reconnut: que la cour impériale doit avoir une surveillance. Il serait même possible de lui accorder le droit de procéder à un nouvel examen dans les cas graves; que l'une des sections, sur le rapport qui lui est fait, décide s'il y a lieu de continuer les poursuites; mais que l'homme prévenu d'un vol léger, qui a obtenu son renvoi du procureur impérial et du juge instructeur, soit. ensuite obligé d'attendre dans les prisons que la cour ait revisé son affaire, c'est ce que la loi ne peut décider sans compromettre la liberté civile. » L'Empereur dit : « qu'il n'est pas possible de conserver plus longtemps l'ordre de choses qui existe. Aujourd'hui la justice, au

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lieu de soutenir la police, est au contraire soutenue par elle. Les membres des tribunaux ne sont que des juges et non des magistrats. L'Assemblée constituante n'a établi ce système que parce qu'elle voulait anéantir l'autorité judiciaire pour élever l'autorité administrative. Qu'est-il arrivé? Ces corps administratifs si puissants n'ont pu se soutenir, et les corps judiciaires sont restés dans leur état de faiblesse. Il faut les en tirer, il faut leur rendre la puissance qui leur convient. » M. Boulay emit l'avis « qu'on pourrait organiser le système de la loi de la manière suivante : il faut que, dans les affaires graves, le procureur général puisse obliger le magistrat de sûreté qui veut relâcher le prévenu à soumettre au tribunal de première instance la question de savoir s'il y a lieu à accusation. Ce tribunal serait donc substitué au juge instructeur, quand le procureur général le jugerait convenable. Lorsque le tribunal met en accusation, la voie de l'appel doit être ouverte au prévenu. Lorsque l'accusation est refusée, ce même recours doit appartenir au procureur général. Ainsi, d'une manière ou de l'autre, la cour impériale devient le juge suprême de la mise en accusation. » — M. Treilhard dit : « que la section avait proposé de maintenir le jury d'accusation; que le conseil a rejeté ce jury et a placé d'abord l'accusation dans les tribunaux de première instance; qu'ensuite on l'a déléguée aux cours impériales, et que la section, pour écarter ce système, qu'elle croit dangereux, a imaginé de faire statuer par le procureur impérial et le juge instructeur... Elle ne voudrait pas qu'un prévenu pût être traîné successivement au tribunal de première instance, à la Cour de cassation, au conseil d'État. Ce serait là un grand malheur pour les citoyens, car il n'en est pas un seul qui soit sûr de n'être jamais accusé. »S. M. demanda si l'on convenait que la cour pourrait évoquer l'affaire. — M. Treilhard dit que la section était d'avis de lui accorder ce droit tant que l'instruction n'était pas terminée. M. Cambacérès dit : « que c'est précisément sur cette limitation qu'il ne pouvait partager l'avis de la section. Il faut que la cour puisse réformer une décision vicieuse et que l'action ne soit pas éteinte par l'élargissement du prévenu. » M. Treilhard proposa d'ordonner que le procureur général ferait son rapport à la cour. Cet amendement fut adopté. La section fut chargée de rédiger un nouveau projet.

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1 Séance du 16 février 1808, Locré, tom. XXIV, p. 641 et suiv.

2022. Ce projet, présenté à la séance suivante, n'est encore qu'une sorte de transaction entre la pensée de transporter aux cours impériales le droit d'instruction et le droit d'accusation, pensée qui avait pris une forte consistance dans le conseil, et le système de la section, qui consistait à retenir autant que possible l'instruction et l'accusation dans le tribunal de première instance. Ainsi, l'article 1" du projet déclare que « le droit d'ordonner des poursuites et de mettre en accusation appartient éminemment aux cours impériales », et l'article 3 ajoute que « pendant tout le cours de l'instruction la cour impériale, sur le réquisitoire du procureur général ou d'office, après l'avoir entendu, pourra évoquer l'affaire pour décider s'il y a lieu à accusation ». Mais, aux termes de l'article 5, lorsque cette évocation n'a pas lieu et que le procureur général et le magistrat de sûreté sont d'avis qu'il y a lieu à accusation, le prévenu est directement traduit aux assises; et s'ils sont d'avis qu'il n'y a pas lieu à accusation, le prévenu est mis en liberté. Ce n'est qu'au cas de dissentiment entre ces magistrats ou d'ordonnance de non-lieu que la cour impériale est appelée à statuer1.

Ce nouveau projet fut attaqué devant le conseil d'État sous plusieurs rapports. Il parut d'abord que l'opinion d'un seul membre du tribunal de première instance n'était pas suffisante. M. Regnaud dit : ແ qu'on est convenu que la décision ne serait pas remise à un seul, mais prononcée par un certain nombre de juges pris sur les lieux, sans néanmoins que l'influence de la cour impériale fût affaiblie... Autrefois, le décret qui constituait le prévenu en accusation était rendu par un seul juge criminel; or, c'est là ce qu'on ne doit pas souffrir. On peut se rappeler les applaudissements qu'excita le décret de l'Assemblée constituante qui donna des assesseurs à ce juge jusqu'alors isolé. C'est parce que le conseil a compté sur le maintien de cet ordre de choses qu'il a voté la suppression du jury d'accusation. » — M. Réal dit « qu'on ne comprend pas comment la précaution de faire concourir plusieurs juges à la décision entraînerait des inconvénients; il n'y a qu'une seule difficulté, celle de faire siéger aux assises des magistrats qui ont déjà pris une opinion sur l'affaire; mais on peut les en exclure. » M. Regnaud dit « qu'il n'est pas même besoin de les en exclure, puisqu'ils ne dirigent pas l'instruction, 1 Locré, tom. XXIV, p. 664.

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qu'ils ne prononcent pas sur la culpabilité, et que leurs fonctions se bornent à opiner sur l'application de la peine ». M. Treilhard « proposa de décider que l'instructeur ferait son rapport à deux autres juges qui prononceront avec lui1». Cette propo

sition fut l'origine de la chambre du conseil.

Les plus graves objections furent opposées au recours à la cour impériale organisé par la section. M. Jaubert proposa le premier d'étendre ce recours à tous les cas : « Autrefois, l'appel était ouvert aux prévenus; il faut qu'aujourd'hui ils puissent réclamer aussi l'appui de la cour impériale. Ce recours a été souvent très-efficace. On a vu beaucoup de décrets annulés et les parties renvoyées à procéder à fins civiles. Qu'on accorde donc l'appel, sauf à renfermer la faculté de l'interjeter dans un délai très-court.» M. Réal ajouta : « que la garantie qu'on propose est une idée très-libérale : dès que le prévenu ne peut être mis en liberté sans un jugement de la cour impériale, il est juste aussi qu'il ne puisse être mis en accusation que lorsque la même cour a examiné. » M. Treilhard et le ministre de la justice opposèrent que cette garantie entraverait les affaires; que les procès criminels ne sauraient être expédiés avec trop de célérité; qu'il n'y aurait pas de condamné qui n'interjetât appel. M. Muraire ajoutait « que l'intérêt même du prévenu pourrait être compromis par l'appel; car si la cour impériale examinait après les premiers juges, confirmait leur décision, l'accusé arriverait devant la cour d'assises avec un préjugé très-défavorable ». M. Réal insista: « Pourquoi la décision qui prononce la mise en liberté serait-elle soumise à l'examen de la cour impériale, et non pas celle qui met le prévenu en accusation?» Le ministre de la justice répondit « qu'il n'y a point parité entre les deux hypothèses. L'affaire est terminée quand il y a irrévocablement mise en liberté, et, dès lors, si les juges se trompent, l'impunité est assurée au coupable. Au contraire, rien n'est décidé contre le prévenu lorsqu'il est mis en accusation; il lui est permis de se défendre. » M. Jaubert dit « que dans tous les temps on a cherché à donner au prévenu une garantie contre l'erreur des premiers juges. Combien cette précaution est-elle nécessaire contre des juges qui siégent dans de petites localités où les opinions populaires ont tant d'empire et d'influence! Il est toujours fàcheux 1 Locré, tom. XXIV, p. 666.

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pour un innocent d'être traduit devant la justice. On peut facilement lui sauver ce malheur : il suffit d'ordonner que la procédure sera envoyée à la cour impériale dans tous les cas, et de ne pas réduire cette précaution au cas où la mise en liberté est prononcée. »M. Treilhard dit : « Comment concevoir que la justice criminelle marchera avec la rapidité nécessaire, s'il faut attendre que la cour impériale ait prononcé sur cette multitude d'affaires qui y seront journellement portées? Sans doute la loi ne doit rien négliger pour maintenir la liberté individuelle; mais quelle meilleure garantie peut-on établir que celle qui résulte de la précaution de ne traduire personne devant la cour d'assises, à moins que (trois ou) quatre juges n'aient décidé qu'il y a lieu d'examiner?» M. Regnaud dit que, « puisqu'on ne saurait nier qu'il est pénible pour un citoyen de figurer en public comme accusé, d'être privé de sa liberté, d'éprouver l'anxiété et les embarras où le jette la nécessité de se défendre contre l'accusateur et contre les témoins, on ne peut pas refuser à l'accusé la faculté de se pourvoir, afin d'échapper à cette fâcheuse situation ». Le ministre de l'intérieur pense « qu'il faut mettre de l'équilibre dans les dispositions des lois, et que, puisqu'on crée de grands tribunaux pour donner plus de garantie à la société, on doit aussi faire servir cette institution à protéger l'innocence. Cela est juste lorsqu'on ôte aux citoyens la garantie du jury d'accusation. Mais la protection de la cour impériale ne sera efficace qu'autant que cette cour prendra connaissance de toutes les affaires et qu'elle sera mise en état d'annuler les décisions qui placent mal à propos des citoyens dans la pénible situation d'accusés. » — Le ministre des cultes dit « qu'on arriverait au même résultat, mais par des moyens plus simples, si, au lieu d'admettre l'appel, on ordonnait qu'il sera rendu compte à la cour impériale de toutes les décisions qui interviendront, soit qu'elles renvoient le prévenu, soit qu'elles tendent à le traduire en jugement ». — M. Merlin dit « qu'alors il serait plus simple encore d'envoyer à la cour impériale la procédure et la décision; que ce mode aurait l'avantage de ménager le temps et d'accélérer la marche de la justice 1». On voit par quels degrés et par quel enchaînement de considérations le conseil d'État arriva enfin à l'institution, dans le sein de chaque cour impériale, d'une chambre d'accusation.

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1 Séance du 20 février 1808, Locré, tom. XXIV, p. 667 et suiv.

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