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la dénégation des circonstances aggravantes, dégénèrent en simples délits, on le comprend, et telle est évidemment la pensée qui a dicté l'article 365; mais a-t-il donc voulu par cet article transporter devant cette cour les délits spéciaux pour lesquels il avait institué des juges exceptionnels? A-t-il voulu que les délits de l'armée puissent être, même accidentellement, jugés par le jury? Les crimes et les délits communs ne sont que des branches à peine distinctes d'une même criminalité; mais les délits communs et les délits militaires n'ont ni la même source ni les mêmes caractères, et la raison qui déclare la cour d'assises apte à juger les premiers ne s'applique plus au jugement des autres.

Il nous paratt donc, et telle est aussi l'opinion de M. Merlin', que l'extension que la jurisprudence attribue à la compétence de la cour d'assises doit s'arrêter aux faits communs, qui sont attribués aux juges ordinaires, mais qu'elle ne doit pas s'appliquer aux faits spéciaux que la loi a exclusivement attribués à des juges exceptionnels.

2339. Il y a lieu d'ajouter aux attributions générales qui viennent d'être énumérées plusieurs attributions accidentelles. La cour d'assises connaît encore, en effet : 1o des délits et des crimes qui sont commis à son audience, et elle les juge immédiatement sans instruction préliminaire (art. 506, 507 et 508); 2o du délit de compte rendu infidèle de ses séances (L. 25 mars 1822, art. 7); 3o des infractions disciplinaires commises par les conseil des accusés (art. 311 du Code d'instruct. crim. et art. 103 du déc. du 30 mars 1808).

Il nous reste à rappeler que les cours d'assises qui étaient, en outre, exclusivement compétentes, en vertu de l'article 14 de la loi du 26 mai 1819, de l'article 2 de la loi du 8 octobre 1830, et de l'article 85 de la constitution du 4 novembre 1848, pour connaître des délits politiques et des délits commis par vice de publication, ont été déshéritées de cette double attribution : les décrets des 31 décembre 1851, 17 et 25 février 1852, ont déféré le jugement de ces délits à la juridiction correctionnelle.

Nous n'avons fait qu'indiquer sommairement ici les attributions générales des tribunaux de police, des tribunaux correctionnels et des cours d'assises; nous reprendrons ultérieurement 1 Quest., vo Incompétence, art. 1.

ces attributions pour examiner toutes les questions qu'elles ont fait naître.

§ II. Limites de leur compétence.

2340. Nous venons d'indiquer, en exposant les règles de la compétence ratione materiæ, à quels tribunaux appartient le jugement des différentes espèces d'infractions.

Il faut examiner maintenant quel est, entre les tribunaux de chaque classe, celui qui dans chaque affaire doit être saisi.

Une première règle est que les tribunaux ne peuvent, en général, étendre leur juridiction au delà du territoire qui constitue leur ressort; leur compétence expire aux limites de ce territoire; ils ne peuvent agir au delà. Ainsi, les tribunaux de police des maires circonscrivent leur autorité dans l'étendue de la commune (art. 166), les tribunaux de police des juges de paix dans l'étendue du canton (art. 140), les tribunaux de police correctionnelle dans l'étendue de l'arrondissement (L. 27 ventôse an VIII, art. 6), les cours d'assises dans l'étendue du département (art. 251).

De là il suit que chaque juridiction ne peut, en général, saisir que les faits qui se sont produits dans son ressort et les personnes qui y résident. Les questions de compétence, qui ont autrefois élevé tant de conflits entre les différents juges, sont aujourd'hui pour la plupart aplanies. Nous avons raconté les phases successives de la lutte des juges du lieu du délit avec les juges du lieu du domicile des prévenus (n° 261.)

2341. Nous avons également démontré que notre Code, effaçant toute prééminence entre les juges du lieu et ceux du domicile, et substituant au système de la prévention celui de la concurrence, avait déclaré également compétents pour connaître des infractions 1° le juge sur le territoire duquel elles avaient été commises, 2o le juge sur le territoire duquel le prévenu se trouvait domicilié, 3° enfin le juge sur le territoire duquel le prévenu a été arrêté (no 1657).

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Toutefois ce principe n'est établi dans notre Code que par des textes qui ne se rapportent qu'à la poursuite et à l'instruction. L'article 22 porte: « Sont également compétents le procureur impérial du lieu du crime ou du délit, celui de la résidence du

prévenu, et celui du lieu où le prévenu pourra être trouvé. » Les articles 63 et 69 appliquent la même règle aux actes du juge d'instruction. Aucune disposition ne l'étend aux tribunaux.

Mais il est évident que la règle ne peut être différente pour la poursuite et pour le jugement. En effet, lorsque la loi déclare le procureur impérial et le juge d'instruction du lieu du délit, du lieu de la résidence du prévenu et du lieu de son arrestation, également compétents pour poursuivre et pour instruire, elle déclare par là même la compétence des tribunaux des mêmes lieux; car le procureur impérial ne peut saisir que le juge d'instruction du tribunal auquel il est lui-même attaché; ce juge ne peut faire son rapport qu'à la chambre du conseil de ce tribunal, et cette chambre du conseil ne peut renvoyer l'affaire qu'à la chambre correctionnelle du même tribunal, ou à la chambre d'accusation dans le ressort de laquelle elle est placée. Il en est encore de même au cas de citation directe par la partie civile; car cette partie ne fait que mettre en mouvement l'action publique, dont l'exercice est ensuite réglé par les articles 22, 63 et 69 1.

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Au surplus, cette conséquence, évidente en elle-même, se trouve écrite dans un arrêt qui déclare « que, en droit, et d'après l'article 69, les juges d'instruction, et par une conséquence nécessaire, les tribunaux des lieux du crime ou délit, de la résidence du prévenu, ou de celui où il pourra être trouvé, sont également compétents. » On lit encore dans un autre arrêt : « que l'article 23 qui détermine la compétence du ministère public, chargé de la poursuite des crimes et des délits, attribue la compétence au ministère public du lieu où le prévenu pourra être trouvé; que les articles 63 et 69 du même Code proclament le même principe; qu'il résulte d'un procès-verbal que le prévenu a été arrêté dans la commune de Looz, arrondissement de Joigny, sous l'inculpation du crime de viol, qui fait l'objet du procès; que ce prévenu a été conduit devant le procureur de la République près le tribunal de Joigny, qui a requis l'instruction à laquelle il a été procédé par le juge d'instruction dudit tribunal; qu'il suit de là que la cour d'assises du département de l'Yonne, dans le ressort de laquelle le prévenu a été trouvé et arrêté, était compétente pour connaître du crime imputé à ce

1 Conf. Mangin, tom. II, p. 430; et Leseyllier, tom. IV, p. 2 Cass. 7 janv. 1830 (J. P., tom. XXIII, p. 18).

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prévenu, et pour procéder au jugement de l'accusation portée contre lui. »

2342. Nous avons développé, dans notre tome IV, chapitre 5, relativement à la poursuite et à l'instruction, les règles qui ont pour objet la compétence du juge du lieu de la résidence du prévenu, enfin la compétence du juge du lieu où le prévenu a été trouvé. Ces règles étant les mêmes relativement au jugement, nous ne pouvons que nous référer à ce qui a été dit à cet égard.

Nous ajouterons seulement quelques observations qui se rattachent spécialement à la juridiction des tribunaux de police, des tribunaux correctionnels et des cours d'assises.

En ce qui touche d'abord les tribunaux de police, il y a lieu de remarquer que les causes de compétence qui sont prises de la résidence du prévenu ou de son arrestation leur sont étrangères : ils ne peuvent connaître que des contraventions qui ont été commises dans l'étendue de leur territoire. Cela résulte, en premier lieu, des articles 22 et 63, qui n'attribuent compétence au juge du lieu de la résidence et du lieu où le prévenu est trouvé que lorsque la prévention a pour objet un délit ou un crime; cela résulte ensuite des articles 139, 140 et 166, qui limitent la compétence du juge de police aux contraventions commises soit dans l'étendue du canton, soit dans l'étendue de la commune. Il suit de là qu'un tribunal de police n'est pas compétent pour connaître d'une contravention commise en dehors de son territoire 3, lors même que l'inculpé serait domicilié sur ce territoire. La Cour de cassation a déclaré, en conséquence, en rejetant un pourvoi du ministère public: « qu'il était établi par le procèsverbal, et qu'il était constaté par le jugement attaqué, que le fait, qualifié de contravention de police, aurait été commis dans le canton de Saint-Gervais, et par conséquent hors de l'arrondissement de la justice de paix de Bédarrieux; qu'en se déclarant incompétent pour statuer sur cette contravention, quoique l'inculpé fût domicilié dans la commune du chef-lieu du canton, le juge de police de Bédarrieux n'a fait qu'une juste application des articles 139 et 166 1. 1)

1 Cass. 25 janv. 1849 (Bull., no 21).
2 Voy. notre tome IV, nos 1657 et suiv.
3 Cass. 4 nov. 1853 (Bull., no 528).
4 Cass. 14 déc. 1843 (Bull., no 315).

2343. En ce qui touche les tribunaux correctionnels, les questions de compétence donnent lieu, dans la plupart des cas, à des conflits de juridiction qui seront ultérieurement l'objet d'un examen particulier. Nous nous bornerons à faire remarquer ici : 1° qu'il appartient à ces tribunaux, comme juges du fond, d'apprécier souverainement les faits constitutifs de la compétence : le lieu du délit, la résidence du prévenu, le lieu de l'arrestation. Ce point a été reconnu par un arrêt qui déclare « que la résidence se détermine par l'appréciation des faits qui la constituent, et que cette appréciation appartenait souverainement à la cour royale (jugeant sur appel correctionnel)' »; 2° que, bien que les tribunaux du lieu du délit, du lieu de la résidence et du lieu de l'arrestation soient également compétents, il convient à la bonne administration de la justice d'attribuer de préférence la compétence au tribunal du lieu du délit. Nous avons donné les motifs. de cette préférence en ce qui concerne l'instruction (no 1670); ces motifs s'appliquent avec une égale puissance au jugement. C'est au lieu de la perpétration du délit que peuvent se recueillir les indices et que se trouvent les témoins, c'est en ce lieu que la loi a été enfreinte et que la justice doit un exemple : la jurisprudence, dont nous avons déjà cité quelques monuments, s'est souvent expliquée dans ce sens. Un arrêt du 6 novembre 1817 rejette un pourvoi fondé sur ce que le juge du domicile avait renvoyé une prévention devant le juge du lieu : « Attendu que, dans l'état des faits, tels qu'ils sont reconnus par la Cour de Limoges, le juge d'instruction et le tribunal de Quénel n'ont contrevenu à aucune loi en ordonnant le renvoi au juge d'instruction du tribunal de Châteauroux, de la plainte en faux témoignage portée contre plusieurs individus qui ont déposé devant la cour d'assises de l'Indre. » Un autre arrêt du 3 février 1820 décide plus explicitement « qu'il importe, pour une bonne et plus prompte administration de la justice, que l'instruction ait lieu devant le juge du lieu du délit, plutôt que devant celui du lieu du domicile et de l'arrestation du prévenu ».

3

2344. Enfin, en ce qui touche les cours d'assises, il y a lieu de

1 Cass. 7 nov. 1834 (J. P., tom. XXVI, p. 984).

2 Journ. du Pal., tom. XIV, p. 492.

3 Dall., vo Com. crim., n. 81.

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