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ciale réservait à un autre juge. Tels étaient les juges des seigneurs, les prévôts ou châtelains royaux, les baillis et sénéchaux, et les cours de parlement.

Les juges extraordinaires étaient ceux qui ne connaissaient que de certains crimes qui leur avaient été spécialement déférés par les ordonnances. Tels étaient les prévôts des maréchaux, les officialités, les présidiaux et lieutenants criminels de robe courte, les juges des élections, monnaies et gabelles, les juges des eaux et forêts, la chambre des comptes, le grand conseil, le lieutenant général de police, les juges de l'amirauté, les juges de la connétablie, les juges militaires, etc.

Cette distinction, qui, appliquée dans une certaine mesure, est inhérente à la nature des choses, a été maintenue dans notre législation nouvelle; mais elle a changé de limites. La plupart des juridictions spéciales qui viennent d'ètre énumérées ont disparu : les prévôts des maréchaux, des lieutenants criminels de robe courte, les juges des élections, des eaux et forêts, des monnaies, etc., ont été remplacés par les juges communs, et leurs attributions ont passé à ces derniers. C'est là un progrès notable de la législation : l'application des règles du droit commun aux délits réputés spéciaux, les juges ordinaires substitués aux juges extraordinaires; car c'est dans l'autorité des juges ordinaires, c'est dans l'application du droit commun que la justice trouve ses plus solides garanties. Il est cependant quelques catégories d'infractions qui, par leur caractère tout à fait spécial et par les conditions apportées à leur incrimination, doivent sortir des attributions des tribunaux ordinaires. Nous en parlerons tout à l'heure.

La ligne qui sépare les tribunaux ordinaires et les tribunaux d'exception est facile à tracer. Les tribunaux ordinaires sont ceux qui connaissent, dans les limites de leur juridiction, de toutes les infractions punissables, hors celles qui ont été exceptionnellement attribuées à d'autres juges; les tribunaux d'exception sont ceux qui ne connaissent que de certaines matières qui ont été distraites de la juridiction ordinaire pour leur être attribuées. Les premiers ont, dans le cercle de leur pouvoir, une juridiction universelle, elle embrasse toutes les infractions, quelle qu'en soit la nature, quels qu'en soient les auteurs, pourvu qu'elles aient la même qualification et qu'elles soient frappées des mêmes peines; les autres n'ont, au contraire, qu'une juridiction restreinte qui ne comprend

qu'une seule classe d'infractions'. Dans notre législation les juges ordinaires sont les tribunaux de police, les tribunaux correctionnels et les cours d'assises; les juges d'exception sont la haute cour de justice, les conseils de guerre, les tribunaux maritimes, les conseils de justice, les conseils de discipline, les tribunaux consulaires, etc.

Dans ce chapitre, pour apporter dans l'exposé de cette matière une clarté plus grande, nous ne nous occuperons que des tribunaux ordinaires; son objet, en effet, est le développement des règles générales de la compétence les tribunaux extraordinaires ne sont que des exceptions à ces règles; nous examinerons ces exceptions dans le chapitre suivant.

:

2331. Les tribunaux de police sont les juges ordinaires des matières de police. Ils connaissent de toutes les contraventions dont la peine n'excède pas cinq jours d'emprisonnement et quinze francs d'amende. C'est là la limite de leur compétence.

Les tribunaux de police, quand ils sont présidés par le juge de paix, connaissent:

1o Des contraventions commises dans la commune chef-lieu de canton;

2o Des contraventions dans les autres communes de leur arrondissement, lorsque, hors le cas où les coupables auront été pris en flagrant délit, les contraventions auront été commises par des personnes non domiciliées ou non présentes dans les communes, ou lorsque les témoins qui doivent déposer n'y sont pas résidants ou présents;

3o Des contraventions à raison desquelles la partie qui réclame conclut, pour ses dommages-intérêts, à une somme indéterminée, ou à une somme de 15 francs;

4o Des contraventions forestières poursuivies à la requête des particuliers;

5o Des injures verbales;

6o Des affiches, annonces, ventes, distributions ou débits d'ouvrages, écrits ou gravures, contraires aux mœurs ;

1 Voy. Dumoulin ad lib. III Cod. tit. XIII; Noodt, De jurisd. et imp., lib. II, cap. 12; Loyseau, Des offices, tom. I, p. 88; Henrion de Pansey, De l'aut. jud., tom. I, p. 374.

2 Cod. pén., art. 1, 465 et 466.

7° De l'action contre les gens qui font le métier de deviner et pronostiquer, ou d'expliquer les songes. (Art. 139 C. d'instr. cr.)

Ils connaissent encore des contraventions aux dispositions de la loi du 22 mars 1841, relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers.

Ils connaissent enfin, mais concurremment avec les maires, de toutes les contraventions passibles des peines de police commises dans l'étendue du canton. (Arr. 140 C. instr. cr.)

Les tribunaux de police présidés par les maires connaissent, concurremment avec les juges de paix, de toutes les contraventions de police commises dans l'étendue de la commune par des personnes qui y résident ou qui s'y trouvent, sauf celles qui sont exclusivement attribuées aux juges de paix par l'article 139 du Code d'instruction criminelle.

Enfin, les uns et les autres, si leur audience a été troublée par un tumulte accompagné d'injures ou voies de fait, peuvent, séance tenante et immédiatement, appliquer, si les faits ne constituent qu'une contravention, les peines de police sans appel, et, s'ils constituent un délit, les peines de police correctionnelle à la charge de l'appel. (Art. 505 C. instr. cr.) S'il s'agit d'un crime commis à leur audience, ils se bornent, après avoir fait arrêter le délinquant et dressé procès-verbal des faits, à renvoyer les pièces et le prévenu devant les juges compétents. (Art. 506.) Nous ne faisons du reste qu'indiquer ici les limites d'une compétence qui sera définie et précisée plus loin (livre VI).

2332. Les tribunaux correctionnels, qui sont les juges ordinaires des faits qualifiés délits par la loi, connaissent :

1° De toutes les infractions, qu'elles soient qualifiées délits ou contraventions, dont la peine excède cinq jours d'emprisonnement ou 15 francs d'amende. (Art. 179 C. instr. cr.)

2o De tous les délits forestiers qui sont poursuivis à la requête de l'administration forestière, quelle que soit la peine applicable. (Art. 179 C. instr. cr. et 171 C. for.)

3° Du fait d'exercer la médecine, la chirurgie et l'art des accouchements sans y être autorisé : ce fait, quoiqu'il ne soit passique d'une amende de police, a été spécialement attribué à la juridiction correctionnelle par l'article 55 de la loi du 19 ven

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tôse an XI.

4o Des contraventions de police dont ils se trouvent régulièrc ment saisis lorsque ni le ministère public, ni la partie civile ne demandent le renvoi devant le tribunal de police. (Art. 192 C. instr. cr.)

5° De tous les crimes imputés à des individus âgés de moins de seize ans, qui n'ont pas de complices présents au-dessus de cet âge, lorsque ces crimes ne sont pas punis de mort, des travaux forcés à perpétuité, de la déportation et de la détention. (Art. 63 C. pen.) Ces indications seront développées dans le livre VII.

2333. Les cours d'assises, qui sont les juges ordinaires en matière de grand criminel, connaissent :

1° De tous les faits qualifiés crimes par la loi, c'est-à-dire que la loi punit de peines afflictives ou infamantes (art. 231 C. instr. cr. et 1 C. pén.), sauf les cas où l'accusé a moins de seize ans et pas de complices présents plus âgés. (Art. 68 C. pén.)

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2o De tous les faits qualifiés délits ou contraventions dont elles se trouvent régulièrement saisies, soit par suite de l'indivisibilité des procédures ou de la connexité des faits. (Art. 226 C. instr. cr.)

3o Des faits qui, quoiqu'ils aient paru, d'après l'arrêt de renvoi, rentrer dans les attributions de la cour d'assises, se trouvent, d'après les débats, n'ètre plus de sa compétence. (Art. 365 C. d'instr. cr.)

2334. De cette dernière disposition la jurisprudence a tirẻ la conclusion que les cours d'assises étaient investies de la plénitude de juridiction en matière criminelle; qu'elles pouvaient par conséquent connaître, lorsqu'elles s'en trouvaient saisies par l'arrêt de renvoi, de tous les faits punissables, quelle que fût la qualification de ces faits, et lors même qu'ils auraient été attribués par la loi à une juridiction spéciale. Nous avons déjà apprécié la règle qui a servi de base à cette théorie; nous avons vu que les arrêts de renvoi, ne liaient pas nécessairement la cour d'assises, qu'ils n'étaient à son égard, comme à l'égard des autres tribunaux, qu'indicatifs de juridiction. (Voy. n° 2319.) Il faut examiner maintenant si la cour d'assises, qui n'est pas liée par l'arrêt de renvoi, est liée par l'étendue de sa propre juridiction, si la généralité de cette juridiction lui permet de se déclarer incompétente, lorsqu'elle reconnaît que les faits dont elle est saisie appartiennent à des juges spéciaux.

Il résulte de l'article 365 que la cour d'assises demeure compétente toutes les fois que, dans les débats, les faits perdent leur caractère de crime pour revêtir celui d'un délit ou d'une contravention: la loi n'a pas voulu que cette juridiction, qui présente à la justice des garanties plus puissantes que toutes les autres, se dessaisit par cela seul que l'examen des faits leur enlève une partie de leur gravité; le prévenu n'a point à se plaindre, puisque sa défense est plus complète et plus assurée qu'elle ne pourrait l'être devant le tribunal correctionnel ou devant le tribunal de police. C'est par ce motif qu'il a été jugé avec raison: « que la loi, en attribuant dans certains cas aux tribunaux correctionnels la connaissance des crimes commis par des individus âgés de moins de seize ans, n'a point ordonné aux cours d'assises de se déclarer incompétentes lorsque ces individus seraient renvoyés devant elles par un arrêt de mise en accusation'. »>

2335. Il en résulte encore que la cour d'assises doit également maintenir sa compétence lorsqu'elle reconnaît, d'après les débats, qu'elle n'est pas le juge du lieu du crime, du domicile de l'accusé ou du lieu de son arrestation. Les termes de l'article 365 sont généraux et ne distinguent point entre l'incompétence ratione loci et l'incompétence ratione materiæ. Cette interprétation s'appuie d'ailleurs sur ce qu'il serait contraire à la bonne administration de la justice qu'une affaire débattue et appréciée par une cour d'assises fût renvoyée à une autre cour, par cela seul que, dans le cours des débats, elle s'apercevrait qu'elle n'est pas le juge du lieu. Rigoureusement elle devrait se déclarer incompétente, et la loi l'a pensé ainsi, puisqu'elle a cru devoir établir une exception à cette règle. Mais, aux termes de cette exception même, sa compétence est prorogée lorsqu'elle aperçoit, dans le cours des débats, que le fait n'appartient point à son territoire : l'article 365 couvre la nullité; elle ne peut plus être invoquée après que la cour a commencé les débats. Plusieurs arrêts ont jugé ce point. Nous citerons un arrêt ainsi conçu : « Sur le moyen tiré de ce que la cour d'assises de l'Allier était incompétente: attendu que nonseulement l'accusé n'était ni domicilié ni résidant dans le dépar

1 Cass. 13 juillet 1827 (S. V. 27, 1, 5279); 14 sept. 1827 (S. V. 28. 1. 113); 17 janv. 1828 (Bull., no 24); 5 juillet 1832 (Bull., no 351).

2 Cass. 22 janv. 1819 (J. P., tom. XV, p. 27); 19 oct. 1820 (J. P., tom. XVI, p. 169); 4 déc. 1823 (J. P., tom. XVIII, p. 242).

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