Page images
PDF
EPUB

dela. Cette énonciation précise, qui n'est d'ailleurs qu'une conséquence du principe qui n'a fait de l'acte d'accusation qu'un simple exposé, est un nouvel argument pour en écarter toutes les déclarations qui sont en dehors du récit, toutes les dissertations qui discutent les faits, tandis que sa seule mission est de les exposer, toutes les indications qui ne sont pas au nombre des résultats de l'instruction.

Il suit de la que toute la base de l'acte d'accusation est dans l'arrêt de renvoi; il ne fait que développer les faits que cet arrêt a admis, il ne peut en admettre d'autres, il ne peut modifier ni leur caractère ni leur gravité. Quel est son but, en effet? Il expose la nature du délit qui fait la base de l'accusation et les faits qui la constituent; or il n'y a pas, il ne peut y avoir d'autre accusation que celle qui a été prononcée par la chambre des mises en accusation. L'arrêt de cette chambre est le point de départ et la source unique de toute la procédure ultérieure. Toutes les parties de l'instruction que cet arrêt n'a pas admises et conservées sont frappées de stérilité; il n'est donc pas permis de les invoquer dans l'acte d'accusation, puisqu'elles sont implicitement annulées; la procédure est circonscrite sur le terrain choisi par l'arrêt, elle ne peut désormais en sortir, et l'acte d'accusation, qui n'a d'autre autorité que celle d'un résumé exact des résultats de cette procédure, commettrait un excès de pouvoir s'il mêlait aux faits qui sont la base de cet arrêt les faits qu'il a rejetés ou qu'il n'a pas admis. Telle est aussi la doctrine formelle de l'exposé des motifs : « Le procureur général, disait M. Faure, n'aura plus dans son acte d'accusation qu'à présenter le développement des faits, et l'acte ne contiendra aucun fait, aucune particularité sur laquelle il n'y ait de fortes présomptions reconnues par les magistrats qui ont prononcé l'accusation. »>

Il suit encore de là que les faits qui sont l'objet de l'exposé ne peuvent être présentés qu'avec le caractère que l'accusation même leur imprime, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent être présentés qu'à titre d'indices ou de présomptions: toutes les charges constatées par la procédure ne sont que des renseignements plus ou moins fondés qui motivent la mise en accusation; il n'y a point de preuves, car les preuves ne se forment qu'aux débats; il n'y a que des probabilités et des indices. De là la conséquence que l'acte d'accusation ne doit énoncer les charges que dans des

's dubitatifs; qu'il doit éviter d'employer les formules trop

[ocr errors]

usitées il est prouvé, il est établi, il est constant;

:

t établi, rien n'est prouvé l'accusation ne fait que r; elle ne voit point encore de coupable; elle ne voit

u accusé.

2237. Enfin, il suit de la même règle qu'il n'est pas permis, dans un acte d'accusation, d'inculper des personnes qui n'ont pas été comprises dans la poursuite. Cette proposition, qui n'est que la stricte application de l'article 241, et qui s'appuie d'ailleurs sur le principe même du droit de défense, devrait être à l'abri de toute controverse. Elle a cependant été contestée dans une affaire que nous devons rappeler. Le procureur général de Poifiers avait énoncé, dans l'acte d'accusation dressé contre le général Berton, des rapports entre les accusés et « des hommes qui, du haut de la tribune, en appelaient à l'énergie de la nation, à l'insurrection, aux fureurs populaires ». Plusieurs députés portèrent plainte. Cette plainte fut transmise au procureur général près la Cour de cassation, et la chambre des requêtes, statuant en vertu de l'article 482 du Code d'instruction criminelle, déclara qu'il n'y avait lieu à suivre : « attendu que l'acte d'accusation ne contient rien qui puisse autoriser une plainte en calomnie, puisque, aux termes de l'article 241, le procureur général doit recueillir et rassembler dans cet acte tout ce qui lui paraît servir à qualifier et prouver l'accusation; que si l'on peut trouver que les passages incriminés ne sont pas assez mesurés, ils n'ont pas néanmoins le caractère de mauvaise foi et de dessein de nuire, sans lequel il n'existe point de délit de calomnie 1. »

Il y a lieu de remarquer, d'abord, que cet arrêt n'a dû examiner l'acte d'accusation que dans ses rapports avec la plainte et par conséquent pour vérifier si les passages incriminés renfermaient les éléments du délit de diffamation; or dès qu'il écartait le dessein de nuire, cette plainte tombait d'elle-même. Cependant il ajoute surabondamment « que le procureur général doit rassembler dans l'acte d'accusation tout ce qui lui paraît servir à qualifier et prouver l'accusation ». Or, cette doctrine est complétement inexacte. La chambre des requêtes a supposé que l'acte d'accusation était destiné à prouver l'accusation, tandis qu'il ne 1 Cass. 24 déc. 1822 (J. P., tom. XVII, p. 762).

doit en faire qu'un exposé; elle a admis que cet acte pouvait rapporter tout ce qui pouvait servir à l'établir, tandis qu'il ne peut énoncer que les faits qui ne sont que le développement et l'accession de ces faits.

M. Mangin, qui défendait ici sa propre cause, propose la distinction suivante : « Lorsque l'instruction écrite renferme contre des tiers des charges qui n'ont point paru suffisantes pour les impliquer dans les procès, ou pour les mettre en accusation, on ne doit rappeler ces charges qu'autant qu'elles se lient tellement aux faits incriminés qu'on ne pourrait les passer sous silence, sans s'exposer à ne donner que des notions incomplètes sur ces faits et à ne pas faire connaître exactement leur nature et leurs tendances. L'acte d'accusation, en effet, ne peut renfermer aucune critique indirecte ni de la manière dont l'action publique a été dirigée, ni de l'arrêt qui a refusé de mettre en accusation quelques-uns des prévenus. Il serait injuste d'ailleurs de faire planer des soupçons sur des tiers, sans les mettre en situation d'expliquer leur conduite et de les détruire. Mais on conçoit qu'il en est autrement lorsque la participation directe ou indirecte que des tiers ont eue à des faits influe sur la nature, la gravité de ces faits, encore bien que cette participation n'ait provoqué contre eux aucune poursuite; car il est du devoir du procureur général de rappeler dans l'acte d'accusation tout ce que l'instruction écrite renferme de propre à qualifier l'accusation 1. »

Cette distinction, par laquelle le légiste cherche à couvrir l'ancien procureur général, est inadmissible. L'article 241 a tracé avec netteté le cadre de l'acte d'accusation : il ne peut rien contenir au delà de l'exposé du fait et de ses circonstances, de la désignation de l'accusé et de la qualification du crime. L'objection consiste à dire que l'énonciation de la participation indirecte des tiers peut servir à imprimer aux faits incriminés leur véritable caractère; c'est là une erreur évidente: cette énonciation ne peut que leur donner un caractère que l'arrêt de renvoi ne leur a pas reconnu et qui est par conséquent étranger à l'accusation, puisque cet arrêt n'a pas constaté cette participation et n'a pas ordonné une instruction nouvelle pour arriver, s'il y avait lieu, à la constater. C'est ainsi qu'on arriverait, par de vagues suppositions, soit à changer le caractère des faits, soit à les ag1 Instr. écrite, tom. II, p. 185.

graver, en leur donnant, par des relations imaginaires, une importance qu'ils n'ont pas réellement. Et comment admettre, d'ailleurs, qu'il puisse être permis d'inculper hautement dans un acte public des citoyens, qui ne sont pas en cause et qui ne peuvent se défendre, d'une sorte de complicité d'un crime? Si le procureur général trouve dans la procédure des indices d'une complicité légale, il doit poursuivre; s'il n'a que de vagues soupçons, il doit garder le silence, car une inculpation dénuée de preuve n'est pas un acte que les fonctions judiciaires, quelles qu'elles soient, puissent autoriser.

2238. La 2o partie de l'acte d'accusation est un résumé réduit en une simple formule. Le 3 § de l'article 241 porte « L'acte d'accusation sera terminé par le résumé suivant: En conséquence, N. est accusé d'avoir commis tel meurtre, tel vol, ou tout autre crime, avec telle ou telle circonstance. »

L'exposé des motifs explique cette disposition en ces termes : « Le projet veut aussi que le procureur général termine l'acte d'accusation par un résumé où l'on verra d'un seul coup d'œil quel est le crime et quelles sont les circonstances. Ce résumé sera d'autant plus facile à faire, que l'arrêt de mise en accusation en sera le type. Il sera de son côté le régulateur de la question sur laquelle les jurés auront à répondre lorsqu'on leur demandera si l'accusé est coupable. »

Il suit de là que le résumé doit se borner à reproduire exactement le dispositif de l'arrêt de renvoi : cet arrêt a fixé l'accusation, il en détermine l'étendue et les termes, et l'article 271 défend au procureur général d'en porter aucune autre, à peine de nullité, et, s'il y a lieu, de prise à partie. Le résumé ne peut donc que répéter, en les classant suivant la formule indiquée par l'article 241 et en les divisant suivant les règles tracées par la loi du 13 mai 1836, les faits et les circonstances qui font la base de l'arrêt de renvoi. Il ne peut ni modifier ces faits ni altérer le caractère avec lequel ils ont été admis. L'acte d'accusation, il faut le répéter, n'a aucune force par lui-même ; il puise toute sa force dans l'arrêt de renvoi; tout ce qui serait énoncé dans cet acte et ne serait pas fondé sur les énonciations de l'arrêt ne produirait aucun effet.

Cependant un magistrat, dont nous sommes habitué à admirer

le savoir et le lumineux esprit, a émis l'avis que l'acte d'accusation peut modifier à certains égards l'arrêt de renvoi : « Si ce droit, dit M. Charles Nouguier, ne peut jamais aller jusqu'à changer la qualification donnée par l'arrêt aux faits poursuivis, il va du moins jusqu'à compléter et régulariser une qualification imparfaite. Ainsi, dans le cas où l'une des conditions constitutives du crime aurait été oubliée dans le dispositif de l'arrêt de renvoi, si, par exemple, en matière de voies de fait graves, il n'était pas constaté que les voies de fait eussent eu lieu volontairement, on doit considérer comme certain que l'acte d'accusation peut réparer cette omission'. »

Nous admettons sans difficulté que l'acte d'accusation peut réparer les omissions purement matérielles et les irrégularités qui ne touchent ni à la nature du crime ni aux circonstances qui servent à le qualifier. Ainsi, il peut dans son résumé compléter la désignation incomplète de l'accusé, il peut préciser la date omise ou inexactement mentionnée de l'action, il peut encore, si l'arrêt a négligé quelque terme d'une formule légale, ajouter l'expression qui ne fait qu'énoncer sa pensée ; par exemple, à l'effraction admise par l'arrêt, il peut ajouter, si les faits constatés l'autorisent, que cette effraction a été commise dans une maison. Il ne fait en cela que traduire en termes plus exacts l'accusation portée par l'arrêt; il n'ajoute rien aux faits et à leur qualification; il ne fait que la reproduire fidèlement. En est-il encore ainsi lorsque, après avoir constaté l'omission dans le dispositif d'une circonstance essentielle du crime, il répare cette omission, lorsque, par exemple, il ajoute le mot volontairement omis dans une accusation de coups et blessures? Oui, si ce mot oublié dans le dispositif de l'arrêt se retrouve soit dans ses motifs, soit dans l'ordonnance de prise de corps; car toutes les parties de l'arrêt forment un même tout et doivent se compléter les unes les autres. Non, si cette circonstance n'est déclarée dans aucune partie de l'arrêt, car c'est alors l'accusation qui fait défaut sur ce point, et il n'est pas permis au procureur général de la suppléer. Si telle n'était pas la limite précise du pouvoir de l'acte d'accusation, où s'arrêterait ce pouvoir? S'il était autorisé à rectifier une accusation, ne serait-il pas entraîné à la modifier et de là bientôt à la transformer? Il importe

1 Encyclopédie, vo Accusation, no 46.

« PreviousContinue »