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LIVRE CINQUIÈME.

DE LA MISE EN PRÉVENTION ET EN ACCUSATION

ET

DU RÈGLEMENT DE LA COMPÉTENCE.

CHAPITRE PREMIER.

EXAMEN DE L'INSTRUCTION ÉCRITE.

2008. Objet de ce livre.

2009. Institution d'une juridiction préliminaire pour examiner les actes de l'instruction écrite.

§ I. Formes de cet examen dans l'ancienne législation.

2010. Formes de cette juridiction préliminaire dans la législation romaine. 2011. Ses formes dans notre ancien droit.

§ II. Institution du jury d'accusation.

2012. Source du jury d'accusation.

2013. Formes et attributions du grand jury anglais.

2014. L'Assemblée constituante établit le jury d'accusation. Motifs de cette institution.

2015. Ses formes et ses attributions dans la loi du 16-29 septembre 1791.

2016. Modifications qui lui sont imposées par la loi du 7 pluviôse an IX.

§ III. Institution des chambres du conseil et d'accusation.

2017. Projet du Code sur le jury d'accusation.

2018. Suppression de ce jury.

2019. Première idée de l'institution de l'information par le tribunal et de l'accusation par la cour d'appel.

2020. Discussion du conseil d'État et adoption en principe du pouvoir d'accuser conféré

aux cours impériales.

2021. Premier projet préparé à cet égard par la section de législation du conseil d'État. 2022. Deuxième projet. Création de la chambre du conseil.

2023. Troisième projet dont les dispositions ont été définitivement adoptées. 2024. Système de mise en prévention et de mise en accusation consacré par le Code. 2025. Modifications apportées à ce système par la loi du 17 juillet 1856.

§ IV. Examen de cette juridiction.

2026. Nécessité d'une juridiction préliminaire pour décider s'il y a lieu à prévention ou

accusation,

2027. Cette juridiction doit-elle être composée par des jurés ? 2028. Examen des avantages et des vices du grand jury anglais.

2029. Avantages et vices du jury d'accusation aux États-Unis.

2030. Critiques auxquelles a donné lieu le jury d'accusation en France.

2031. Les jurés sont-ils aptes, d'après leur caractère général, à prononcer sur les mises

en accusation?

2032. Apportent-ils dans cette mission spéciale des garanties suffisantes à la justice? 2033. Appréciation des motifs de sa suppression.

2034. L'institution des chambres du conseil et d'accusation a été une conséquence de la procédure écrite.

2035. Cette double juridiction substituée au jury d'accusation a-t-elle protégé avec la même efficacité les intérêts qu'une instruction peut inquiéter?

2036. Appréciation du caractère de cette institution et de ses effets.

2008. Nous avons vu dans le livre précédent que l'instruction écrite a deux phases successives :

L'instruction proprement dite, qui comprend tous les actes auxquels le juge d'instruction procède pour constater les faits qui sont l'objet de la poursuite, rechercher et vérifier les indices et les preuves, placer sous la main de la justice les agents inculpés et saisir les pièces de conviction;

Et l'examen préliminaire de cette instruction, qui commence aussitôt qu'elle est close et qui a pour objet : 1o d'apprécier la gravité des indices et des preuves qu'elle a recueillis; 2o de déterminer le caractère juridique des faits constatés; 3o de désigner, s'il y a lieu, la juridiction compétente pour en connaître et les juger.

C'est cet examen préliminaire des actes de l'instruction qui fait l'objet du présent livre.

Les formes de la mise en prévention et de la mise en accusation, les règles de cette procédure préparatoire, les attributions diverses des juges d'instruction et des chambres d'accusation, enfin les principes qui régissent la compétence des différentes juridictions criminelles, telles sont les matières qui rentrent dans ce cadre, matières importantes et difficiles sur lesquelles notre Code ne contient que des prescriptions insuffisantes et que ni la doctrine ni la jurisprudence n'ont encore complètement élaborées.

Nous abandonnons momentanément l'ordre des articles du Code, que nous avons fidèlement observé jusqu'ici, pour suivre l'ordre logique de notre sujet. Le Code d'instruction criminelle, par une idée bizarre dont il serait difficile de se rendre compte si l'on n'en trouvait le germe dans le Code du 3 brumaire an IV,

a divisé dans deux livres distincts la mise en prévention et la mise en accusation, qui ne sont que les deux degrés d'une même juridiction; et, par suite de cette division, il a réellement scindé en deux parties l'instruction écrite, la délaissant avant qu'elle soit complète, pour régler la juridiction des tribunaux de police et des tribunaux correctionnels, et la reprenant pour la compléter, après avoir constitué et réglementé ces tribunaux. Une méthode exacte veut que toute la matière de l'instruction soit épuisée avant d'aborder celle du jugement. Nous continuerons donc, après avoir exposé les actes de l'instruction, d'examiner les suites dont ces actes sont susceptibles, les conséquences qui peuvent y être attachées, en un mot, les règles de l'accusation et de la compétence, qui n'en sont que les corollaires; et ce n'est qu'après cet examen que nous arriverons à la procédure définitive qui s'établit à l'audience des tribunaux de police, des tribunaux correctionnels et des cours d'assises.

2009. L'institution d'une juridiction pour examiner les actes de l'instruction écrite et pour en régler le cours est une des plus belles créations de la procédure criminelle. Cette juridiction est la principale base de la justice pénale et la plus forte garantie de la liberté civile.

Son but, en effet, en appréciant tous les documents que l'instruction a rassemblés et qu'elle lui livre, est de rechercher, non point encore si les faits incriminés existent réellement, mais s'il y a présomption suffisante qu'ils existent et si, en supposant cette existence, ils seraient punis par la loi; non s'il y a lieu de frapper des coupables, mais s'il y a lieu de mettre des prévenus en accusation; non, en un mot, si la procédure fournit des éléments suffisants pour juger, mais si les éléments qu'elle contient sont assez graves pour motiver son renvoi devant les tribunaux compétents.

Ainsi, cette juridiction, comme une puissante barrière élevée entre l'instruction et les juges du fond, arrête et rejette toutes les poursuites qui sont dénuées de fondement, toutes les informations qui ne sont pas établies sur de graves indices ou sur des preuves, toutes les procédures témérairement commencées et dont la continuation constituerait un abus judiciaire; elle ne laisse arriver au seuil de la justice que les préventions qui, sérieusement éla

borées, portent en elles-mêmes la forte présomption que les faits incriminės existent, qu'ils sont punissables, et que les inculpés en sont les auteurs.

Or, les effets de cet examen préalable de l'instruction sont faciles à constater, soit au point de vue de la justice, soit au point de vue des droits civils de la cité. L'un des plus graves intérêts de la justice est que les poursuites qu'elle commence n'aboutissent pas à des acquittements qui ne peuvent qu'affaiblir son autorité, soit qu'ils soient motivés sur l'insuffisance des preuves ou sur la conviction de l'innocence des inculpés. Si elle ne peut les fonder sur une certitude qu'elle n'acquiert que dans le débat qui précède le jugement, chacun de ses actes doit du moins porter l'empreinte d'un mûr examen, d'une recherche consciencieuse : elle ne doit autoriser une accusation que lorsqu'elle peut prévoir qu'il y a lieu de punir. C'est là l'une des conditions de sa force, puisque chacune des présomptions qu'elle exige pour admettre une prévention ne fait qu'attester la prudence de ses délibérations, puisque chacune des mesures qui préparent ses jugements les fait approcher plus près de la vérité. C'est là aussi l'une des conditions de la liberté civile; car l'un des plus grands intérêts des citoyens est qu'ils ne puissent être inquiétés par des poursuites légèrement exercées, qu'ils aient un recours contre les premiers actes d'une instruction que des apparences trompeuses ont pu motiver, et qu'ils ne soient mis en jugement qu'avec des formes qui les garantissent contre les erreurs ou les précipitations des officiers de la police judiciaire. C'est une chose grave que la mise en accusation d'un citoyen: elle le frappe dans sa réputation, dans sa fortune, presque toujours dans sa liberté; elle lui inflige en quelque sorte un premier châtiment avant qu'il soit certain qu'il mérite un châtiment. Il a donc vis-à-vis de cette accusation le même droit que vis-à-vis du jugement même, le droit de se défendre, le droit de faire valoir toutes ses exceptions et ses fins de non-recevoir contre la poursuite, le droit de n'être renvoyé à l'audience pour être jugé qu'après qu'un premier jugement a examiné les charges qui pèsent sur lui et les a déclarées assez graves pour mériter un débat public. Enfin, cet examen préliminaire est l'unique frein de l'instruction, l'unique limite de la puissance presque illimitée que la loi a attribuée au droit de poursuivre et au droit d'instruire. S'il est utile, pour qu'aucune

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