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6° Enfin, à raison de ce que les faits commis sur le territoire étranger ne seraient pas justiciables des tribunaux français'.

2317. Cette jurisprudence est-elle conforme aux principes et aux textes du Code? Faut-il la considérer comme une saine interprétation de la loi?

Il est impossible, en premier lieu, de ne pas trouver bizarre cette règle qui assigne aux arrêts de renvoi deux effets, directement en opposition l'un avec l'autre, suivant qu'ils saisissent telle ou telle juridiction, qui les déclare indicatifs de compétence en face des tribunaux de police et des tribunaux correctionnels et attributifs en face des cours d'assises. Pourquoi cette distinction? Est-ce que les chambres d'accusation n'exercent pas dans ces deux hypothèses le même pouvoir? Est-ce qu'elles n'exercent pas les mêmes fonctions? Est-ce qu'elles sont investies d'une plus grande autorité quand elles saisissent les cours d'assises que lorsqu'elles saisissent les tribunaux correctionnels? Est-ce que leurs arrêts, rendus dans les mêmes circonstances et empreints du même caractère, ne produisent pas les mêmes effets?

Cette contradiction, au moins apparente, a-t-elle été complétement expliquée par la jurisprudence? La formule générale qui déclare les arrêts de la chambre d'accusation tantôt indicatifs et tantôt attributifs de juridiction a-t-elle trouvé dans les arrêts et dans la doctrine une base juridique? La loi a-t-elle voulu attribuer des conséquences différentes aux arrêts de renvoi suivant qu'ils saisissent telle ou telle juridiction? Telle est la question qu'il faut examiner.

Deux arguments principaux sont mis en avant par les arrêts pour justifier la règle qu'ils ont posée l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux arrêts de renvoi en matière criminelle, et la plénitude de juridiction dont sont investies les cours d'assises. Nous ne parlons pas du motif accessoire qui a été tiré de l'article 441 ce moyen extraordinaire que fournit cet article de faire réformer les actes judiciaires qui ne peuvent être attaqués par aucune autre voie doit être maintenu dans ses étroites limites; ce serait à la fois méconnaitre l'esprit de la loi et proclamer l'im

1 Cass, 15 avril 1837 (Bull., no 113).

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puissance des formes ordinaires de la procédure que de l'invoquer comme une voie de recours contre les arrêts des chambres d'accusation.

2318. Quelle est l'autorité des arrêts de renvoi en matière de compétence? C'est là le premier point qui se présente à notre

examen.

Il ne peut, en premier lieu, y avoir de question sérieuse relativement aux arrêts contre lesquels un pourvoi a été dirigé avant l'ouverture des débats. Il est évident que ce pourvoi, s'il a été rejeté, a vidé la question de compétence: cette question, ainsi déférée à la Cour de cassation, a été examinée, elle a été décidée par le rejet, elle ne peut donc être soulevée une seconde fois; il y a sur ce point chose jugée.

Nous supposons donc qu'il n'a point été formé de recours dans le délai légal: ce n'est que dans ce cas que la difficulté peut s'élever. La question est de savoir si le défaut de pourvoi équivaut au rejet du pourvoi, si l'arrêt de renvoi acquiert dans l'un et l'autre cas la même autorité.

En thèse générale, les ordonnances du juge d'instruction et les arrêts de la chambre d'accusation ne sont qu'indicatifs de juridiction. Nous en avons donné précédemment la raison : ces actes, quelle que soit l'autorité dont ils sont revêtus, ne peuvent modifier l'ordre des juridictions; ils ne peuvent imposer à un juge un devoir autre que celui qui lui est imposé par la loi; ils ne peuvent étendre des attributions au delà de leurs limites légales. Le droit de juger sa propre compétence est un droit inhérent aux fonctions de toute juridiction, car tout juge doit constater s'il procède dans le cercle de son pouvoir, puisqu'il ne peut exercer d'autre pouvoir que celui qu'il tient de la loi. De là le droit qu'exercent, en général, toutes les juridictions, lors même qu'elles sont régulièrement saisies, de déclarer leur incompétence. Les arrêts de renvoi à la cour d'assises ont-ils créé une exception à cette règle?

La première objection sort du texte même de l'article 408. Cet article, après avoir admis que la violation des formalités prescrites à peine de nullité doit donner lieu à l'annulation de condamnation rendue par la cour d'assises, soit que la nullité frappe l'arrêt de renvoi ou les débats de la cour d'assises, ajoute que « il

en sera de même dans les cas d'incompétence ». Or ne résultet-il pas de ces termes que le vice de l'incompétence peut, comme la violation des formes prescrites à peine de nullité, devenir la base d'un pourvoi contre l'arrêt de renvoi, même après l'arrêt définitif? N'en résulte-t-il pas que l'arrêt de renvoi contre lequel aucun recours n'a été formé, n'a qu'une autorité provisoire en ce qui touche la compétence, et peut être attaqué encore en même temps que la condamnation elle-même? Telle est l'opinion de M. Merlin: « Que fait l'article 408, dit ce savant magistrat, en plaçant ainsi les cas d'incompétence au nombre de ceux où l'arrêt définitif de condamnation peut être cassé? Bien évidemment il assimile le vice d'incompétence à la violation des formes prescrites à peine de nullité, et par conséquent il décide que ce vice doit entraîner la cassation de l'arrêt définitif, non-seulement lorsqu'il se trouve dans cet arrêt même, mais encore lorsqu'il se trouve dans l'arrêt de mise en accusation et de renvoi devant la cour d'assises1.»

A la vérité, il est de règle et nous avons admis précédemment que le défaut de pourvoi contre l'arrêt de renvoi doit couvrir toutes les nullités de la procédure antérieure. La loi a voulu que les débats ne pussent s'ouvrir que sur un terrain solide et qui ne fût pas miné par quelque nullité secrète : il est possible que les parties, soit pour ne pas retarder le jugement, soit parce qu'elles n'en éprouvent aucun préjudice actuel, n'aient pas d'intérêt à relever les nullités de la procédure avant les débats, et il serait abusif que, gardant le silence à cet égard, quand elles pourraient s'en faire un grief, elles pussent les faire valoir après la condamnation et tenir ainsi en réserve un moyen de faire tomber une procédure dont l'issue ne leur serait pas favorable. Mais cette règle, qui n'est née que des nécessités de la pratique et en luttant, il faut le dire, contre les termes précis de l'article 408, doit-elle s'appliquer au vice résultant de l'incompétence? Toutes les questions de compétence intéressent l'ordre général de la société autant que les parties elles-mêmes; il ne peut dépendre du ministère public et de l'accusé de changer par leur acquiescement l'ordre des juridictions et d'enlever à la justice les garanties spéciales qu'elle trouve dans tels ou tels juges. C'est par ce motif que l'exception d'incompétence peut être proposée en tout état de 1 Quest., vo Incompétence, § 1er, art. 1er.

cause, et c'est par le même motif que les arrêts de renvoi ne sont, en général, qu'indicatifs de juridiction.

M. Mangin, pour établir une exception en ce qui concerne les arrêts de renvoi à la cour d'assises, se borne à invoquer l'article 416, qui ouvre, en général, le pourvoi contre les arrêts de compétence, et il en conclut que ces arrêts ont force de chose jugée. Cet argument est évidemment insuffisant. Si les arrêts de compétence ont force de chose jugée, comment les tribunaux de police et de police correctionnelle peuvent-ils décliner leur autorité? Si ces tribunaux conservent le droit de juger leur propre compétence, après qu'elle a été déjà jugée par les arrêts qui la saisissent, n'est-ce pas que ces arrêts n'ont sous ce rapport qu'une force provisoire? Ils indiquent la juridiction qui leur paraît compétente et la saisissent; mais là se borne leur puissance: cette juridiction conserve, en présence de leur dispositif, la faculté de se déclarer incompétente. Les arrêts de renvoi sont donc définitifs en ce que les juges qu'ils ont indiqués sont saisis de l'affaire; mais ils sont en même temps provisoires en ce que ces juges, après avoir examiné, peuvent se dessaisir. Si l'article 416 a généralement ouvert le pourvoi contre tous les jugements et arrêts qui statuent sur la compétence, ce n'est point, d'ailleurs, parce que ces arrêts sont définitifs, c'est parce qu'un intérêt public s'attache à la stricte observation des règles de la compétence, c'est parce que les parties ont intérêt à attaquer ces actes avant qu'elles soient renvoyées devant les tribunaux indiqués.

Une raison plus spécieuse de la différence que la jurisprudence a établie entre les effets des renvois à la cour d'assises et des renvois à la police correctionnelle peut être puisée dans les articles 296 et 298. L'avertissement solennel que reçoit l'accusé du droit qu'il a de se pourvoir, la mise en demeure où il se trouve placé, ainsi que le ministère public lui-même, de faire valoir les moyens de nullité qui peuvent sortir de l'arrêt de renvoi, sembleraient devoir imprimer à cet arrêt, quand il n'a pas été attaqué, une force plus grande qu'à celui qui renvoie devant les tribunaux correctionnels et de police; et ce te considération acquiert une certaine gravité depuis que la loi du 10 juin 1853 a placé l'incompétence au nombre des moyens de nullité énumérés par l'article 299. Ne pourrait-on pas dire, en présence de ces 1 Tom. II, p. 260.

dispositions, que, si l'arrêt de renvoi en police correctionnelle n'est qu'indicatif, c'est que les parties n'ont pas été mises à même de l'attaquer; que si, au contraire, l'arrêt de renvoi à la cour d'assises est attributif, c'est que les parties ont été spécialement averties de la faculté qu'elles pouvaient exercer? Cet argument, considéré de près, ne nous paraît pas plus décisif que les précédents. Il est clair que l'avertissement ne peut rien ajouter à l'autorité de l'arrêt; si cet arrêt ne porte pas en lui-même force d'attribution, ce n'est pas le défaut de pourvoi, même après l'avertissement, qui pourra la lui donner. Le défaut de pourvoi ne fait que le laisser subsister tel qu'il est; il continue d'indiquer et de saisir la cour d'assises; il ne fait pas autre chose. Et admettons, d'ailleurs, comme l'admet M. Merlin, que l'accusé et le ministère public soient respectivement tenus, sous peine de déchéance, de proposer par voie de cassation avant l'ouverture des débats, dans les délais de la loi, les moyens énoncés dans l'article 299, et parmi lesquels se trouve aujourd'hui l'incompétence, quelle en serait la conséquence? La déchéance du droit de pourvoi laisse, à la vérité, subsister l'arrêt de renvoi; mais cet arrêt en acquiert-il une autorité qu'il n'a pas en lui-même? S'il n'est qu'indicatif de juridiction, change-t-il de caractère? Si les parties ne peuvent plus l'attaquer, la juridiction saisie ne peutelle pas reconnaître son incompétence et se dessaisir? La cour d'assises ne peut-elle pas suppléer au déclinatoire qui n'a pas été proposé et déclarer d'office qu'elle n'a pas de juridiction sur l'accusé?

Il est vrai que M. Mangin objecte ici « qu'il n'est pas au pouvoir de la cour d'assises de se dessaisir, puisqu'elle ne le pourrait qu'en annulant les arrêts de renvoi, soit expressément, soit implicitement, ce qu'elle n'a pas le droit de faire, la Cour de cassation étant seule chargée de statuer sur la validité de ces arrêts. La faiblesse de cette objection a été relevée par M. Leseyllier. Les tribunaux correctionnels, qui ont le droit de juger leur compétence, lors même qu'ils sont saisis par un arrêt de la chambre d'accusation, réforment-ils donc cet arrêt et usurpent-ils le pouvoir de la Cour de cassation lorsqu'ils se déclarent incompétents? Quel est l'effet d'une telle déclaration? 1 Tom. II, p. 260.

2 Tom. II, p. 108, n. 45.

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