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donc de maintenir rigoureusement le principe qui veut que l'arrêt soit la base unique et exclusive de toute l'accusation.

2239. Quel est l'effet des irrégularités ou des abus commis dans la rédaction de l'acte d'accusation? La nullité de cet acte et par suite celle de la procédure en sont-elles la conséquence? L'article 232 du Code du 3 brumaire an IV portait : « Tout acte d'accusation dans lequel n'ont pas été observées les dispositions des articles ci-dessus est nul, ainsi que tout ce qui peut s'ensuivre. » Cette disposition, qui avait produit de fréquentes annulations de procédures, n'a point été reproduite dans notre Code. Faut-il conclure de son silence que la nullité ne doive être prononcée en aucun cas?

Nous avons rendu compte des motifs qui ont guidé notre légis̟lateur. Dans la loi de 1791 et dans celle de l'an IV, l'acte d'accusation rédigé par le directeur du jury était la base de la décision des jurés d'accusation, la base de l'instruction définitive et de la délibération des jurés de jugement. De là l'importance qui s'attachait à toutes ses formes: ses vices, par cela même qu'ils influaient sur la procédure, devaient en commander la nullité. Dans notre Code, l'accusation est déjà décrétée lorsque l'acte est rédigé cet acte ne fait que l'exposer et la résumer; il n'en est plus le principe; il n'en est que l'expression; il la trouve toute formulée, et sa mission secondaire se borne à l'expliquer. C'est en le considérant sous ce nouvel aspect que l'article 299, en ouvrant le pourvoi contre l'arrêt de renvoi, n'a point voulu étendre celte voie de recours à l'acte d'accusation, et que l'article 313 fait précéder la lecture de cet acte à l'audience de celle de l'arrêt lui-même. C'est par une autre conséquence de cette nouvelle disposition que la loi n'a voulu prononcer aucune nullité formelle contre les irrégularités qui pourraient se glisser dans sa rédaction. Pourquoi, en effet, autoriser l'annulation d'une procédure à raison des vices d'un acte qui n'est la source d'aucun droit, qui n'a d'autre tâche légale que de reproduire un arrêt que l'accusé peut attaquer, qui semble enfin ne pouvoir causer par ses irrégularités un préjudice irréparable, puisque ses erreurs peuvent être rectifiées et ses énonciations inexactes débattues à l'audience?

Il faut donc tenir comme une règle générale que les vices de

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l'acte d'accusation n'entraînent point la nullité de la procédure : les formes de sa rédaction n'ont d'autre sanction que la conscience du magistrat qui le signe : s'il les enfreint, il manque un devoir; mais la procédure, quoiqu'elle puisse indirectement ressentir quelque atteinte de cette infraction, poursuit sa marche; elle ne peut être sérieusement entachée par les irrégularités d'un acte qui ne peut changer les termes de l'accusation ni enlever à la défense ses garanties légales. C'est, après s'être rendu compte de cet esprit de la loi, que la Cour de cassation a été amenée à déclarer que l'article 241 n'est pas prescrit à peine de nullité 1».

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2240. Cette règle néanmoins ne doit pas être posée dans des termes trop absolus et son application demande au moins quelques explications.

Les vices de l'acte d'accusation peuvent s'attaquer à l'exposé, quand cet exposé renferme des faits inexacts ou étrangers à l'accusation, ou quand il prend le caractère déclamatoire d'un réquisitoire contre l'accusé; soit au résumé, quand ce résumé omet une circonstance qui se trouve dans l'arrêt de renvoi, ou qu'il ajoute au contraire quelque fait aux faits retenus par un arrêt, ou enfin qu'il substitue une accusation nouvelle à l'accusation qui a été portée.

Les vices de l'exposé pouvaient donner lieu, sous l'empire du Code du 3 brumaire an IV, à l'annulation de l'acte. La Cour de cassation prononçait, en effet, cette annulation dans une première espèce: « Attendu que l'acte d'accusation dressé contre le demandeur n'est pas conçu avec cette précision et cette impartialité qu'exige la loi; qu'on y aperçoit presque à chaque phrase des exceptions tendant à aggraver la position du prévenu et à le présenter au jury sous l'aspect le plus défavorable; qu'on y voit des raisonnements appuyés sur des présomptions qui ne peuvent avoir d'autre but que de violenter la conscience du jury et de donner illégalement au directeur du jury, dont le ministère doit être purement passif, l'initiative de la condamnation du prévenu; qu'il est conséquemment plutôt un plaidoyer contre le prévenu qu'un rapport précis des faits, ce qui entraîne la nullité 2. » Et dans une autre espèce : « Attendu que, loin d'être rédigé avec la pré1 et 2 Cass. 1er therm. an VII (J. P., tom. I, p. 438).

cision exigée par la loi, l'acte d'accusation respire partout la plus grande partialité contre les prévenus; qu'on les y peint comme les plus grands scélérats; qu'on les y traite de bêtes féroces qui ont indubitablement commis les crimes qui leur sont imputės, l'on va jusqu'à dire qu'il est impossible que ce ne soit pas eux qui les aient commis; et qu'enfin, par des réflexions et par tous les moyens possibles, on a cherché à porter contre les prévenus la conviction dans l'âme des jurés, ce qui présente une violation de la loi '. »

que

:

La question ne s'est élevée, sous l'empire du Code d'instruction criminelle, que dans une espèce où les faits avaient été inexactement exposés, et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Voici le texte de cet arrêt : « Sur le moyen tiré de la violation des articles 221, 241 et 271 combinés, en ce que l'acte d'accusation aurait énoncé, dans le narré des faits, que la seconde tentative de meurtre aurait suivi immédiatement la première, circonstance qui ne se trouve pas énoncée dans le texte de l'accusation portée par l'arrêt attendu que, si l'article 271 dispose que le procureur général ne peut, à peine de nullité, porter à la cour d'assises aucune autre accusation que celle qui a fait l'objet de l'arrêt de mise en accusation, il en résulte pour ce magistrat l'obligation stricte de se renfermer dans les qualifications légales que les faits ont reçues dans l'arrêt de mise en accusation, et de terminer l'acte d'accusation par un résumé conforme à cet arrêt, suivant les prescriptions de l'article 241; qu'en effet ce résumé est la partie substantielle de l'accusation contre laquelle l'accusé se trouve ainsi averti qu'il aura à préparer sa défense, sauf les circonstances aggravantes qui pourront ultérieurement résulter des débats, mais que, quant à la narration ou au récit des faits dont le résumé de l'acte d'accusation est la conclusion, la rédaction n'en est soumise à aucune règle tracée par la loi, qui s'en est rapportée à la prudence du ministère public; que, dans l'espèce, le résumé de l'acte d'accusation est en tout point conforme à la teneur de l'accusation formulée dans l'arrêt de renvoi; qu'il ne renferme pas l'assertion de la circonstance aggravante prévue par le § 1 de l'article 304 Code pénal; que dès lors l'acte d'accusation n'a contrevenu à aucune des dispositions de la loi : rejette2. »

1 Cass. 4 brum. an VIII (J. P., tom. I, p. 514).

2 Cass. 15 avril 1847 (J. P., 49, 2, 320).

Cet arrêt, on l'a remarqué, ne statue que dans une espèce où une circonstance du fait avait été inexactement rapportée dans l'exposé; et comme cette inexactitude ne s'était point reproduite dans le résumé, la Cour de cassation ne s'y est point arrêtée. Faut-il considérer cette décision comme devant être renfermée dans l'espèce où elle a prononcé, ou faut-il y voir l'expression d'une règle générale applicable à toutes les irrégularités de l'exposé? Il est évident que la Cour de cassation, lorsqu'elle déclare que la rédaction de l'exposé n'est soumise à aucune règle et que la loi s'en est rapportée à la prudence du ministère public, a entendu poser un principe et protéger cette première partie de l'acte d'accusation contre toutes les attaques de la défense. Ce principe, nous l'avons déjà dit, est conforme au système général de la loi, qui n'a pas prévu que l'acte d'accusation s'écarterait de la mission secondaire qu'elle lui réservait, et qui n'autorise dès lors, par aucun de ses textes, l'annulation de cet acte à raison des abus de sa rédaction. Cependant, si l'acte d'accusation ne s'était pas borné à tronquer les faits, à les altérer, à en voiler une partie; s'il avait substitué à la forme d'un exposé celle d'une plaidoirie véhémente; s'il s'était proposé d'établir, par une discussion anticipée des charges, la culpabilité même de l'accusé, cet acte trouverait-il encore un refuge dans le silence de la loi? Si cette loi ne lui a pas tracé de forme précise, n'est-ce pas parce qu'il lui a paru suffire de lui tracer sa fonction? Si elle s'est fiée à la prudence du ministère public, s'ensuit-il que, si sa confiance est trompée, la justice demeure sans recours? Tant qu'il n'y a point de préjudice appréciable, ou tant que le préjudice peut être réparé par les débats, on doit facilement admettre, avec l'arrêt qui vient d'être cité, que l'exposé échappe à toute censure. Mais s'il y a lieu de craindre que ses assertions erronées ou ses discussions prématurées ont pu jeter dans l'esprit des jurés d'ineffaçables impressions, et que la défense, impuissante à lutter contre ce préjugé, n'ait été ni entière ni libre, faudra-t-il répondre encore que les règles légales, visiblement enfreintes, n'ont point de sanction? L'accusé ne pourra-t-il soutenir qu'il a été empêché d'user d'un droit qui lui était garanti par la loi; que, proclamé coupable quand il n'était qu'accusé, sa situation n'a point été celle que la procédure lui devait assurer; qu'appelé à repousser, non des présomptions, mais une déclaration affirma

tive faite à l'avance contre lui, il n'y avait plus de défense possible? Si tels étaient les résultats de l'acte d'accusation, il serait peut-être difficile de soutenir que le droit de la défense n'a pas été violé et que la procédure continuée à la suite de cette infraction a été régulière. Mais une telle question dépend entièrement d'une appréciation qui peut être différente dans chaque espèce, et, nous nous hâtons de le dire, ces excès que la théorie doit prévoir ne se réaliseront jamais les actes d'accusation pourront présenter dans leur exposé des omissions, des inexactitudes, des détails erronés; mais il n'est pas permis de supposer qu'ils puissent intervertir leur rôle légal en prenant le caractère d'un plaidoyer. Dès lors, on doit considérer comme une règle générale que l'exposé, quelles que soient ses irrégularités, ne peut devenir la base d'aucun grief.

2241. La même règle doit-elle s'appliquer au résumé ? L'article 271 déclare que le procureur général ne peut, à peine de nullité et, s'il y a lieu, de prise à partie, porter à la cour d'assises aucune autre accusation que celle qui a été admise par l'arrêt de renvoi. Quel est l'effet de cette disposition? Suffit-il que le résumé de l'acte d'accusation ait, par l'omission ou l'addition d'une circonstance, modifié l'accusation légalement portée, pour qu'il y ait lieu à l'annulation de la procédure?

Cette question doit se résoudre négativement. La loi n'a pas voulu qu'aucune accusation pût être portée devant la cour d'assises sans être préalablement examinée par la chambre d'accusation, et elle a frappé de nullité toutes les poursuites qui n'auraient pas été soumises à cette importante épreuve, l'une des plus sûres garanties de la liberté civile. Mais il ne faut pas confondre, avec une accusation illégalement portée devant la cour d'assises, une accusation qui, légale en elle-même, ne rencontre d'irrégularité que dans la rédaction vicieuse de l'acte d'accusation. Les effets de cette irrégularité dépendent uniquement du préjudice qu'elle a causé.

Les irrégularités de l'acte d'accusation ne sont point irréparables. Cet acte n'étant qu'une émanation de l'arrêt de renvoi, président des assises peut suppléer à ses lacunes, effacer ses additions, en un mot, corriger toutes ses erreurs, en se référant à l'arrêt de renvoi, fondement unique de toute la procédure. Ce

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