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tement de l'Allier, mais que le délit poursuivi, en supposant qu'il existât, aurait été commis à Paris, où l'accusé a été arrêté; — attendu que le fait poursuivi constituait un crime de la compétence des cours d'assises; qu'il a été jugé par une cour d'assises; qu'il ne s'agit donc pas ici d'un moyen d'incompétence absolue, ou d'une atteinte portée à l'ordre public et à l'ordre des juridictions; que le demandeur se plaint seulement de ce que l'affaire a été instruite devant des juges qui n'auraient pas dù en connaître, sous le rapport du lieu et de la personne; mais que ce n'est là qu'un moyen d'incompétence relative qui a pu être couvert par le silence de l'accusé; rejette'. » Nous examinerons tout à l'heure si la distinction faite par cet arrêt entre l'incompétence absoluc et l'incompétence relative est fondée; mais, ce motif écarté, la solution se soutient au fond par cela seul que le fait de la compétence de la cour d'assises avait été jugé par une cour d'assises, et que l'incompétence n'avait pas été relevée avant qu'elle eût commencé les débats.

2336. Il résulte enfin de la même règle que la cour d'assises ne cesse pas d'être compétente lorsque les débats révèlent que l'accusé a la qualité soit d'agent du gouvernement, soit de fonctionnaire de l'ordre judiciaire, et que la mise en jugement n'a pas été précédée des formes prescrites par l'article 75 de la loi du 22 frimaire an VIII, ou par les articles 479 et suivants du Code d'instruction criminelle. A la vérité, la garantie qui protége ces fonctionnaires n'est point un privilége personnel; elle constitue, ainsi que nous l'avons démontré (no 936), une exception d'ordre public qui peut être proposée en tout état de cause. Mais cette exception rentre dans les formes de la procédure qui sont réputées régulières lorsqu'aucun pourvoi n'a été formé contre l'arrêt de renvoi. L'article 271 porte, d'ailleurs, que le procureur général poursuivra toute personne mise en accusation suivant les formes prescrites par le Code, et l'article 365 ne permet pas, en général, à la cour d'assises de surseoir lorsqu'elle est régulièrement saisie par un arrêt de renvoi.

2337. Maintenant, faut-il étendre les termes de l'article 365 plus loin encore? Faut-il admettre que la cour d'assises demeure compétente lors même qu'elle reconnaît que le fait dont elle est 1 Cass. 24 déc. 1840 (Bull., no 364).

saisie est un délit spécial qui a été attribué par la loi à des juges spéciaux? La Cour de cassation a jugé, lorsque les cours spéciales existaient encore, que les cours d'assises ne devaient point se dessaisir des délits attribués à ces juges exceptionnels et qui avaient été renvoyés devant elles : « Attendu que la juridiction. commune appartient aux cours d'assises; que cette juridiction est générale; que les cours spéciales n'exercent au contraire qu'une juridiction d'exception sur les cas ou sur les personnes que la loi a soumis à des formes particulières d'instruction et de jugement; que les cours impériales sont investies du droit de saisir la juridiction commune ou la juridiction spéciale, d'après les cas d'exception déterminés par la loi; qu'il s'ensuit qu'une cour d'assises ne peut, sans méconnaître les règles de la généralité de sa compétence, refuser d'instruire et de juger tout procès criminel qui lui est renvoyé par un arrêt de la cour impériale passé en force de chose jugée, quelles que soient les circonstances qui pourraient faire rentrer le fait dans les attributions d'une cour spéciale, et à quelque époque que ces circonstances aient été connues; que cette obligation régulière de la généralité de sa juridiction est consacrée dans l'article 365; qu'elle est aussi une conséquence de l'article 589'. » Cette solution était parfaitement fondée en droit, puisque les faits communs dont le jugement avait été dévolu aux cours spéciales n'étaient qu'une branche détachée des attributions générales de la cour d'assises, et que cette cour, quand elle en était saisie, se trouvait dès lors compétente pour y

statuer.

Mais cette jurisprudence devait-elle être étendue aux faits spéciaux, tels que les délits militaires, pour le jugement desquels la loi a institué des juges spéciaux? Les motifs de la Cour de cassation, qui n'a peut-être pas assez remarqué les différences qui séparent ces hypothèses, sont : « que les cours d'assises sont investies d'une juridiction générale; que, d'après l'article 226, elles peuvent connaître des délits dont elles sont légalement saisies; qu'aux termes de l'article 365, elles doivent prononcer sur les faits déclarés par le jury les peines établies par la loi, soit que ces peines soient afflictives et infamantes, ou seulement infamantes, soit qu'elles se réduisent à un emprisonnement ou à de

1 Cass. 11 mars 1813 (J. P., tom. XI, p. 192; et conf. 12 févr. 1813 et 26 janv. 1815 (S. 15. 269).

simples amendes; qu'en instituant des tribunaux d'exception à l'égard de certains faits et de certaines personnes, les lois leur ont imposé l'obligation de se dessaisir des affaires dont la connaissance ne leur a pas été expressément attribuée, et ont fixé les règles qu'ils doivent suivre pour vérifier leur compétence et renvoyer devant qui de droit; mais que, relativement aux cours d'assises, la loi ne les a pas même autorisées à examiner si, d'après les lois particulières, les affaires dont elles sont saisies par les chambres d'accusation auraient dû, soit à raison de la qualité des personnes, soit à raison de la nature des faits, être renvoyées à une juridiction d'exception; qu'aucune disposition du Code, sur la procédure devant la cour d'assises et sur les fonctions de ces cours, n'a réglé la forme et le résultat d'un débat sur la compétence; que la loi n'a donc pas voulu que ce débat pût avoir lieu devant elles; que la présomption légale est toujours pour la juridiction commune qui appartient à ces cours'.

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La jurisprudence reconnaît, en premier lieu, qu'il n'existe dans le Code aucun texte relatif à l'exception d'incompétence proposée devant la cour d'assises, et elle en conclut que cette exception ne peut être soulevée. Est-ce bien là la conséquence à laquelle doit conduire le silence du Code? A-t-il prévu tous les incidents qui s'élèvent à l'audience de la cour d'assises? A-t-il prévu les exceptions que l'accusé a le droit d'opposer à l'action publique? Et faut-il donc également inférer de son silence que ces exceptions n'appartiennent pas à sa défense ou qu'il ne peut prendre droit sur les incidents du débat? Ne semblerait-il pas plus logique d'admettre que la cour d'assises n'est pas privée du droit, qui appartient à tous les juges, d'examiner sa compétence? Et si la présomption est en faveur de la juridiction, n'est-il pas possible que cette présomption soit renversée par les faits?

Supposons que le fait dont la cour d'assises est accidentellement saisie soit un fait purement militaire, un acte d'insubordination ou de voies de fait envers un supérieur, ou un délit de désertion. La loi, dans sa juste sollicitude pour les intérêts différents qui constituent l'intérêt général de l'État, a exclusivement attribué ces délits à des juges militaires; il lui a paru que des membres de l'armée pouvaient seuls avoir un sentiment assez

1 Cass. 19 juillet 1816 (J. P., tom. XVIII, p. 554); et conf. 5 févr. 1819 (Bull., no 56); 2 oct. 1818 (Bull., no 84),

exact des besoins de la discipline pour apprécier la gravité relative de ces actes et pour en mesurer la pénalité. En se déclarant incompétente pour en connaître, que fait donc la cour d'assises, sinon se conformer à la loi spéciale qui attribue exclusivement les délits militaires aux conseils de guerre? On prétend qu'aucune loi ne lui ordonne de se dessaisir; mais la loi qui saisit la juridiction spéciale ne dessaisit-elle pas par là même toutes les autres juridictions? Et n'est-ce pas d'ailleurs éluder la volonté formelle du législateur que de retenir devant un juge qui n'a pas les conditions nécessaires pour les juger des affaires qui ne peuvent être appréciées que par des hommes spéciaux? Comment les jurés et les juges de la cour d'assises pourront-ils comprendre la gravité d'une voie de fait entre militaires, la nécessité d'une répression sévère et toutes les règles que l'ordre militaire a créées et que maintient la discipline? Pense-t-on que cette juridiction apportera à cette discipline la protection qui lui est nécessaire? Peut-on supposer que telle a pu être l'intention de la loi?

2338. On objecte la plénitude de la juridiction de la cour d'assises, mais c'est là une formule que nous avons déjà appréciée (n° 2309) et dont il faut sonder le véritable sens. La compétence de la cour d'assises n'est point en elle-même illimitée : elle a été même soigneusement circonscrite par la loi à quelques catégories de faits qui sont exactement définies; ce sont les faits qualifiés crimes et punis d'une peine afflictive ou infamante; ce sont encore les faits, même qualifiés délits, que quelque lien unit à l'accusation principale; c'étaient enfin, sous le règne des lois du 26 mai 1819, du 8 octobre 1830 et du 4 novembre 1848, les délits politiques et les délits de la presse. Il est évident que ces attributions, quelque étendues qu'elles soient, n'emportent point cette généralité de compétence que tous les arrêts confèrent à la cour d'assises. Peut-être cette formule a-t-elle pris sa source dans un autre point de vue : la cour d'assises, la première des juridictions pénales, réunit dans sa composition et dans ses formes des garanties plus efficaces que toutes les autres; les faits les plus graves lui sont déférés, et ses attributions s'étendent à toutes les conséquences de ces faits. De là on a été naturellement porté à penser que lorsque des faits correctionnels et même des faits spéciaux, accidentellement égarés par la marche d'une procé

dure, surgissent à son audience, ils doivent y être immédiatement jugés, puisque les prévenus n'éprouvent aucun préjudice de l'application qui leur est faite des formes tutélaires qui sont réservées au jugement des crimes, et puisque cette juridiction, investie de la connaissance des faits les plus graves, doit par là même avoir le droit de connaître des faits d'un ordre inférieur. Sa compétence a donc été réputée pleine et entière, en ce sens qu'elle trouverait en elle-même le droit de l'étendre à tous les faits que les mêmes garanties n'attendent pas devant une autre juridiction. Mais il y a lieu de remarquer alors que ce développement de compétence ne résulte nullement de la loi, mais uniquement du défaut d'intérêt du prévenu. S'il n'est pas admis à se plaindre, ce n'est pas parce que la cour d'assises est devenue compétente; c'est parce qu'il ne peut exciper d'aucune lésion. D'où il suit que s'il éprouve un préjudice véritable, s'il revendique, non plus la juridiction correctionnelle, mais les juges spéciaux qu'il pense plus propres à apprécier le délit spécial qui lui est imputé, il semblerait difficile de repousser son déclinatoire, puisque, d'une part, la cour d'assises ne peut étendre sa compétence que là où les garanties de sa juridiction sont plus efficaces, et que, d'une autre part, le prévenu conteste l'efficacité de ces garanties.

On oppose la disposition de l'article 365. Mais on ne remarque pas assez que cet article n'a prévu que le seul cas où le fait, tel qu'il résulte de la déclaration du jury, se trouve n'être plus de la compétence de la cour d'assises. La loi n'a pas voulu que les débats qui ont examiné ce fait fussent inutiles; que le jury qui l'a apprécié ait rendu une déclaration vaine; elle a permis à la cour d'assises de prononcer la peine établie par la loi, lors même que l'infraction ne serait plus de sa compétence; suit-il donc de là que l'exception d'incompétence ne puisse être présentée au seuil des débats lorsque le caractère spécial du fait est dès ce moment évident? La cour d'assises pourrait-elle retenir un délit purement militaire en se fondant sur un texte qui suppose que le caractère du fait ne s'est manifesté que dans le cours des débats, lorsque ce caractère se révèle avant le commencement de ces débats? Et puis, il faut entendre les lois d'après les cas qui se présentent le plus ordinairement que le législateur ait voulu retenir devant la cour d'assises les accusations qui, par l'admission des excuses ou

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