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les garanties qu'elle a posées dans l'instruction doivent être livrées à la discrétion du juge et qu'il soit interdit de relever les infractions qui auraient privé l'accusation ou la défense de l'exercice d'un droit légal ou de la protection d'une forme tutélaire. Nous savons que l'esprit de notre Code, qui a réagi en cela, et trop vivement peut-être, contre la législation antérieure, a été de dégager la procédure des nullités que le Code du 3 brumaire an IV avait attachées à tous ses pas. Mais ne serait-ce pas aller d'un excès à un autre excès que de remplacer les nullités trop multipliées de ce Code par un système qui n'en reconnaîtrait aucune? N'y a-t-il pas dans toutes les procédures des règles qui ne sauraient être impunément violées, parce que l'instruction ne peut conduire à la vérité, parce que la justice pénale ne peut conserver son nom qu'à la condition de les observer? Comment admettre que l'accusé, qui n'a connu aucun des actes de l'instruction et qui n'a pu par conséquent en signaler les irrégularités ni devant la chambre du conseil ni devant la chambre d'accusation, soit privé de ce droit de sa défense au moment même où pour la première fois il reçoit communication de cette procédure? Et s'agit-il d'ailleurs d'attacher à ces irrégularités, même aux plus graves, une nullité nécessaire, qui réagisse sur toute l'instruction? Il ne s'agit que d'imposer à la chambre d'accusation, qui constate les résultats de l'instruction, le devoir d'en examiner les actes pour refréner les écarts des juges; il ne s'agit que de soumettre l'arrêt de la chambre d'accusation à l'appréciation prudente et éclairée de la Cour de cassation. Est-ce donc là une sanction trop rigoureuse et est-il à craindre que le cours des procédures en soit trouble?

L'exposé des motifs du Code semble toutefois contraire à cette doctrine : « Un autre changement, dit M. Faure, dont il ne sera pas moins facile de reconnaître les avantages, est de ne commencer un débat qu'avec la certitude qu'il ne sera point annulé par suite de quelque nullité antérieure. Les nullités qui pourront être commises par la cour impériale relativement à l'accusation sont réduites à trois et ne peuvent porter que sur l'arrêt de renvoi à la cour d'assises. L'accusé ou le ministère public trouve-t-il qu'une ou plusieurs de ces nullités existent, il faut qu'il les propose dans les cinq jours à compter de l'interrogatoire. Garde-t-il le silence dans le délai fixé, les nullités sont couvertes. On sera

maintenant certain, lorsque cinq jours seront écoulés sans qu'aucune nullité ait été proposée ni par l'accusé, ni par le ministère public, que tout ce qui est antérieur aux débats est inattaquable, et que, si les autres formes sont bien observées, tout est à l'abri de la cassation'. » Ces paroles de l'orateur du gouvernement s'expliquent par cela que le projet du Code ne fut présenté au Corps législatif que scindé en plusieurs projets successifs : M. Faure avait perdu de vue ou ne connaissait pas encore les articles 408, 413 et 416 qui faisaient partie d'une loi ultérieurement présentée. Il est évident que la pensée de la loi n'a pu être de renfermer le pourvoi dans les termes de l'article 299, puisqu'elle l'étendait de la manière la plus explicite dans l'article 408, puisqu'elle traçait dans d'autres dispositions des règles applicables à tous les arrêts, et puisque, dans quelques textes même, comme dans l'article 234, elle ouvrait contre l'arrêt même de la chambre d'accusation un moyen spécial de nullité. Il est très-vrai que le législateur a voulu que toutes les nullités de la procédure antérieure fussent purgées avant l'ouverture du débat; mais, s'il a limité les délais de l'article 296 aux moyens de nullité déterminés par l'article 299, il n'a point limité ces moyens eux-mêmes. La règle posée par M. Faure est vraie, mais l'argument apporté à son appui est inexact. Nous avons déjà vu que telle est l'interprétation que la Cour de cassation a constamment consacrée. Un arrêt du 7 septembre 1832 déclare : « que l'article 299 et les trois cas qui y sont prévus ne se rapportent qu'aux arrêts de renvoi devant la cour d'assises; que, si à ces arrêts les chambres d'accusation joignent d'autres dispositions d'où pourrait résulter quelque violation de loi, ces dispositions, qui forment des décisions distinctes et séparées, sont soumises au recours des parties, en vertu des règles générales du pourvoi . » Nous avons cité d'autres arrêts rendus dans le même sens. (Voy no 2272.)

2275. La véritable difficulté de la matière est de distinguer, entre les formes dont la violation peut fonder un pourvoi et celles dont l'infraction, quels que soient ses effets, ne peut motiver aucun recours. Ecartons d'abord celles-ci.

L'accusé ne peut, en premier lieu, fonder un moyen de nullité 1 Locré, tom. XXV, p. 572.

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sur l'application plus ou moins abusive qui lui a été faite des mesures d'instruction autorisées par la loi. Le Code s'en est, en général, rapporté pour l'emploi de ces mesures à la prudence et à la conscience du juge d'instruction, qui ne doit en faire usage que dans les cas prévus par la loi et dans l'intérêt de la manifestation de la vérité. On conçoit, d'ailleurs, que l'emploi d'un moyen d'instruction, qui a été mis à la disposition du juge, peut constituer un abus de pouvoir, s'il est inutile, mais ne peut constituer un moyen de cassation. Il ne faut pas confondre les violations du devoir du juge et les violations de la loi : les premières ne relèvent que de sa conscience ou de la juridiction disciplinaire ; les autres seules peuvent ouvrir une nullité. C'est d'après ce principe que la Cour de cassation a successivement jugé : 1o en rejetant le pourvoi du ministère public contre un arrêt de la chambre d'accusation : « que d'après les dispositions du Code d'instruction criminelle, dont tous les articles relatifs à la délivrance du mandat d'arrêt sont conçus en termes purement facultatifs, il ne peut résulter de nullité du refus fait par un juge d'instruction de décerner un mandat »; 2° sur le pourvoi de l'accusé, fondé sur une violation de la défense, en ce qu'il avait été retenu au secret postérieurement à l'ordonnance de la chambre du conseil : « que la mise au secret est une mesure facultative d'instruction, dont la durée comme le motif dépendent des circonstances particulières à chaque affaire; que si cette mesure rigoureuse doit être strictement renfermée dans la limite de l'intérêt de vérité et de justice qui l'a rendue nécessaire, il n'appartient pas à la cour d'apprécier si cette limite a été dépassée; d'où il suit que ce grief ne saurait constituer une violation du droit de défense de nature à donner ouverture à cassation'.

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L'accusé ne peut, en second lieu, fonder un moyen de nullité sur ce que l'instruction n'aurait pas été complète, sur ce qu'elle n'aurait pas été faite à décharge, sur ce qu'il n'aurait eu ni le temps, ni les moyens de préparer sa défense. En effet, il appartient souverainement à la chambre d'accusation d'apprécier s'il y a lieu d'ordonner un supplément d'information, d'accorder aux parties un délai pour préparer leur défense, de leur communiquer les pièces de la procédure. Si elle rejette sur ces divers 1 Cass. 4 août 1820 (J. P., tom. XVI, p. 90).

2 Cass. 10 déc. 1847 (J. crim., tom. XIX, p. 370).

points les demandes, soit du ministère public, soit du prévenu ou de la partie civile, il peut y avoir mal jugé, il n'y a point de violation de la loi; car la chambre n'a fait qu'user de l'une de ses attributions légales '.

C'est d'après ce principe que la Cour de cassation a décidé, dans plusieurs espèces où le pourvoi était fondé sur le rejet de demandes en supplément d'information, que la chambre d'accusation est seule compétente pour apprécier l'utilité d'un complément d'information sur un point quelconque des affaires dont elle est saisie; qu'elle est investie à cet égard d'un pouvoir discrétionnaire, et que l'exercice de ce pouvoir, que la loi n'a point restreint, est pleinement abandonné à la conscience de ses membres. Mais, si le rejet de la demande ne peut donner ouverture à cassation, il ne faut pas étendre cette décision à l'omission qu'aurait commise l'arrêt en n'y statuant pas. Nous reviendrons tout à l'heure sur ce point.

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C'est d'après le même principe que la Cour de cassation a encore jugé 1° dans une espèce où l'accusé prétendait qu'il n'avait pas eu le temps de préparer sa défense : « qu'il n'est pas de la compétence de la cour d'apprécier le temps nécessaire à l'accusé pour préparer sa défense, et que, sous ce rapport, s'il croit qu'il lui est préjudicié, c'est devant la cour d'assises qu'il pourra présenter ce moyen préjudiciel en réclamant un délai 3. » 2o Dans une espèce où le moyen de cassation était tiré de ce que le juge d'instruction n'avait entendu que des témoins à charge et avait refusé de faire comparaître les témoins à décharge proposés par le demandeur: « que la preuve de l'articulation du demandeur ne résulte aucunement de l'instruction; que cette articulation fût-elle établie, elle ne rentrerait dan aucune des conditions spécifiées dans l'article 299, et qu'elle ne constituerait pas un moyen de nullité de l'arrêt attaqué; qu'il appartenait à la chambre d'accusation d'apprécier si l'instruction était ou n'était pas complète, puisqu'elle avait le droit de compléter avant de statuer et qu'elle n'a point usé de ce droit; que si, au surplus, l'accusé persiste à prétendre que l'audition de quelques témoins était utile à sa défense, il pourra les faire assigner à sa requête devant la

1 Voy. suprà no 2144.

2 Voy. les arrêts cités, no 2145.

3 Cass. 3 févr. 1831 (J. P., tom. XXIII, p. 1488).

cour d'assises ou bien en fournir les noms au ministère public, qui pourra les faire assigner à sa requête, s'il juge que leur audition est nécessaire à la défense '. 3o Dans une espèce où l'accusé fondait son pourvoi sur le refus fait à son conseil de la communication des pièces de la procédure pour rédiger un mémoire: <«< qu'il résulte de l'ensemble des dispositions du Code, et particulièrement des articles 302 et 305, que la procédure en matière criminelle doit rester secrète jusqu'au moment où le prévenu, renvoyé devant la cour d'assises, a été interrogé par le président de cette cour, conformément à l'article 293; que le droit de conférer avec un conseil et d'avoir copie ou communication de la procédure ne s'ouvre qu'à cette époque pour l'accusé, et que celui-ci ne peut en exiger l'exercice auparavant; qu'il suit de là que l'arrêt attaqué n'a point violé les articles 217 et 222 en refusant la communication dont il s'agit, lorsqu'elle a été réclamée *. » Enfin, dans une espèce où l'accusé se faisait un grief des retards de l'instruction et de l'insuffisance de la communication qui lui en avait été faite : « Que les retards dont se plaint l'accusé ne peuvent fournir un moyen de cassation, puisque les articles 218 et 219, les seuls qu'il invoque, ne sont point prescrits à peine de nullité; qu'il en est de même de l'insuffisance soit de l'information, soit des communications faites au demandeur, la loi s'en remettant à cet égard à la prudence et à la conscience du juge instructeur 3.

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2276. Ces premiers moyens de nullité écartés, il y a lieu d'examiner quelles sont les infractions des règles de la procédure écrite qui sont de nature à fonder une ouverture à cassation.

Ces infractions ne peuvent résulter que de l'omission ou de la violation des formes qui sont essentielles soit à l'exercice des droits de l'action publique, soit à l'exercice des droits de la défense.

Il y a violation des formes essentielles de l'exercice de l'action publique, soit lorsqu'il n'est pas statué sur les réquisitions du ministère public, soit lorsque les mesures que ces réquisitions ont provoquées sont irrégulièrement annulées. Dans l'une et

1 Cass. 12 mai 1853 (Bull., no 159).

2 Cass. 10 déc. 1847 (J. crim., tom. XIX, p. 370). 3 Cass. 17 févr. 1849 (J. crim., tom. XXI, p. 64).

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