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les tribunaux à énoncer dans leurs jugements les faits qu'ils qualifiaient ou refusaient de qualifier d'escroquerie, et en soumettant toutes ces qualifications à un contrôle efficace, a puissamment contribué à restituer au délit ses vrais éléments.

Enfin, dans toutes les matières où son contrôle lui a semblé nécessaire, dans tous les cas où la loi lui a paru avoir été faussement interprétée, la Cour de cassation s'est réservé d'examiner si les qualifications appliquées par les chambres d'accusation aux faits dont elles déclarent l'existence étaient régulières et constituaient une légale application de la loi pénale. Ainsi, soit que les éléments des crimes et des délits soient ou ne soient pas définis par la loi pénale, l'autorité souveraine des chambres d'accusation s'arrête à leur constatation matérielle; elle cesse d'être souveraine lorsqu'elle s'applique à la relation de ces faits avec la loi pénale, à leur caractère légal, en un mot, à leur qualification.

Il faut donc considérer comme une règle générale que la Cour de cassation est investie, en matière de grand criminel, du droit d'examiner la régularité des qualifications appliquées aux faits incriminės, et par conséquent que toute qualification fausse ou inexacte de ces faits peut donner ouverture à cassation contre les arrêts des chambres d'accusation qui l'ont consacrée.

2268. Cette règle, toutefois, admet deux restrictions: 1° lorsque l'erreur de la qualification n'ôte pas au fait son caractère de crime; 2o lorsque l'erreur, quelle qu'elle soit, est couverte par une déclaration qui écarte en fait toute intention criminelle.

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Un accusé, dans une accusation de parricide, avait fondé son pourvoi sur ce que les éléments du parricide n'existaient pas dans l'espèce la Cour de cassation a déclaré, après avoir reconnu la vérité de cette assertion : « que néanmoins, indépendamment de la qualification de parricide donnée par l'arrêt de mise en accusation à la tentative de meurtre, cette tentative étant un fait qualifié crime par la loi, le pourvoi, d'après l'article 299, était mal fondé, et que, sans approuver la qualification de parricide donnée à la tentative de meurtre, il y avait lieu de le rejeter 1. » Un autre arrêt a également déclaré : « qu'il était sans objet d'examiner si les faits sur lesquels le renvoi devant la cour d'assises 1 Cass. 26 mars 1812 (J. P., tom. X, p. 253).

avait été ordonné par l'arrêt de mise en accusation y avaient été légalement qualifiés de faux en écriture publique; qu'il suffisait que ces faits constituassent un crime pour que l'arrêt fût sous ce rapport en dehors de toute atteinte. » Un arrêt plus récent porte encore: « Sur le moyen tiré, d'une part, de ce que les faits constituant l'usage de la pièce fausse ne seraient pas suffisamment signalés; et de ce que, d'autre part, il ne s'agirait, dans l'espèce, que d'un simple faux en écriture privée et non d'un faux en écriture de commerce : attendu qu'il appartient au

jury de jugement seul de rechercher et constater définitivement les faits incriminés, et à la cour d'assises de déclarer le caractère légal de ceux de ces faits constatés; que les faits à raison desquels le demandeur a été mis en accusation sont qualifiés crimes par la loi rejette". »

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Dans ces trois espèces, la qualification avait aggravé les proportions du crime; mais, en écartant cette aggravation, le crime existait encore, et cela a paru suffire pour le maintien de l'arrêt. On pourrait, à la vérité, faire remarquer que cette aggravation, dénuée de fondement, en élevant d'injustes préventions contre l'accusé, peut lui nuire, et que, dans la première espèce surtout, où il s'agissait, non d'une circonstance aggravante irrégulièrement admise, mais d'une accusation substituée à une autre accusation, le préjudice pouvait être très-grave. La réponse de la jurisprudence est que l'erreur peut dans tous les cas être réparée; qu'il n'existe aucun obstacle à ce que la défense la relève dans le cours des débats et la fasse écarter; que l'accusation, si elle n'est pas fondée dans quelques-uns de ses termes, peut être modifiée par la déclaration ultérieure du jury.

La décision serait la même 1° dans le cas où une circonstance aggravante aurait été, non pas écartée, mais omise dans l'arrêt de renvoi. La raison en est « que, lorsqu'une circonstance aggravante, résultant de l'instruction, n'a pas été appréciée par la chambre d'accusation, cette prétérition ou son appréciation erronée en fait n'empêcherait pas le président de la cour d'assises, si les débats venaient à l'établir, d'en faire la matière d'une question à soumettre au jury; que, sous ce rapport, l'arrêt in

1 Cass. 5 févr. 1819 (J. P., tom. XV, p. 68); et conf. cass. 8 mars 1838 (Bull., no 59).

2 Cass. 20 sept. 1851 (Bull., no 401).

complet de la chambre d'accusation n'en serait pas moins réguJier, puisqu'il aurait saisi la cour d'assises de la connaissance du crime, avec toutes les circonstances qui l'ont accompagné, soit que l'instruction les ait révélées, soit qu'elle ne les ait pas fait connaître1».

2o Dans le cas où l'arrêt aurait admis une circonstance aggravante fondée sur l'âge de la victime, et que la production de l'acte de naissance de celle-ci ferait disparaître; car la chambre d'accusation et la cour d'assises sont seules compétentes pour vérifier cet acte et en faire l'application *.

Mais il n'en serait plus ainsi si l'arrêt de la chambre d'accusation, après avoir reconnu le fait qui constituerait légalement une circonstance aggravante du crime, avait écarté cette circonstance par une décision fondée sur un motif de droit. Dans ce cas, en effet, la décision de l'arrêt aurait pour conséquence d'enlever définitivement à l'accusation, par une interprétation erronée de la loi, l'un des éléments constitutifs de l'acte incriminé. C'est ce que la Cour de cassation a reconnu en déclarant « que, dans ce cas, le procureur général qui, aux termes de l'article 271, ne doit pas porter devant la cour d'assises une accusation autre que celle admise par un arrêt de renvoi, ne pourrait introduire cette circonstance aggravante dans le résumé de l'acte d'accusation sans violer ledit article 271 et l'autorité de la chose contre lui contradictoirement jugée; mais qu'il appartient à la Cour de cassation d'annuler les arrêts des chambres d'accusation pour violation des règles de la compétence, en vertu de l'article 408, et pour fausse interprétation des lois pénales, quant à la qualification légale des faits; que le no 1 de l'article 299 n'est pas limitatif à cet égard, que cet article doit s'interpréter par les attributions ordinaires de la Cour de cassation, et qu'ainsi cet article 299 ouvre au ministère public le recours de droit quand le fait n'a pas été qualifié conformément à la loi3. »

C'est en vertu de cette doctrine que la Cour de cassation a prononcé l'annulation: 1° de l'arrêt d'une chambre d'accusation qui, en prononçant le renvoi d'un accusé devant la cour d'assises pour avoir volontairement mis le feu à un édifice habité, avait

1 Cass. 9 juin 1841 (Bull., no 174).
2 Cass. 1er mars 1838 (Bull., no 53).
3 Cass. 11 juin 1841, cité p. 484.

écarté un second chef d'accusation motivé sur ce que l'édifice était placé de manière à communiquer l'incendie à d'autres bâtiments, en se fondant sur ce que l'accusé n'avait pas prévu cette communication; 2° d'un autre arrêt qui, en renvoyant également devant la cour d'assises un accusé de tentative de viol, avait écarté la circonstance que l'accusé avait autorité sur la victime, en se fondant sur la distinction de l'autorité de droit et de fait

2269. La deuxième restriction, que nous avons déjà énoncée, mais qu'il est utile de mentionner encore, résulte de la déclaration que les faits, quels qu'ils soient, ont été commis sans intention coupable. Cette déclaration, quelque erronée que soit la qualification qui a été donnée aux faits eux-mêmes, la protège contre une annulation; car qu'importe que le caractère reconnu à ces faits ne soit pas leur caractère légal si, commis sans intention de nuire, ils ne peuvent constituer ni crime ni délit ? Cette restriction a été nettement formulée dans un arrêt qui déclare : « que, s'il appartient à la Cour de cassation d'apprécier, au point de vue légal, les qualifications données par les cours aux faits par elles déclarés constants, il est vrai aussi que les chambres d'accusation, investies par la loi du droit d'examiner s'il existe des indices suffisants de culpabilité, sont par cela même investies de celui d'apprécier souverainement et sans contrôle les circonstances qui peuvent dépouiller les faits imputés au prévenu de tout caractère de criminalité, et qu'en fait de crime ou de délit, il n'y a pas de criminalité possible là où le fait matériel poursuivi est dépouillé de toute intention de nuire 3. »

La Cour de cassation s'est peut-être écartée de ce principe dans une affaire d'homicide commis en duel, dans laquelle elle a cassé l'arrêt d'une chambre d'accusation: « attendu que l'arrêt attaqué, après avoir reconnu qua l'ection reprochée aux prévenus constituait un véritable duel, qu'il avait été accepté et réalisé avec l'application des règles suivies en ces malheureuses affaires, que les combattants avaient fait feu l'uu sur l'autre, et qu'il en était résulté une blessure, conclut qu'ils n'avaient pas l'intention 1 Cass. 1er juillet 1852 (Bull., no 215).

2 Cass. 2 mai 1844 (Bull., no 157).

3 Cass. 20 déc. 1844 (Bull., no 408); et conf. cass. 18 juin 1852 (Bull., n° 203).

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de se donner réciproquement la mort, qu'il y a dès lors contradiction entre les prémisses posées par la cour d'appel et les conclusions qu'elle en tire; que les faits retenus par l'arrêt doivent conserver toute leur valeur et qu'ils sont suffisants pour la qualification légale du crime imputé aux prévenus'. Il y a lieu de remarquer que, dans cette espèce, la Cour de cassation ne semble pas s'être bornée à examiner le rapport des faits avec la loi ; ce sont les déclarations en fait de l'arrêt attaqué qui ont fait l'objet de son examen, et c'est parce que ces déclarations lui ont paru contradictoires entre elles qu'elle a cassé. N'a-t-elle pas empiété sous ce rapport sur le domaine des juges du fait? Pouvait-elle écarter la déclaration relative au défaut d'intention, sous prétexte que cette déclaration était contraire à la constatation des faits matériels? Si elle a le droit de juger les qualifications, n'est-ce pas seulement en prenant pour constants les faits reconnus par les arrêts, et dire qu'il y a contradiction dans l'appréciation de ces faits, n'est-ce pas pénétrer dans cette appréciation et se substituer aux juges qni l'ont faite? La chambre d'accusation, après avoir constaté ce fait matériel de l'homicide, avait écarté la volonté de tuer; n'était-ce pas son droit? Et la doctrine implicitement cachée au fond de cet arrêt ne conduirait-elle pas à l'annulation de toutes les déclarations de non-lieu fondées sur le défaut d'une intention coupable ?

2270. A côté du moyen fondé sur ce que le fait n'est pas qualifié crime par la loi, ou sur ce que la qualification qui lui a été donnée est fausse ou inexacte, l'article 299 a placé deux autres moyens de nullité : « 2° si le ministère public n'a pas été entendu ; 3o si l'arrêt n'a pas été rendu par le nombre de juges fixé par la loi. »

Nous avons expliqué précédemment ces deux formes essentielles des arrêts des chambres d'accusation 2. L'article 299 a eu pour objet d'apporter une sanction à ces deux dispositions en fondant le pourvoi sur la violation de ces règles constitutives de la juridiction, et de déterminer les effets de cette violation. Nous l'examinerons plus loin sous ce dernier rapport; nous ne faisons encore qu'énumérer les moyens de nullité.

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Voy. suprà nos 2181 et 2223.

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