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incomplète au fond, était complète vis-à-vis de chacun des accusés, parce qu'elle contenait tout ce qui l'intéressait. Mais est-ce que la défense de tous les individus compris dans une même accusation n'est pas indivisible? Est-ce que chacune des imputations dirigées contre l'un des coaccusés ne peut pas indirectement réfléchir contre les autres? Briser ainsi l'acte d'accusation en autant de tronçons qu'il y a d'accusés, n'est-ce pas établir des actes d'accusation spéciaux à chacun d'eux, diviser l'accusation générale en accusations partielles, placées les unes à côté des autres et étrangères les unes aux autres? N'est-ce pas isoler les accusés, détruire l'unité du débat et par conséquent rendre la manifestation de la vérité plus difficile? La loi, au surplus, ne distingue point qu'il y ait plusieurs accusés ou qu'il n'y en ait qu'un seul, elle veut que l'acte d'accusation soit tout entier signifié à l'accusé, et par conséquent à tout individu à qui l'arrêt de renvoi donne la qualité d'accusé; elle veut qu'il lui soit laissé copie du tout. Toute restriction de cette copie est une violation du droit de la défense. Il importe peu que chacun des accusés puisse avoir ou n'avoir pas d'intérêt à connaître le tout où se trouve la mesure de cet intérêt? Et qui peut en être juge, si ce n'est lui-même? Dans l'espèce, la cour d'assises devait donc statuer sur la signification partielle, comme elle eût statué sur l'omission complète de la signification; elle devait prononcer la remise ou le renvoi de l'affaire. Il était indifférent que les accusés eussent provoqué cette mesure; car ils n'étaient point tenus de la demander; ils avaient signalé l'irrégularité de la signification; c'était à la cour d'assises à prendre la seule mesure qui pût réparer cette erreur. Maintenant, en ne suivant pas cette marche qui seule était régulière, avait-elle commis une violation de la loi? La Cour de cassation, tout en reconnaissant que la notification était irrégulière, a pensé que, dans l'espèce, l'irrégularité, signalée par les accusés eux-mêmes, était couverte par cela même qu'ils s'étaient bornés à faire des réserves, sans réclamer aucune autre mesure; que cette conduite, qui contenait implicitement l'acceptation du débat, faisait présumer une sorte d'acquiescement de leur part, d'où la conséquence que leur défense n'en aurait pas éprouvé un véritable préjudice. C'est là, en résumé, une appréciation particulière à l'espèce et qui demeure en dehors du principe: ce principe, auquel cet arrêt ne peut

porter aucune atteinte, est que, même dans les accusations qui comprennent plusieurs accusés, l'arrêt de renvoi et l'acte d'accusation doivent être signifiés tout entiers, et quels que soient leurs développements, à chacun des accusés.

2249. Nous arrivons maintenant aux formes mêmes de la signification. Et d'abord, il faut qu'il y ait signification et qu'il soit laissé copie des actes signifiés.

Un arrêt du 28 décembre 1838, rendu avant le changement de la jurisprudence, avait décidé que la forme de la signification pouvait être remplacée par la lecture qui était donnée à l'accusé, lors de son interrogatoire, de l'arrêt de renvoi et de l'acte d'accusation « Attendu qu'au moment où les demandeurs ont été mis sous la main de la justice, leur interrogatoire constate que, avant de les interroger, on leur a donné lecture de l'arrêt de renvoi et de l'acte d'accusation; qu'ensuite ils ont été, conformément à l'article 293, interrogés et avertis des droits que leur ouvrait l'article 296; qu'ainsi ils ne peuvent se plaindre qu'on ait violé à leur égard l'article 242 ou porté atteinte aux droits de leur défense. » Mais un arrêt postérieur, réformant cette décision, a reconnu formellement : « que la lecture de l'arrêt de renvoi et de l'acte d'accusation qui a été donnée à l'accusé, lors de son interrogatoire devant le président de la cour d'assises, ne peut tenir lieu de la signification prescrite par la loi '. » Il est évident que cette dernière solution est seule conforme au texte de l'article 242, qui prescrit la remise de la copie des actes: la loi a voulu, non la lecture des pièces, qui ne laisse qu'une impression fugitive, mais leur remise même, afin que l'accusé pût en faire l'objet d'un examen attentif.

2250. Les formes de la notification sont celles qui s'appliquent à la notification de tous les exploits. Le Code d'instruction criminelle, en effet, n'en a établi aucune, il faut donc se reporter aux règles du droit commun, c'est-à-dire aux dispositions du Code de procédure civile. C'est ce que la Cour de cassation a décidé par de nombreux arrêts qui portent : « qu'à défaut de dispositions spéciales du Code d'instruction criminelle sur la forme des exploits de notification exigés dans les procédures 1 Cass. 28 déc. 1838 (Bull., no 391).

2 Cass. 7 janv. 1847 (Bull., no 4).

criminelles, on doit se reporter aux règles tracées par les articles 68 et suivants du Code de procédure civile ».

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2251. Ces règles, quand l'accusé est en état de détention, sont simples. Aux termes de l'article 68 du Code de procédure civile, qui veut que « tous exploits soient faits à personne ou domicile » la notification doit être faite à la personne même de l'accusé. Ainsi, la notification faite au domicile est nulle lorsque l'accusé, jusque-là en état de contumace, s'est constitué la veille du jour de cette notification: il fallait dans ce cas, et dès qu'elle était possible, que la notification fût faite à la personne même 9.

Il suffit, pour la régularité de la notification, que l'exploit, suivant les termes formulés de l'article 61 du même Code, contienne 1o la date des jour, mois et an; 2° les noms, demeure et matricule de l'huissier; 3° la mention de la personne à laquelle copie de l'exploit est laissée; 4° et l'indication des actes signifiés.

L'omission de chacune de ces énonciations peut entraîner la nullité de l'exploit. L'article 61, en effet, frappe de nullité les exploits d'ajournement qui ne renfermeront pas toutes les formes qu'il a prescrites; or, ces formes ne sont pas spéciales aux exploits d'ajournement, elles constituent en général les formes essentielles de tous les exploits dont la signification est commandée, à peine de nullité, par la loi. Néanmoins, ce que la loi a prescrit, ce n'est point une formule légale, c'est l'accomplissement réel de la formalité, et par conséquent, les erreurs ou omissions qui se trouvent dans un exploit peuvent être suppléées par les énonciations soit de cet exploit, soit des pièces qui l'accompagnent et qui sont propres à les réparer 3. Ainsi la date, si elle est inexacte, peut être rectifiée dans certains cas, à l'aide de la mention de l'enregistrement qui se trouve en marge de l'exploit. Ainsi les noms, demeure et immatricule de l'huissier peuvent être remplacés par sa signature et l'indication du tribunal près duquel il exerce. Ainsi la mention de la remise d'une copie à chacun des accusés peut être suppléée par l'ensemble des énonciations de l'exploit et notamment par le coût constatant l'existence de plusieurs copies.

1 Cass. 16 mars 1848 (Bull., no 68); 22 juin 1848 (no 187).

2 Cass. 8 mars 1860 (Bull., no 70).

3 Cass. req. 23 nov. 1836 (S. V. 36, 1, 903; Dall., 38, 1,446).

4 Cass. 6 mai 1859 (Bull., no 118); 12 sept. 1861 (no 207).

2252. L'omission du nom de la personne à laquelle l'exploit a été laissé entraîne-t-elle sa nullité? Il faut répondre affirmativement, car le défaut de cette mention laisse un doute évident sur la remise même de l'exploit; rien ne constate qu'il ait été laissé à l'accusé lui-même. La Cour de cassation a jugé, en conséquence, « que l'article 61 du Code de procédure civile exige, à peine de nullité, que les exploits d'ajournement et autres actes qui, à raison de leur importance, doivent y être assimilés, contiennent expressément la mention de la personne à laquelle la copie de l'exploit a été laissée; que, par son exploit du 3 février, l'officier ministériel qui était chargé de notifier au demandeur l'arrêt de renvoi et l'acte d'accusation a déclaré avoir signifié et donné copie desdits actes à Martial Bissenier, accusé, détenu en la maison de justice où il s'est transporté, parlant à........ entre les deux guichets, et qu'il constate, à la fin du même exploit, en avoir délaissé copie audit Bissenier, ainsi que des pièces y relatives, entre les deux guichets de ladite maison de justice, parlant comme dit est; que dans cet état des faits, ledit officier ministériel, ayant négligé de constater à quelle personne il avait parlé, n'a nullement mentionné la personne à laquelle la copie de son exploit et des pièces y mentionnées a pu être laissée; qu'il n'y a pas dès lors de signification régulière au demandeur de l'arrêt de renvoi et de l'acte d'accusation, en vertu desquels il a été traduit devant la cour d'assises; que ce défaut de notification régulière, qui est une atteinte aux droits de la défense, constitue une violation manifeste de l'article 242, d'où il résulte la nullité des débats et de l'arrêt de condamnation ». Néanmoins, cette mention « a laissé et délivré copie à (le nom de l'accusé) parlant en personne », a paru suffisamment constater la remise à la sonne elle-même 2.

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2253. A plus forte raison, la nullité doit-elle être prononcée s'il résulte de l'exploit lui-même que la notification a été faite en parlant à un autre détenu que l'accusé. C'est ce que la Cour de cassation a reconnu en déclarant « que l'arrêt de renvoi et

1 Cass. 16 mars 1848 (Bull., no 68); et conf. cass. 22 juin 1848 (Bull., no 187); 5 nov. 1857 (no 365); 17 mars 1859 (no 80); 6 mai et 19 mai 1859 nos 118 et 132).

2 Cass. 28 déc. 1860 (Bull., no 305).

l'acte d'accusation relatifs au demandeur ont été signifiés par l'huissier Thorné à un autre détenu du nom de Gentil, ce qui est constaté par l'exploit joint au mémoire produit à l'appui du pourvoi; que dès lors la formalité prescrite par l'article 242 n'a pas été accomplie; que cette formalité est substantielle, puisqu'elle sert de base à la défense, et que son inobservation doit entraîner la nullité de la procédure ». Il en serait de même si la copie a été laissée au greffier de la prison au lieu de l'être au détenu lui-même *.

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La nullité doit encore être prononcée lorsqu'il y a plusieurs accusés, que l'exploit ne constate pas qu'une copie de l'arrêt de renvoi et de l'acte d'accusation a été remise séparément à chacun d'eux et que les chiffres du coût de l'exploit ayant été surchargés, on ne peut y puiser une indication qui puisse suppléer à ses omissions 3.

Mais l'exploit, lorsqu'il est notifié à personne, ne doit pas nécessairement contenir l'indication du domicile de la personne assignée. Il suit de là que c'est avec raison que la Cour de cassation a jugé que la signification n'est pas nulle par cela seul que l'exploit ne mentionne pas qu'elle a été faite au greffe de la maison de justice, entre les deux guichets, lieu de liberté : « attendu que l'huissier qui a fait cette notification constate qu'il s'est transporté à la maison d'arrêt de Blois, où l'accusé était détenu, et qu'il lui a notifié et donné copie des deux actes, en parlant à sa personne; que la notification ainsi faite remplit exactement le vœu de l'article 242, et que cet article n'exige pas qu'il soit spécifié en quelle partie de la maison de justice la signification a été faite.

2254. Les formes de la notification deviennent plus compliquées lorsque l'accusé est fugitif.

L'article 68 du Code de procédure civile porte : « Tous exploits seront faits à personne ou domicile; mais si l'huissier ne trouve au domicile ni la partie, ni aucun de ses parents ou serviteurs, il remettra de suite la copie à un voisin, qui signera l'ori

1 Cass. 29 juin 1848 (Bull., no 191); 16 mai 1861 (no 106).

2 Cass. 8 mai 1862 (Bull., no 127).

3 Cass. 13 juin 1860 (Bull., no 134).

4 Cass. 9 déc. 1852 (Bull., no 397).

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