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Ce n'est point évidemment d'annuler l'arrêt qui prononce le renvoi, c'est uniquement d'élever entre les deux juridictions un conflit que la Cour de cassation serait appelée à vider.

De ce qui précède il résulte que nous ne trouvons dans la loi aucune disposition qui fasse fléchir en matière criminelle la règle générale qui veut que les arrêts de renvoi soient purement indicatifs de juridiction; que ces arrêts, en matière de crime comme en matière de délit et de contravention, lorsqu'ils n'ont été l'objet d'aucun pourvoi, n'acquièrent pas force de chose jugée quant à l'indication de la juridiction devant laquelle ils renvoient l'affaire; que le défaut de pourvoi ne les revêt point d'une autorité qu'ils n'ont pas en eux-mêmes.

2319. Nous arrivons maintenant au deuxième argument employé par la jurisprudence à l'appui du pouvoir attributif des arrêts de renvoi nous voulons parler de la plénitude de juridiction de la cour d'assises.

Ce n'est point ici le lieu d'exposer les attributions des cours d'assises. Il est certain, et à cet égard il ne peut y avoir de controverse, que cette juridiction commune et ordinaire en matière criminelle est celle qui présente, entre tous les tribunaux répressifs, les plus hautes et les plus sûres garanties à la justice : tel est sans doute aussi le motif, ainsi que l'attestent tous les arrêts, qui a conduit à revêtir les arrêts de renvoi d'une autorité toute fictive: les accusés et la justice elle-même n'ont pas d'intérêt à se soustraire à une juridiction qui leur assure la libre défense et le jury. Mais là n'est pas la question : nous traitons un point de compétence, et ce n'est pas par des considérations plus ou moins plausibles qu'on peut le résoudre.

L'article 231 dispose que, si le fait est qualifié crime par la loi, la chambre d'accusation ordonnera le renvoi du prévenu aux assises. La cour d'assises est donc, en général, compétente pour connaître des faits qualifiés crimes dont l'instruction a été suivie conformément aux règles communes de la procédure criminelle. Cette attribution générale a-t-elle été étendue soit par l'article 251, qui porte qu'il sera tenu des assises dans chaque département pour juger les individus que la chambre d'accusation y aura renvoyés, soit par l'article 271, qui déclare que le procureur général poursuivra toute personne mise en accusation suivant les formes

prescrites par la loi? Évidemment non. Les articles 251 et 271 supposent un renvoi prononcé suivant les formes légales et les règles de la compétence. Dire, comme le fait M. Mangin, qu'il résulte de ces deux articles que la cour d'assises est nécessairement tenue de juger toutes les personnes qui lui sont renvoyées par la chambre d'accusation, quelle que soit leur qualité, quel que soit le caractère du fait qui leur est imputé, c'est ne considérer ces textes que dans leur relation avec les articles qui les précèdent, sans s'arrêter aux règles générales qui s'appliquent à la mise en accusation. Est-ce qu'il peut dépendre de la chambre d'accusation de mettre de côté les conditions légales de tout renvoi aux assises? Est-ce que son arrêt doit être aveuglément appliqué s'il viole les règles de la compétence? Pourquoi donc, dans ce système, la loi aurait-elle établi un double recours dans l'article 299 et dans l'article 408? L'article 220, d'ailleurs, ne porte-t-il pas que, si l'affaire est de la nature de celles qui sont réservées à la haute cour ou à la Cour de cassation, le procureur général doit en requérir le renvoi? La loi qui n'a pas établi une compétence générale pour la cour d'assises n'a donc pas voulu qu'elle pût être, même irrégulièrement, saisie de faits qui ne rentrent pas dans ses attributions.

On a cru apercevoir un autre principe dans l'article 365, qui porte que, si le fait est défendu, la cour prononcera la peine établie par la loi, même dans le cas où d'après les débats il se trouverait n'être plus de la compétence de la cour d'assises » . M. Mangin tire de ce texte la conséquence que la compétence de la cour d'assises s'étend à tous les faits punissables dont elle a été saisie par la chambre d'accusation et qu'on ne peut lui opposer ni l'incompétence matérielle, ni l'incompétence territoriale '. Il nous semble que l'objet de cet article a été principalement de maintenir la compétence de la cour d'assises, lorsque, dans le cours des débats, le fait, éclairé par la discussion, change de caractère, lorsque, par exemple, il descend aux proportions d'un délit ou d'une contravention. Dans ce cas, la cour d'assises, valablement saisie du procès, s'en dessaisirait-elle au moment où elle achève de l'instruire, parce qu'elle découvre une circonstance qui aurait dù motiver son renvoi devant une autre juridiction? Elle le devrait, dit M. Merlin, si l'article 365 ne lui eût 1 Tom. II, p. 259.

pas conféré, pour ne pas prolonger les procédures, le droit de le juger. Et c'est par le même motif que l'article 589 donnait aux cours spéciales, qui cependant n'avaient qu'une compétence restreinte, une attribution analogue. Donc c'est là une exception qui doit être renfermée dans ses termes. Donc si, par exemple, l'exception d'incompétence est soulevée, non point après les débats, mais avant leur ouverture, elle peut être accueillie. Ainsi, supposons que la cour d'assises s'aperçoive, par l'interrogatoire de l'accusé, que le délit est purement militaire, qu'il a été commis soit par un militaire sous les drapeaux, soit par un marin dans un arsenal maritime ou à bord d'un vaisseau de l'État elle peut, elle doit, même d'office, se déclarer incompétente. Quelle est la loi, en effet, qui l'oblige à conserver une affaire qui n'appartient point à sa juridiction? Quel est l'intérêt qui ferait juger par des jurés des faits que le législateur n'a voulu déférer qu'à des juges spéciaux? « Il faut nécessairement, dit encore M. Merlin, de deux choses l'une ou dire, ce qui est regardé comme inadmissible, que le silence de l'accusé et du ministère public peut couvrir l'incompétence des juges ordinaires, lorsqu'il s'agit d'un crime attribué à un tribunal d'exception, ou reconnaitre franchement que l'attribution faite par une loi spéciale à un tribunal quelconque de la connaissance d'un crime plus ou moins grave emporte, pour des juges ordinaires, une incompétence absolue qui ne peut être couverte ni par l'acquiescement de l'accusé, ni par celui du ministère public. »>

Mais qu'importe, au surplus, la plénitude de la juridiction de la cour d'assises? Admettre que sa compétence fût tellement générale qu'elle pourrait juger tous les crimes et tous les délits dès qu'elle en serait saisie, ce ne serait pas résoudre la question que nous examinons, ce ne serait pas reconnaître que l'arrêt de renvoi est attributif de juridiction. En effet, de ce que la cour d'assises ne pourrait se dessaisir, à raison de cette compétence générale, il ne suivrait nullement que l'arrêt de renvoi l'eût saisie définitivement. Elle puiserait son droit de juger non point dans l'attribution qui lui a été faite par l'arrêt, mais dans sa propre juridiction; elle serait liée, non par le renvoi de cet arret, mais par les règles de sa constitution. Il y a plus : que l'arrêt de renvoi soit attributif ou simplement indicatif de compétence, le résultat serait le même la cour d'assises, valablement

saisie, garderait l'affaire, quelle que fût sa nature, qui lui á été renvoyée non point parce qu'elle a été définitivement attribuée, mais parce qué sa compétence universelle lui donnerait le pouvoir de la juger, non point pour obéir à un arrêt passé en force de chose jugée, mais pour obéir au principe même de son orga

nisation.

De toute cette discussion nous ne voulons inférer qu'une seule conclusion c'est que la formule juridique qui déclare que les arrêts de renvoi sont à la fois indicatifs de compétence pour les tribunaux correctionnels et de police, et attributifs pour les cours d'assises, n'est pas rigoureusement exacte; c'est que la règle générale doit être que ces arrêts ne sont dans tous les cas que simplement indicatifs; et enfin, que la juridiction saisie, quelle que soit l'étendue de sa compétence, n'est point définitivement liée par l'attribution qui lui est faite. Nous nous bornons ici à poser cette règle. Nous en déduiróns ultérieurement quelques corollaires.

2320. Nous avons exposé les attributions de la chambre d'accusation en ce qui concerne la constatation des faits incriminés *. Il faut rechercher maintenant quelle est l'autorité des arrêts qui déclarent l'existence de ces faits sur les juridictions qui sont saisies par le renvoi.

Il y a lieu de rappeler d'abord que les ordonnances du juge d'instruction et les arrêts de la chambre d'accusation n'ont de pouvoir que pour déclarer qu'il existe des indices suffisants de la perpétration des faits, et qu'il ne leur appartient point de décider que ces faits existent ou n'existent pas, qu'ils sont ou qu'ils ne sont pas constants (n° 2244). Le juge d'instruction et la chambre d'accusation se bornent à dégager de l'instruction écrite ses conséquences immédiates; ils prononcent sur des présomptions et sur des charges, mais non sur des preuves; ils examinent, d'après les renseignements recueillis par la procédure, s'il est probable que tels faits aient été commis avec telle ou telle circonstance, quel est le caractère apparent de ces actes, enfin à quelle juridiction il appartient de les juger.

1 Voy. conf. Merlin, Quest., vo Incompétence; Leseyllier, n. 453; contr. Legraverend, tom. II, p. 114; Mangin, tom. II, p. 257.

2 Voy. suprà no 2156.

De là il est facile d'induire le caractère de ces décisions. N'ayant d'autre base que l'instruction préalable, qui ne peut fournir que des probabilités, elles ne peuvent qu'indiquer provisoirement la nature présumée des faits incriminés et la juridiction qui doit les juger. Comment pourraient-elles lier cette juridiction qui va faire succéder à cet examen provisoire un examen approfondi; qui, au lieu d'indices, exigera des preuves; qui, à la forme incomplète d'une enquête écrite, va substituer un débat oral et public? N'est-il pas évident que de ce débat peuvent surgir des modifications de faits relevés par la première procédure, que leur physionomie peut varier, que des circonstances nouvelles peuvent se produire ou des circonstances présumées s'effacer? Comment donc pourrait-on admettre que les juges appelés à statuer définitivement sur les faits éclairés par cette discussion contradictoire pussent être enchaînés par les juges qui n'ont connu que les renseignements de l'instruction écrite et qui n'ont été appelés à statuer que pour déterminer la marche de cette instruction? Comment admettre que le tribunal qui a mission d'arriver, non plus à la probabilité, mais à la certitude qui doit déclarer non plus qu'il n'y a ou qu'il n'y a pas d'indices, mais que sa conviction intime est que les faits existent ou n'existent pas, qui enfin, à l'aide d'éléments nouveaux, va remplir une fonction différente et nouvelle, puisse être arrêté par une décision nécessairement provisoire, puisqu'elle ne peut que participer du caractère de l'instruction qui en est la base unique?

Il est donc hors de doute que les ordonnances du juge d'instruction et les arrêts des chambres d'accusation n'ont point l'autorité de la chose jugée relativement aux faits qu'ils déclarent exister ou ne pas exister: leurs constatations de faits sont purement provisoires; elles n'enchaînent pas les juges du fond.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence aussitôt après la promulgation du Code, et cette interprétation n'a jamais varié. La Cour de cassation a déclaré par un premier arrêt « qu'il résulte des dispositions des articles 229, 230 et 231 que les chambres d'accusation des cours ne doivent déterminer leurs arrêts que d'après le plus ou moins d'indices sur l'existence du fait et la culpabilité du prévenu; d'où il suit que les arrêts de mise en accusation ne peuvent jamais avoir l'autorité de la chose jugée relativement aux arrêts des cours d'assises, qui ne sont

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