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doivent être exactement décrits, puisque l'article 241 veut que l'acte d'accusation puise dans l'arrêt de renvoi le fait et la nature du délit qui fait la base de l'accusation.

La Cour de cassation avait déjà, avant la nouvelle loi, jugé, en annulant un arrêt de chambre d'accusation, « que la qualification de la criminalité ne peut être appréciée que par son rapprochement du fait matériel auquel on l'a donnée; que, dans l'espèce, l'arrêt attaqué, en donnant la qualification de pièce fausse en écriture privée et d'usage fait sciemment de cette pièce fausse, n'énonce pas quels sont les faits matériels auxquels cette qualification a été donnée; que dès lors, et en cet état, cet arrêt manque dans son contexte de l'un des éléments indispensables pour sa régularité. Dans une autre espèce, l'arrêt de la chambre d'accusation était attaqué pour violation de l'article 146 du Code pénal, en ce que l'arrêt ne mentionnait pas que l'altération des actes, imputée au demandeur, eût été faite frauduleusement, et pour violation de l'article 299 du Code d'instruction criminelle, en ce que le même arrêt le mettait en accusation comme ayant fait usage de pièces fausses, sans exprimer les faits qui avaient constitué cet usage. Le pourvoi a été rejeté : « Attendu que les faits sur lesquels porte la mise en accusation sont clairement énoncés et légalement qualifiés; que la moralité de ces faits est non-seulement appréciée et déclarée par le caractère de crime que l'arrêt attaqué leur imprime, mais encore par la désignation des circonstances qui les constituent; que si, sur le chef relatif à l'usage que le demandeur aurait fait des pièces fausses qu'il est accusé d'avoir fabriquées, l'arrêt n'énonce pas en quoi cet usage a consisté, c'est qu'une pareille énonciation n'était pas nécessaire; qu'en effet les articles 148 et 151 du Code pénal punissent toute espèce d'usage d'une pièce fausse, sauf le cas de l'excuse prévu par l'article 163; qu'ainsi le crime dont il s'agit existe par le fait de l'usage de la pièce fausse, quel que soit l'emploi auquel l'accusé l'a appliqué; d'où résulte qu'un arrêt de mise en accusation ne doit pas nécessairement spécifier en quoi cet emploi a consisté. » On doit remarquer que cet arrêt maintient nettement la règle qui veut la spécification des faits incriminés; il ne rejette le pourvoi que parce que la chambre d'accusation lui

1 Cass. 9 sept. 1819 (J. P., tom. XV, p. 328). 210 juillet 1828 (J. P., tom XXII, p. 55).

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a paru avoir suffisamment spécifié le fait d'usage d'une pièce fausse. La seule question était celle-ci Est-il nécessaire, pour qualifier un fait d'usage de faux, de constater en quoi l'usage a consisté? La cour ne l'a pas pensé, parce que la loi punit toute espèce d'usage d'une pièce fausse; mais c'est là confondre la qualification du fait et sa spécification: tout usage d'une pièce fausse est punissable, pourvu toutefois que cet emploi ait été pratiqué avec l'intention de tirer parti de la pièce fausse et de préjudicier à autrui. Il est donc nécessaire que la nature de l'usage et les circonstances dans lesquelles il a eu lieu soient précisées, pour savoir si l'emploi qui en a été fait rentre dans les termes de la loi pénale.

Cette jurisprudence s'est exprimée avec plus de netteté depuis la loi du 17 juillet 1856. Plusieurs arrêts ont reconnu « que l'article 232 exige, à peine de nullité, que les ordonnances de prise de corps contiennent l'exposé sommaire et la qualification légale du fait objet de l'accusation; que l'accomplissement de cette formalité est indispensable, en effet, pour la régularité de l'arrêt, puisque les accusés sont autorisés par l'article 299 à soutenir que le fait, tel qu'il est présenté dans l'exposé prescrit, n'est pas qualifié crime par la loi et que la Cour de cassation ne peut apprécier que par cet exposé le mérite du moyen produit devant elle'». La cour n'a donc pas hésité à annuler tous les arrêts qui n'énonçaient pas les circonstances élémentaires du crime.

§ VII. Délivrance de l'ordonnance de prise de corps.

2221. Lorsque la chambre prononce une mise en accusation, elle décerne contre l'accusé une ordonnance de prise de corps. Cette ordonnance, qui était décernée autrefois par les premiers juges, ne peut plus l'être, suivant l'article 232, que par la chambre d'accusation. L'article 233 ajoute que l'ordonnance de prise de corps sera insérée dans l'arrêt de mise en accusation.

Il résulte en premier lieu, de ces deux articles, que l'arrêt de la chambre d'accusation, toutes les fois que le fait est qualifié

1 Cass. 12 sept. 1856 (Bull., nos 312 et 313), 8 janv. 1859 (no 8), 1er déc. 1859 (no 261), 23 févr. 1860 (no 52), 5 juillet 1860 (no 147), 23 mars 1861 (no 63), 2 mai 1861 (no 92), 15 févr. 1861 (no 59), 8 févr. et 4 avril 1862 (nos 41 et 103).

crime par la loi et qu'il y a des charges suffisantes pour motiver la mise en accusation, doit contenir l'ordonnance de prise de corps. L'accusé d'un fait qualifié crime, ne pouvant, dans le système général du Code, demeurer en état de liberté, doit être maintenu ou mis en état de détention en même temps qu'il est mis en accusation, et la chambre d'accusation ne peut, pour régulariser cette détention provisoire, que décerner l'ordonnance de prise de corps. Une chambre d'accusation avait renvoyé un prévenu devant la cour d'assises en état de mandat d'amener. Cet arrêt a été cassé : « Attendu que, dans l'espèce, il n'avait été décerné dans le cours de l'instruction aucun mandat d'amener, ni de dépôt, ni d'arrêt contre le prévenu; d'où il suit qu'en ordonnant son renvoi en état de mandat d'amener, l'arrêt attaqué a violé les règles de la compétence et commis un excès de pouvoir 1. »

Il résulte, en second lieu, des mêmes articles, que l'ordonnance doit contenir toutes les énonciations et toutes les mentions qu'ils ont prescrites. Elle doit contenir les nom, prénoms, âge, lieu de naissance, domicile et profession de l'accusé, l'exposé sommaire et la qualification légale du fait, enfin l'ordre de conduire l'accusé dans la maison de justice. Il importe peu, d'ailleurs, que l'exposé sommaire soit placé dans la partie de l'arrêt

relative à la mise en accusation ou dans celle relative à l'ordonnance de prise de corps, parce que l'arrêt ne forme avec celle-ci qu'un seul et même contexte.

2222. Le Code n'a soumis à aucune règle particulière l'application de l'ordonnance de prise de corps dans le cas où l'arrêt de la chambre d'accusation est rendu sur une procédure évoquée par cette cour. L'article 239 est ainsi conçu : « S'il résulte de l'examen qu'il y a lieu de renvoyer le prévenu à la cour d'assises, la cour prononcera ainsi qu'il a été dit aux articles 231, 232 et 233. S'il y a lieu à renvoi en police correctionnelle, la cour se conformera aux dispositions de l'article 230. Si, dans ce cas, le prévenu a été arrêté et si le délit peut entraîner la peine d'emprisonnement, il gardera prison jusqu'au jugement. » Ainsi, les formes particulières que l'ancien article 239 avait prescrites dans ce cas ont été effacées par la loi du 17 juillet 1856, et 1 Cass. 18 févr. 1831 (J. P., tom. XXIII, p. 1221).

les mêmes règles s'étendent à tous les arrêts de la chambre d'accusation.

§ VIII. Signature des arrêts.

2223. L'article 234 est ainsi conçu : « Les arrêts seront signés par chacun des juges qui les auront rendus; il y sera fait mention, à peine de nullité, tant de la réquisition du ministère public que du nom de chacun des juges. »

Cet article établit deux formalités distinctes: la signature de l'arrêt par les juges, et la mention tant de la réquisition du ministère public que du nom des juges par le greffier. Ces deux formalités n'ont point la même importance. La signature des juges n'a pour objet que de constater l'existence même de l'arrêt; la mention du réquisitoire du ministère public et du nombre des juges a pour objet de constater la constitution légale de la juridiction qui a rendu cet arrêt. De là la différence admise par la loi : la peine de nullité n'est point attachée à la première disposition; elle ne sert de sanction qu'à la seconde.

Néanmoins, quelle que soit la clarté de ce texte, on a essayé, par une subtile argumentation, de faire remonter cette sanction de la seconde partie de l'article à la première. Une règle générale veut qu'en matière criminelle chacun des juges signe le jugement auquel il a concouru : cette signature, soit qu'on veuille la considérer comme une garantie de l'identité du juge dont le nom figure dans le jugement, soit comme une garantie de l'exactitude de la teneur même de ce jugement, doit être considérée comme nne condition de l'existence de cet acte. Aussi la loi, après avoir prescrit la signature de chacun des juges, ajoute aussitôt : « Il y sera fait mention, à peine de nullité, du nom de ces juges. » Cette mention a donc pour objet de vérifier si les juges qui ont pris part au jugement sont ceux qui l'ont signé, si chaque signature correspond avec les noms mentionnés par le greffier. Il s'agit donc en réalité d'une seule et même formalité, dont toutes les parties doivent être protégées par la même sanction. Tel est l'argument qu'on oppose à la distinction de la loi.

Nous avons déjà eu lieu de remarquer que notre Code, trop avare peut-être de nullités, ne les a point appliquées aux formes secondaires qui ne sont point essentielles soit à l'existence même des actes, soit à la protection des droits de l'accusation et de la

défense'. Ainsi, la règle qui prescrit la signature des jugements, reproduite par les articles 164, 196 et 370, n'attache dans aucun de ces textes la peine de nullité à l'omission de l'une des signatures : la loi a déclaré le greffier responsable de l'accomplissement de cette formalité; elle n'a pas voulu que son inexécution pût influer sur le sort de la procédure. C'est là l'esprit du Code. La présence du ministère public et le nom des juges qui ont concouru à l'arrêt doivent nécessairement être constatés par l'officier public chargé de certifier l'accomplissement de toutes les formes de la procédure; car ce sont là des conditions essentielles de la légale constitution de la juridiction, et par conséquent de la validité de l'arrêt. Mais est-ce que l'existence de cet arrêt peut être mise en doute par cela seul que l'un des juges ne l'aura pas signé? Peut-il dépendre d'un juge d'annuler un jugement en s'abstenant de le signer? Faudra-t-il distinguer entre la signature volontairement omise et la signature omise par négligence ou par oubli? Si la réunion de toutes les signatures est une forme essentielle, cette forme n'est-elle pas la même dans un cas comme dans l'autre, et pourrait-on soutenir que la nullité dépend, non de la violation de la forme, mais du motif qui l'a fait violer?

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La Cour de cassation a jugé, conformément à cette doctrine, par un premier arrêt : « que l'article 234 n'exige pas à peine de nullité que les arrêts soient signés par chacun des juges qui les auront rendus ; » par un deuxième arrêt : « que, l'article 234 ne prescrivant pas la signature des juges à peine de nullité, l'omission de la mention de cette signature dans l'expédition de l'arrêt de renvoi ne saurait donner ouverture à cassation 3; » enfin, par un troisième arrêt « que l'article 234 comprend deux dispositions et n'attache la peine de nullité qu'à la seconde; qu'on ne peut donc considérer cette sanction comme s'appliquant également à la première, la seule à laquelle il ait été contrevenu dans l'espèce; que, dans le silence de cet article, on ne pourrait déclarer nul un jugement faute d'être signé de tous les juges qui l'ont rendu qu'autant que l'inobservation de cette prescription de la loi pourrait mettre en question l'existence même du jugement, ce qui ne se rencontre pas dans la cause actuelle, où le

1 Voy. no 1970.

2 Cass. 10 mars 1827 (J. P., tom. XXI, p. 238). 3 Cass. 21 avril 1832 (J. P., tom. XXIV, p. 983).

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