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rendus que d'après la preuve du fait et la conviction de l'accusé 1. » Et, par un second arrêt : « Que les arrêts des chambres d'accusation n'ont d'autre effet que de statuer sur la mise en accusation des individus qui leur sont renvoyés, et de régler, ou, pour mieux dire, d'indiquer la compétence des tribunaux qui doivent juger au fond; que ces arrêts ne jugent rien définitivement, et qu'ils ne lient nullement les tribunaux ou les cours auxquels le renvoi est fait, lesquels sont investis du droit de prononcer définitivement tant sur la compétence que sur le fond, et sur toutes les circonstances des crimes et délits qui leur sont renvoyės 2. » Nous citerons tout à l'heure d'autres arrêts dans le

même sens.

2321. La règle générale ainsi reconnue, il reste à en déduire ses conséquences. Nous ne ferons que les indiquer, parce que les différents points qu'elles touchent seront développés ultérieurement.

En matière correctionnelle et de police, les tribunaux qui, aux termes des articles 160, 193 et 214, ne sont pas liés par les déclarations en fait de l'ordonnance de la chambre du conseil ou de l'arrêt de renvoi qui les a saisis, puisqu'ils peuvent déclarer que le fait incriminé comme contravention est un délit; que le fait incriminé comme délit est un crime, peuvent, à plus forte raison, modifier les constatations provisoires faites par ces actes. Il faut donc admettre à cet égard que « le jugement de renvoi n'est définitif qu'en ce qu'il saisit le tribunal de police correctionnelle pour statuer sur le fait imputé aux prévenus; mais que, sous tout autre rapport, il est purement préparatoire et ne peut, en aucune manière, lier ce tribunal 3».

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En matière criminelle, il y a lieu par la même raison de décider :

1° Que le président des assises n'est pas tenu, dans la position des questions, de reproduire littéralement les termes employés par l'arrêt de renvoi ; qu'il peut en modifier la formule pour la rendre plus claire ou plus exacte; que la cour d'assises n'est pas liée, quant à la forme et à l'ordre de l'exposition des faits, par le dispositif de cet arrêt *;

1 Cass. 21 nov. 1812 (J. P., tom. X, p. 821). 2 Cass. 10 déc. 1812 (J. P., tom. X, p. 877).

3 Cass. 27 juin 1811 (J. P., tom. IX, p. 418).

4 Cass. 6 févr. 1818 (S. V. 5. 1. 418); 9 nov. 1843 (S. V. 7. 1. 589).

2° Que les questions soumises au jury peuvent même énoncer des faits essentiels à la qualification du crime, et qui ont été omis non-seulement dans l'accusation, mais dans le dispositif de l'arrêt de renvoi lui-même, s'ils se trouvent relatės soit dans les motifs, soit dans l'ordonnance de prise de corps qui fait partie intégrante de cet arrêt 1;

3° Que toutes les circonstances modificatives du fait principal qui résultent des débats doivent, quoique l'arrêt de renvoi ne les mentionne pas, être soumises au jury. La faculté que l'article 338 a donnée d'ajouter aux questions les circonstances aggravantes résultant des débats a été étendue à tous les faits qui se rattachent au fait principal et qui sont nés des débats. Ainsi, la Cour de cassation a admis « qu'une cour d'assises a le droit de poser comme résultant des débats non-seulement toute circonstance aggravante non mentionnée dans l'acte d'accusation, mais encore toute question qui, quoique formulant une accusation différente de la première, en ce sens qu'elle est prévue par une autre disposition de la loi, n'est toutefois que la reproduction du fait primitif envisagé sous un autre point de vue et présentant un autre caractère pénal».

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2322. Cependant ce droit des juges saisis par le renvoi a des limites ils ne sont pas liés par les déclarations de faits, mais ils ne sont saisis que des faits qui ont été l'objet du renvoi; ils peuvent donc modifier toutes les appréciations qui s'appliquent à ces faits, ils peuvent même étendre leur juridiction à tous les faits qui ne sont que la modification et la conséquence nécessaire des faits primitivement incriminés; mais ils ne peuvent aller au delà; ils ne peuvent atteindre dans aucun cas des faits nouveaux qui ne sont pas compris dans l'arrêt de renvoi et qui ne sont pas la dérivation immédiate de ceux qui y sont énoncés.

C'est ainsi qu'ils ne peuvent juger d'autre accusation que celle dont ils sont saisis cette accusation peut se modifier dans le cours des débats, mais elle ne peut changer d'objet; elle peut admettre ou rejeter des circonstances qui en changent la gravité, mais elle s'applique toujours au même fait. La loi permet de

1 Cass. 2 déc. 1825 (S. V. 26. 1. 295), et 28 déc. 1827 (S. V. 28. 1. 192). 2 Cass. 16 mai 1840 (Bull., no 138), et conf. cass. 16 janv. 1818 (Bull., no 7); 22 janv. 1841 (no 19); 10 janv. 1834 (S. V. 34. 1. 666), etc.

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réunir au fait primitif, s'il résulte des débats, tous les faits qui n'en sont que la reproduction, qui le complètent ou le modifient, qui le présentent sous un autre point de vue et avec un autre caractère pénal, qui sont le développement et les corollaires de l'accusation; mais elle ne permet point de substituer à cette accusation une accusation nouvelle, d'y joindre, par conséquent, des faits qui n'y sont pas compris et qui n'en sont pas les modifications. L'article 361 dispose que, a lorsque, dans le cours des débats, l'accusé aura été inculpé sur un autre fait, le président ordonnera qu'il soit poursuivi à raison du nouveau fait Il en serait de même en matière correctionnelle. C'est là un des droits de la défense: le prévenu ne peut être mis immédiatement en jugement à raison d'un fait qui n'a été l'objet d'aucune instruction et sur lequel il n'est pas préparé à répondre.

19.

C'est encore ainsi que, lorsque les faits, même modificatifs du fait principal, ont été, non pas seulement omis ou non mentionnés dans l'arrêt de renvoi, mais formellement écartés par cet arrêt, les juges saisis par le renvoi ne peuvent les reprendre; ils sont couverts par la chose jugée. La Cour de cassation a consacré nettement cette juste restriction en déclarant « que, lorsqu'une circonstance aggravante résultant de l'instruction n'a pas été appréciée par la chambre d'accusation, cette prétérition ou son appréciation erronée en fait n'empêcherait pas le président de la cour d'assises, si les débats venaient à l'établir, d'en faire la matière d'une question à soumettre au jury; que, sous ce rapport, l'arrêt incomplet de la chambre d'accusation n'en serait pas moins régulier, puisqu'il aurait saisi la cour d'assises de la connaissance du crime, avec toutes les circonstances qui l'ont accompagné, soit que l'instruction les ait révélées, soit qu'elle ne les ait pas fait connaître; qu'il n'en saurait être de même d'un arrêt qui, après avoir reconnu le fait qui constituerait légalement une circonstance aggravante, l'aurait cependant écarté en droit par une décision formelle; que, dans ce cas, le procureur géné– ral qui, aux termes de l'article 271, ne doit pas porter devant la cour d'assises une accusation autre que celle admise par un arrêt de renvoi, ne pourrait introduire cette circonstance aggravante dans le résumé de l'acte d'accusation, sans violer ledit article 271 et l'autorité de la chose contre lui contradictoirement jugée 1». 1 Cass. 11 juin 1841 (Bull., no 174).

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Il y a lieu de remarquer, toutefois, que cet arrêt constate que la circonstance avait été écartée par une décision en droit; et, en effet, si la chambre d'accusation s'était bornée à l'écarter parce qu'elle ne lui aurait pas paru suffisamment établie par l'instruction, les juges du fond pourraient, nonobstant cette déclaration, la reprendre, si elle résultait des débats, puisque les déclarations de faits ne les lient pas et que les débats peuvent sans cesse les modifier. Il en est autrement lorsque l'arrêt de renvoi fonde sa décision sur ce que la circonstance relevée ne constitue pas un élément d'aggravation suivant les termes de la loi par exemple, que l'écriture falsifiée n'est ni publique ni commerciale, qu'une clef trouvée n'est pas une fausse clef, que l'incendie d'une dépendance de maison habitée n'est pas l'incendie d'une maison habitée. Ce sont là des points de droit dont les éléments ne peuvent être modifiés par les débats et qui dès lors sont définitivement acquis au procès.

2323. Si les juges saisis par le renvoi ne sont pas liés par les déclarations de faits, ils ne le sont pas davantage par les qualifications données à ces faits.

En effet, ces qualifications sont le résultat de l'appréciation que la chambre d'accusation fait des actes incriminés ou du rapprochement de ces actes, tels que l'instruction les a constatés, avec les textes de la loi pénale. Or, dans le premier cas, l'appréciation des faits ne peut pas avoir plus d'effet que la déclaration qu'il existe des indices de leur existence, puisque cette appréciation se réfère nécessairement à l'état de l'instruction, à la nature des charges recueillies, au caractère des preuves écrites. Et si, dans le second cas, la qualification renferme en quelque sorte une question de droit, puisqu'elle décide que tel fait rentre dans les termes de telle loi, comme l'un de ses éléments est le fait luimême, élément essentiellement variable, il en résulte également que, si les juges saisis ont le droit d'apprécier les faits incriminés autrement que ne l'a fait la chambre d'accusation, ils ont nécessairement le droit de modifier les premières qualifications qui leur ont été provisoirement données.

C'est d'après ces motifs que la Cour de cassation a jugé, 1o en matière correctionnelle et en rejetant un pourvoi fondé sur ce qu'un individu mis en prévention pour outrage public à la pudeur

avait été condamné pour excitation à la débauche: « Que les faits qui ont motivé la condamnation du demandeur sont les mêmes que ceux qui ont motivé sa mise en prévention; que le jugement attaqué s'est borné à les apprécier autrement que ne l'avaient fait les premiers juges; qu'en procédant ainsi, les juges d'appel ont usé de leur droit; qu'ils n'étaient pas plus liés par les qualifications données à ces faits par le tribunal de première instance que ce dernier ne l'était par les qualifications que leur avait attribuées l'ordonnance de mise en prévention; que les uns et les autres étaient dans l'obligation d'apprécier ces faits dans leurs rapports avec les lois pénales et de déclarer leur caractère légal'; » 2o en matière criminelle : « Que les cours d'assises ne sont point liées par les qualifications données aux faits de la prévention dans les arrêts de mise en accusation et dans les actes d'accusation; qu'elles ne le sont pas davantage sur les circonstances atténuantes ou aggravantes désignées par lesdits actes et arrêts, et qu'elles ont le droit de prononcer sur l'application de la loi pénale, d'après toutes autres circonstances résultant des débats qui peuvent avoir modifié le fait de l'arrêt de mise en accusation 2.

2324. La question de savoir si les arrêts de la chambre d'accusation ont l'autorité de la chose jugée, relativement aux exceptions et fins de non-recevoir opposées à l'action publique, doit être examinée dans trois hypothèses :

1° Lorsque la chambre d'accusation a recueilli l'exception; 2° Lorsqu'elle l'a rejetée ;

3o Lorsque, cette exception n'ayant pas été élevée devant elle, elle n'a rien statué à cet égard.

2325. Les arrêts qui admettent les exceptions proposées par la défense ont, en général, force de chose jugée.

Nous avons, en effet, précédemment établi que le prévenu à l'égard duquel la chambre d'accusation a décidé qu'il n'y a lieu à suivre ne peut plus être poursuivi à raison du même fait, à moins qu'il ne survienne de nouvelles charges (n° 1022 et 1023). Il rẻsulte de cette règle, que l'article 246 a consacrée, que les arrêts

1 Cass. 17 janv. 1829 (J. P., tom. XXII, p. 580); et conf. 26 juin 1835 (P., tom. XXVII, p. 377).

2 Cass. 8 août 1817 (J. P., tom. XIV, p. 414).

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