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tion de l'arrêt attaqué, que l'injure avait été proférée contre un magistrat à l'occasion de ses fonctions. On lit dans cet arrêt « que si les déclarations en fait données par les tribunaux et par les cours, jugeant correctionnellement, sont irréfragables, il n'en est pas de même des qualifications données par lesdits tribunaux et les cours à ces faits par eux déclarés et des conséquences qu'ils en ont tirées; que l'examen de ces qualifications et de ces conséquences rentre dans les attributions de la Cour de cassation; que cette Cour, étant chargée de réprimer les violations qui seraient commises contre la loi, a nécessairement qualité pour juger l'appréciation desdits faits et leurs conséquences, puisque ce jugement devient la base de l'application de la loi pénale'

Ce premier arrêt, toutefois, n'attaquait pas directement la jurisprudence, parce qu'on pouvait soutenir que, si la loi n'a pas défini l'outrage, elle a déterminé l'élément d'aggravation qui résulte du rapport de ce fait avec les fonctions; mais, dans une autre espèce, la nouvelle tendance de la Cour s'est plus clairement manifestée. La Gazette du Languedoc avait en 1831 inséré une pièce de vers qui motiva une poursuite pour attaque contre l'ordre de successibilité au trône. La chambre du conseil déclara qu'il n'y avait lieu à suivre, parce qu'il ne résultait pas de l'écrit que l'auteur eût eu l'intention de provoquer un changement de l'ordre de successibilité, et que l'émission d'un vœu ne pouvait être considérée comme une action tendant à obtenir ce résultat. La chambre d'accusation ayant confirmé cette ordonnance, son arrêt a été cassé : « Attendu, en droit, que si, en matière criminelle et particulièrement dans les délits de presse, les déclarations en fait des cours et tribunaux appelés à statuer sur la poursuite de ces délits sont inattaquables, il en est autrement des qualifications qu'ils donnent ou qu'ils refusent de donner aux faits par eux déclarés ou non méconnus, et des conséquences qui peuvent en être tirées; que l'examen de ces qualifications et de ces conséquences rentre dans les attributions de la Cour de cassation; que cette Cour, instituée pour réparer les violations qui peuvent être commises contre la loi, a nécessairement caractère pour juger de la qualification donnée ou refusée mal à propos aux faits résultant de l'instruction; que le jugement de cette qualification des faits dans leurs rapports avec 1 Cass. 2 avril 1825 (J. P., tom. XIX, p. 373).

la loi qui doit leur être appliquée est inséparable de celui de l'application elle-même de la loi '. »

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2266. Le principe posé par cet arrêt a été appliqué en matière de délits de la presse, 1° par un arrêt du 21 octobre 1831' qui reproduit presque textuellement celui qui précède; 2° par un arrêt du 7 février 1833 qui déclare « que la chambre d'accusation n'a fait résulter l'insuffisance des indices de culpabilité du délit d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement du roi que de ce qu'il n'était pas suffisamment établi que les expressions démesurées (de l'écrit incriminé) s'adressent directement au gouvernement du roi; que les passages incriminés ne peuvent au contraire se rapporter qu'à ce gouvernement, puisqu'il y est non-seulement indiqué d'une manière implicite, mais encore expressément nommé; que, l'arrêt attaqué se fondant sur une base matériellement erronée, il est dans les attributions de la Cour de cassation de restituer aux faits reconnus dans cet arrêt leur qualification légale3»; 3° par un arrêt du 10 juillet 1841, qui, après avoir reproduit les motifs des arrêts précédents, ajoute « que la chambre d'accusation de la cour de Douai, saisie, par l'opposition du ministère public à l'un des chefs de l'ordonnance de la chambre du conseil, de la connaissance, de l'appréciation et de la qualification des articles incriminés, s'est bornée à déclarer qu'aucun de ces articles ne constitue suffisamment les délits prévenus par les lois de la presse; que par là cette cour, en refusant de donner aux articles incriminés les qualifications légales qui leur convenaient, a violé lesdites lois "; 4° par un arrêt du 15 décembre 1848 qui décide « que la Cour de cassation, en ce qui concerne les délits de la presse, étant chargée de surveiller et de maintenir l'application de la loi, a nécessairement le droit de juger la qualification des écrits sur lesquels sont intervenues les décisions qui lui sont déférées, puisque la juste ou fausse application de la loi réside uniquement dans les qualifications »; 5° par un arrêt du 10 octobre 1850 qui répète « que, pour remplir la mission qui lui est confiée de maintenir l'appli

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1 Cass. 5 août 1831 (J. P., tom. XXIV, p. 102).
2 Cass. 21 oct. 1831 (J. P., tom. XXIV, p. 279).
3 Cass. 7 févr. 1833 (J. P., tom. XXV, p. 139).
Cass. 10 juillet 1841 (Bull., no 210).
Cass. 45 déc. 1848 (Buil., no 322).

cation de la loi, la Cour de cassation doit, en ce qui concerne les délits de la presse, juger les qualifications des écrits sur lesquels sont intervenues les décisions qui lui sont déférées '. »

Cette jurisprudence, quoique tous les arrêts qui viennent d'ètre cités semblent la restreindre aux délits de la presse, a été étendue à d'autres matières.

Elle a été étendue aux simples contraventions de la presse. Ainsi, la Cour de cassation a prononcé l'annulation d'un arrêt de la cour d'Agen: « Attendu que, si les tribunaux de répression ont le droit de rechercher, de reconnaître et de constater les faits qui constituent un délit ou une contravention, il appartient à la Cour de cassation, spécialement en matière de presse, de décider si les inductions tirées par les juges du fait de l'état extérieur et matériel des publications incriminées sont conformes aux principes du droit qui doivent diriger leur appréciation légale; que les 2 et 3 éditions d'un journal doivent être principalement la reproduction de l'édition première, sauf les additions que comportent les actes, faits et nouvelles qui ont pu se produire depuis cette première édition, sans que l'on puisse introduire dans les éditions subséquentes des changements touchant la périodicité du journal, l'ordre et la nature des matières et la rédaction des articles; que ces divers changements constituent, non une seconde édition du même journal, mais une publication distincte, soumise à l'obligation du cautionnement; qu'il résulte, en fait, de l'inspection et de l'examen de plusieurs numéros incriminés, que les publications intitulées 2 et 3 éditions du Journal de midi different essentiellement de la 1 édition de ce journal; qu'en présence de ces faits matériels qui seuls constituent le corps du délit ou de la contravention, l'arrêt attaqué a néanmoins dėclaré que, s'il y a quelques bien rares différences, elles n'ont pas été suffisamment établies par l'information; en quoi ledit arrêt a violé, etc. . »

Elle a été étendue au délit d'outrage commis envers un fonctionnaire public. La Cour de cassation a déclaré « que l'ordonnance de la chambre du conseil déclare Troussier suffisamment prévenu d'avoir outragé publiquement le maire de Velaux, dans l'exercice de ses fonctions et à raison de sa qualité, en lui disant

1 Cass. 10 oct. 1850 (Bull., no 549); et cass. 8 juillet 1853 (Bull., no 348). 2 Cass., ch. réun., 13 avril 1852 (Bull,, no 122).

qu'il se moquait de ses procès-verbaux, et en disant encore dans l'auberge, quoique hors la présence du maire, que le maire était un imbécile, etc.; que ces faits caractérisent l'outrage par paroles que l'article 222 prévoit et punit, puisqu'ils ont été commis envers un magistrat de l'ordre administratif dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de cet exercice, et que les expressions de mépris dont ledit Troussier s'est servi à son égard sont de nature à diminuer le respect des citoyens pour son autorité morale et pour le caractère dont il est revêtu; qu'elles tendent dès lors à inculper son honneur et sa délicatesse, selon l'esprit et le sens de cette disposition; qu'en décidant le contraire, sous le prétexte que les propos en question ne doivent être considérés que comme des paroles inconvenantes échappées à un homme que le vin avait momentanément privé de sa raison, la chambre d'accusation a commis un excès de pouvoir et une violation de la loi '. »

Elle a été étendue à la qualification des manœuvres frauduleuses qui sont l'un des éléments du délit d'escroquerie. La Cour de cassation, après avoir reconnu aux tribunaux l'appréciation souveraine de ces manœuvres, s'est attribué, comme en matière de délits de presse, le pouvoir d'examiner si les faits incriminės présentent les caractères du délit. Cette doctrine, consacrée par de nombreuses décisions, se trouve nettement résumée dans un arrêt portant « que la Cour de cassation, chargée de réprimer les violations de lois, a nécessairement qualité pour juger la qualification donnée aux faits reconnus; que le jugement de cette qualification est inséparable de celui de l'application de la lõi; qu'il. faut donc que les faits reconnus, les faits qui servent de base à la décision attaquée, soient déclarés dans les arrêts, afin que la Cour de cassation, qui n'a point à les rechercher, à en vérifier la vẻrité, puisse au moins en déterminer les caractères et la moralité dans leur rapport avec la loi pénale; que la décision attaquée, sans rappeler les faits, sans s'expliquer sur ceux constatés par les premiers juges, pour les contredire ou pour les admettre, a relaxé le prévenu, attendu seulement que, s'il résultait des diverses circonstances de la cause que sa conduite n'était pas exempte de tout reproche, néanmoins les faits qu'on lui imputait ne présentaient pas tous les caractères du délit d'escroquerie; qu'une ré1 Cass. 8 mars 1851 (Bull., no 9').

daction si vague, qui ne fait connaître ni les diverses circonstances, ni les faits imputės, ne laisse à la Cour de cassation aucun moyen de se livrer à cette appréciation qui est dans son droit et dans son devoir1. »

Enfin elle a été étendue aux délits d'abus de confiance, d'abus de blanc seing, de contrefaçon industrielle, etc.

2267. Tel est le dernier état de la jurisprudence. Nous avons dù, à raison de la gravité de la question, constater cette jurisprudence par le texte même de la plupart des arrêts qui l'ont établie. Nous allons maintenant essayer de l'apprécier.

Le principe posé par M. le président Barris, si on le renferme dans ses termes généraux, est à l'abri de toute contestation : la limite qui sépare les attributions des chambres d'accusation et celles de la Cour de cassation est celle qui sépare le fait et le droit, l'appréciation des actes incriminés et l'application faite à ces actes des dispositions de la loi. L'appréciation des cours impériales est souveraine; ce qu'elles ont déclaré constitue la vérité judiciaire: la Cour de cassation ne peut connaître du bien ou du mal jugé de leurs arrêts. Elle ne forme point un troisième degré de juridiction. Ses attributions sont définies par l'article 3 de la loi du 27 novembre et 1er décembre 1790: « Le tribunal de cassation annulera toutes les procédures dans lesquelles les formes auront été violées et tout jugement qui contiendra une contravention expresse au texte de la loi. » L'article 7 de la loi du 20 avril 1810 n'a fait que reproduire cette loi : « La justice est rendue souverainement par les cours impériales: leurs arrêts, quand ils sont revêtus des formes prescrites à peine de nullité, ne peuvent être cassés que pour une contravention expresse à la loi. » Mais, si les attributions de la Cour de cassation ont été nettement circonscrites, il importe qu'elle les exerce tout entières et qu'à la suite de distinctions plus ou moins subtiles, le contrôle que, dans l'intérêt de l'unité de l'interprétation de la loi, elle étend sur tous les jugements ne devienne pas illusoire. Elle ne peut pénétrer dans l'appréciation des faits, elle ne peut examiner s'ils sont prouvés ou ne le sont pas, les admettre ou les rejeter; elle s'incline devant la décision des juges quelle qu'elle soit; elle 1 Cass. 6 juin 1840 (Bull., no 163).

2 Cass. 13 sept. 1845 (Bull., no 290); 14 oct. 1854 (no 303).

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