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de non-lieu ont l'autorité de la chose jugée et qu'ils ne la perdent que par la découverte de nouvelles charges.

Or, que l'arrêt de non-lieu soit fondé sur l'insuffisance des charges, ou qu'il soit fondé sur l'admission d'une fin de non-recevoir, telle que l'exception de la chose jugée ou de la prescription, il est évident que le résultat est le même et que, dans l'un ou dans l'autre cas, l'action ou le chef d'action auquel s'applique l'exception est suspendu par l'arrêt.

Il y a toutefois entre ces deux hypothèses cette différence importante que, lorsque le non-lieu est fondé sur l'insuffisance des charges, l'action provisoirement suspendue peut toujours être reprise s'il survient des charges nouvelles, tandis que, lorsqu'il est fondé sur une exception péremptoire, indépendante des charges et de l'instruction, l'action est éteinte et ne peut être reprise dans aucun cas. L'effet de l'exception est d'opposer à la marche de l'action un obstacle insurmontable; le fait incriminé, voilé en quelque sorte par cette raison légale, perd son caractère pénal, et cette décision fondée sur une appréciation de droit, lorsqu'elle n'est pas attaquée devant la Cour de cassation, devient irrévocable. C'est dans ce sens qu'il a été décidé dans une espèce où l'action avait été déclarée, par une ordonnance, éteinte par la prescription: « que cette décision n'avait pas statué sur une question relative à l'état des charges, lorsqu'elle avait été rendue, et, par conséquent, sur une question dont la décision pût être modifiée d'après les nouvelles preuves qui auraient pu être découvertes; qu'elle avait prononcé sur une exception péremptoire, indépendante des charges produites et de celles qui pourraient l'être postérieurement, sur une exception qui anéantissait tout droit de poursuite contre le fait de la plainte, et lui ôtait conséquemment la qualification de crime; qu'il ne pouvait donc y avoir lieu à nouvelles poursuites sur le fait, sous le prétexte de nouvelles charges'. »

Néanmoins, si les charges nouvelles modifient les faits qui servaient de base à l'exception; si, par exemple, le fait auquel la chambre d'accusation a appliqué la prescription de trois ans, en le considérant comme délit, a pris les proportions d'un crime, l'arrêt conservera-t-il l'autorité de la chose jugée? Il nous paraît que, dès que l'exception admise par l'arrêt n'est fondée que sur 1 Cass. 9 mai 1812 (J. P., tom. X, p. 381).

les charges de l'instruction existantes au moment où elle a été proposée, elle ne peut être regardée comme irrévocable, lorsque ces charges, qui sont ses seuls éléments, viennent à se modifier par la découverte de faits nouveaux il y a lieu de distinguer, comme l'a fait l'arrêt que nous avons cité, entre les exceptions qui sont indépendantes des charges produites et celles qui pourraient l'être ultérieurement, et les exceptions qui, fondées sur les charges précédentes, perdent leur appui dès que des charges nouvelles viennent aggraver les premières et changer les faits d'où elles avaient surgi. Dans le premier cas, l'arrêt a force de chose jugée, puisque les éléments qui ont fait accueillir l'exception ne peuvent varier; dans le second, l'arrêt n'a la même autorité que jusqu'à survenance de nouvelles charges, puisque sa décision. n'est pas indépendante des faits et que les faits subissent l'influence de l'instruction.

2326. Les arrêts qui rejettent les exceptions que le prévenu a proposées ont-ils, comme ceux qui les admettent, force de chose jugée ? Le prévenu peut-il faire valoir de nouveau ces exceptions devant la juridiction saisie par le renvoi ?

La même règle doit s'appliquer aux mêmes arrèts. Il est clair que, si la chambre d'accusation peut décider définitivement que telle exception est fondée, elle peut déclarer avec la même autorité qu'elle n'est pas fondée. Tous ces arrêts sont définitifs, parce qu'ils statuent, non sur une simple appréciation de faits, essentiellement provisoire, mais sur le rapport de ces faits avec la loi; et la loi leur a reconnu ce caractère, puisque nous avons vu qu'elle a ouvert contre eux le recours en cassation. La Cour de cassation a jugé, en conséquence, que l'arrêt de renvoi a acquis, en ce qui concerne les exceptions, force de chose jugée « lorsque les fins de non-recevoir invoquées par l'accusé contre les poursuites dirigées contre lui ont été présentées par lui à la chambre des mises en accusation qui les a justement écartées, et qu'il ne s'est pas pourvu contre l'arrêt qui les rejette 1».

Mais ici se présente la même distinction que nous avons faite tout à l'heure. Si le rejet des exceptions proposées par le prévenu n'a été fondé que sur l'appréciation des charges existantes dans l'instruction écrite, les juges saisis par le renvoi ne seront pas. 1 Cass. 20 nov. 1828 (J. P., tom. XXII, p. 364).

liés par cette décision, lorsque les débats, modifiant ces premières charges, lui enlèvent sa base. C'est ainsi qu'il a été reconnu que l'arrêt de la chambre d'accusation qui rejette l'exception de prescription et renvoie l'accusé devant la cour d'assises ne s'oppose pas à ce que cette cour statue de nouveau sur cette question, lorsque le rejet est motivé sur ce qu'il n'existe aucun procès-verbal qui serve de point de départ à la prescription, et que la cour d'assises constate au contraire l'existence d'un tel procès-verbal. En effet, dès que le juge saisi n'est pas lié par les déclarations relatives aux faits incriminés, il est clair que, s'il modifie ces déclarations, toutes les décisions qui y avaient puisé leurs éléments doivent s'écrouler avec elles. Il serait contradic

toire, par exemple, si la chambre d'accusation n'a déclaré que la poursuite n'était point éteinte par la chose jugée qu'en se fondant sur ce que les faits sont essentiellement différents, de maintenir cette décision si le juge du fond reconnaît, d'après les débats, que les faits sont exactement identiques. Il serait contradictoire, quand la chambre d'accusation a décidé que le prévenu a pu être poursuivi sans autorisation, parce que le fait qui lui est imputé n'est pas relatif à ses fonctions, de conserver à cet arrêt son autorité, quand il est ultérieurement reconnu que le prévenu a commis le fait dans sa qualité d'agent du gouvernement. Le droit d'apprécier les faits emporte nécessairement celui de déduire de ces faits, tels que cet examen les a établis, toutes leurs conséquences légales '.

2327. Il reste à rechercher si le prévenu peut faire valoir, devant la juridiction à laquelle il est renvoyé, les exceptions qu'il n'a pas proposées devant la chambre d'accusation.

Nous avons vu qu'il est de règle générale que les nullités de la procédure écrite sont couvertes par le défaut de pourvoi contre l'arrêt de renvoi; car, d'une part, la juridiction saisie par le renvoi serait incompétente pour connaître de ces nullités, c'est-à-dire pour annuler la procédure écrite; et, d'une autre part, on peut admettre que les parties ont pu valablement renoncer à relever des irrégularités de procédure lorsque leur pourvoi n'aurait eu d'autre effet que de retarder le jugement du fond.

1 Cass. 9 oct. 1812 et 15 juillet 1813 (J. P., t. X, p. 739, et t. XI, p. 558). 2 Conf. Mangin, tom. II, p. 274.

Cette règle s'applique-t-elle aux exceptions qui peuvent être opposées à l'action? Le défaut de pourvoi contre l'arrêt de renvoi rend-il le prévenu non recevable à les proposer devant les juges saisis? Il faut décider qu'il peut les invoquer toutes les fois qu'elles tendent à l'extinction ou à la suspension de l'action.

S'il s'agit, en effet, d'une exception qui tend à faire déclarer que l'action publique n'existe plus, telle que l'amnistie, la prescription ou la chose jugée, il est clair que le prévenu ne peut être déchu du droit de la faire valoir. Quel serait le motif de cette déchéance? S'il ne l'a pas proposée devant la chambre d'accusation, s'il ne s'est pas pourvu contre l'arrêt de renvoi, s'ensuit-il que son acquiescement ait pu faire vivre une action qui serait éteinte? Dépend-il de son silence de faire déclarer délit un fait qui a perdu son caractère pénal, ou de faire appliquer une peine qui n'a pas de base légale? Est-ce que le juge qui reconnaît dans le débat que le fait est prescrit ou le fait est prescrit ou qu'il a été l'objet d'un précédent jugement n'a pas le devoir d'appliquer la prescription ou la chose jugée? Or, s'il le peut d'office, s'il n'est pas lié par l'arrêt de renvoi, comment le prévenu n'aurait-il pas la faculté de faire valoir une exception que le jugement peut consacrer? La règle qui répute, à l'égard des nullités de procédure, que le défaut de pourvoi revêt l'arrêt de renvoi de l'autorité de la chose jugée n'est qu'une fiction; car si l'arrêt n'a pas statué sur ces nullités, comment peut-il les couvrir? Mais le motif de cette fiction, créée pour ne pas prolonger les procédures, est que le prévenu peut valablement renoncer à les faire valoir. Il n'en peut être ainsi des exceptions péremptoires, puisqu'elles sont fondées, non pas seulement sur l'intérêt du prévenu, mais sur l'intérêt général de la société, et que, par conséquent, sa renonciation ne peut les anéantir; elles coexistent, pour ainsi dire, avec le fait qu'elles frappent; elles lui impriment un caractère nouveau, et il n'est plus permis à la justice de faire abstraction de l'altération qu'il a subie.

S'il s'agit d'une exception qui tend non plus à l'extinction de l'action publique, mais qui ait pour but de la tenir seulement en suspens ou de la faire déclarer non recevable quant à présent, telle que le défaut de plainte d'une partie lésée, le défaut d'autorisation si l'inculpé est fonctionnaire public, la question d'état au cas de poursuite pour suppression d'état, l'absence d'une preuve

littérale dans les délits résultant de la violation d'un contrat, la décision doit-elle encore être la même? Il faut distinguer entre les exceptions qui se réfèrent à la violation d'une forme de la procédure et celles qui ont pour objet la prohibition d'une preuve. Le législateur n'a pas voulu, par des motifs d'intérêt général, qu'en matière d'injures l'action pût être exercée sans une plainte de la partie lésée; que lorsqu'un fonctionnaire est inculpé d'un délit relatif à ses fonctions il pût être mis en jugement sans autorisation; mais ce sont là des formes dont la violation est couverte par le défaut de pourvoi contre l'arrêt de renvoi. Il n'en est plus ainsi lorsqu'au cas de crime qui tend à modifier l'état civil d'une personne on peut arriver par une poursuite criminelle à trancher la question d'état, ou lorsqu'il est possible de détruire des contrats par une preuve testimoniale. Ces règles, qui tiennent à l'ordre social, peuvent-elles être laissées à la disposition d'un prévenu? Parce qu'il ne les aura pas opposées devant la chambre d'accusation, parce qu'il n'aura pas formé de pourvoi contre l'arrêt de renvoi, s'ensuivra-t-il que les juges saisis, qui constateront qu'elles sont applicables au procès, ne pourront pas les appliquer? La renonciation du prévenu permet-elle de modifier les conditions légales de l'action publique et les dispositions de la loi relatives à la preuve des actes?

Il faut donc tenir pour constant qu'en matière d'exceptions, comme en matière de compétence, l'arrêt de renvoi, lorsqu'il n'a été frappé d'aucun pourvoi dans le délai de la loi, n'acquiert pas dans tous les cas force de chose jugée: cette autorité ne lui appartient qu'en ce qui concerne les nullités de procédure et la saisine de la juridiction devant laquelle il ordonne le renvoi; mais si cette juridiction est tenue d'examiner l'affaire, si elle ne peut annuler la procédure à raison des violations de formes qu'elle y découvre, elle conserve le droit et de juger sa propre compé tence et d'apprécier les exceptions qui peuvent éteindre ou suspendre l'action dont elle est saisie.

Cette doctrine, en ce qui touche du moins les exceptions, à été admise par la jurisprudencé. Un accusé de bigamie ayant pour la première fois contesté devant la cour d'assises l'existence d'un premier mariage, cette cour déclara surseoir jusqu'à ce que cette question eût été vidée par les tribunaux civils, et le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté, « Attendu qu'à l'ouverture des débats devant

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