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conséquence en principe que « qui est juge d'un accusé l'est par conséquent des complices, sinon qu'ils fussent de telle qualité que, naturellement, il n'en peust cognoistre1». Muyart de Vouglans indique également « que le juge par devant lequel est portée l'accusation d'un crime peut connaître de tous les complices de l'accusé, et cela sur le fondement de la maxime: Ne dividatur continentia causæ ». Jousse dit encore: « Le juge qui connaît du crime d'un accusé connaît aussi de ses complices, participes, fauteurs et adhérents. Ainsi, le juge qui connaît d'un vol connaît de ceux qui ont conseillé de le faire, ou qui ont recélé les effets volés, quoique ce recel ait été commis hors son ressort, et que même le recéleur ne soit point domicilié dans le ressort de ce juge3. » Enfin, cette règle, formulée par la doctrine, se trouve, après avoir été implicitement écrite dans les articles 5 du titre Ier et 23 du titre II de l'ordonnance de 1670, nettement confirmée par l'article 20 de la déclaration de 1731: « Si, dans le même procès criminel, il y a plusieurs accusés dont les uns soient poursuivis pour un cas ordinaire, et dont les autres soient chargés d'un crime prévôtal, la connaissance des deux accusations appar tiendra à nos baillis et sénéchaux. »

2355. Notre législation moderne a dû nécessairement recueillir cette doctrine. Les articles 5 et 6 du Code pénal militaire du 30 septembre 19 octobre 1791 portent : « Si parmi deux ou plusieurs prévenus du même délit il y a un ou plusieurs militaires, et un ou plusieurs individus non militaires, la connaissance en appartient aux juges ordinaires. Si dans le même fait il y a complication de délit commun et de délit militaire, c'est aux juges ordinaires d'en prendre connaissance. » A la vérité, l'article 233 du Code du 3 brumaire an IV porte: « Lorsque plusieurs prévenus sont impliqués dans la même procédure, le directeur du jury peut dresser un ou plusieurs actes d'accusation, suivant ce qui résulte des pièces relatives aux différents prévenus. » Mais il est évident que ces derniers mots voulaient dire: suivant que les pièces de la procédure établissent ou non entre eux un lien de complicité, et le doute que ce texte pouvait faire naître sur l'application du

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principe de l'indivisibilité de la procédure fut d'ailleurs immédiatement levé par une loi du 18 germinal an IV, portant, articles 1 et 3: « Lorsqu'il aura été formé, à raison du même délit, plusieurs actes d'accusation contre différents accusés, les accusateurs publics seront tenus d'en demander la jonction, et le tribunal criminel ordonnera que tous les accusés du même délit seront présentés à un seul et même débat. » Et la loi du 24 messidor an IV, après avoir établi comme motif « que l'intérêt public et l'intérêt particulier de chaque accusé ont également consacré cette maxime inviolable que tous les accusés d'un mème délit doivent être jugés par le même tribunal », déclare que : « tous prévenus mis en état d'arrestation pour complicité dans un crime à raison duquel un représentant du peuple est mis en accusation par le Corps législatif seront traduits à la haute cour de justice et jugés conjointement avec le représentant du peuple accusé du même délit. »

Notre Code suppose ce principe plutôt qu'il ne l'exprime ses textes l'admettent, mais sans le formuler avec netteté. L'article 226 dispose que la chambre d'accusation « statuera, par un seul et même arrêt, sur les délits connexes, dont les pièces se trouveraient en même temps produites devant elle ». D'où il suit qu'à plus forte raison elle doit juger par un même arrêt, c'està-dire renvoyer devant les mêmes juges les prévenus du même délit, dont les pièces auront été produites devant elle. Et l'artiticle 307 ajoute que, « lorsqu'il aura été formé à raison du même délit plusieurs actes d'accusation contre différents accusés, le procureur général pourra en requérir la jonction, et le président pourra l'ordonner, même d'office ». On retrouve une application de la même règle: 1° dans l'article 501, relatif à l'instruction spéciale établie en faveur des membres de l'ordre judiciaire, et qui porte que «< cette instruction sera commune aux complices du juge poursuivi, lors même qu'ils n'exerceraient point de fonctions judiciaires »; 2° dans les articles 526 et 527, qui déclarent qu'il y a lieu à règlement de juges lorsque plusieurs cours ou tribunaux sont saisis de la connaissance du même délit ou de délits

connexes.

On doit induire de ces textes que l'intention du législateur a été dans notre Code, comme dans les législations antérieures, de réunir dans un même jugement tous les auteurs et complices d'un

même délit. Cette règle est d'ailleurs tellement imposée par la nécessité des choses, elle constitue une loi tellement impérieuse de la justice, qu'il ne lui eût pas été possible de la méconnaître et de s'en écarter. Mais il est évident néanmoins que notre légis lateur, tout en la conservant, a voulu éviter de la formuler en termes précis et de lui donner une sanction formelle. Il a craint peut-être que la nécessité absolue d'envelopper dans la même procédure tous les agents qui auraient coopéré au même délit n'apportât des entraves à la poursuite et des retards au jugement. Il a craint que l'action de la justice répressive ne fût affaiblie si elle était tenue, avant de juger le procès, de réunir tous les éléments qui peuvent le faire considérer comme complet.

2356. Cette inquiétude était sans doute excessive; car ce n'est que lorsque tous les prévenus d'un même délit sont à la fois sous la main de la justice qu'il y a lieu de les comprendre dans le même débat. S'il est nécessaire de ne pas scinder les éléments d'un même procès, il ne s'ensuit pas qu'il faille attendre, pour juger les prévenus présents, la représentation des prévenus absents et même que le jugement puisse être suspendu par la présomption qu'ils ont des complices qui ne sont pas compris dans l'instruction. L'instruction doit être réputée entière à l'égard des prévenus toutes les fois que la justice n'est actuellement saisie d'aucune poursuite séparée de la première, et qui ait pour objet le même fait. Ce point est également reconnu par le réquisitoire que nous avons déjà cité: « Le principe de l'indivisibilité n'a lieu et sa nécessité ne se fait sentir que lorsque plusieurs accusés pour un même fait sont en même temps en jugement. Ainsi, lorsqu'une instruction est commencée dans un tribunal sur un délit, si postérieurement un complice est découvert, plus d'utilité, plus de nécessité de porter la seconde instruction au tribunal qui a fait la première, à moins que le complice n'en soit justiciable. Lorsqu'un procès est terminé, l'accusé absous ou condamné ne peut plus reparaître en jugement, il ne peut plus être soumis à un nouveau débat. Un procès terminé n'est plus; rien ne peut donc lui devenir connexe; rien ne peut lui être réuni; et quelque inconvénient qu'il y ait à ce que des individus accusés d'un même délit ne soient pas jugés ensemble, il faut bien se soumettre à la nécessité lorsque ce n'est qu'après le jugement

définitif des premiers prévenus qu'on en découvre ou qu'on en saisit d'autres'. »

2357. Mais, même ainsi entendu, et quoiqu'il ne puisse apporter aucune entrave à l'action judiciaire, le principe de l'indivisibilité des procédures ne trouve dans la loi aucun texte formel qui l'appuie. Il puise sa force en lui-même et non dans le Code, dans les intérêts qui le fondent et non dans l'autorité des textes. Le législateur semble l'avoir considéré plutôt comme un principe de bonne administration de la justice que comme une forme essentielle de la procédure. Il veut que les chambres d'accusation renvoient devant une même juridiction les auteurs d'un même délit, mais seulement lorsque les pièces se trouvent en même temps produites devant elle, et il semble même abandonner à ces cours l'appréciation de la nécessité de cette jonction. Il veut encore que, lorsqu'il a été formé à raison du même délit plusieurs actes d'accusation contre différents accusés, le procureur général puisse en requérir la jonction et le président l'ordonner d'office; mais ce n'est encore là qu'une mesure facultative que ces magistrats peuvent appliquer ou ne pas appliquer et qu'aucune sanction n'accompagne. De là l'esprit général de la jurisprudence qui, sans dénier au principe de l'indivisibilité son autorité, ne semble point faire résulter de son inapplication un vice qui puisse entraîner l'annulation des procédures : le pouvoir de joindre ou de ne pas joindre les procédures est en quelque sorte abandonné à la prudence des magistrats, comme une mesure qui toucherait à l'administration de la justice plutôt qu'au droit de la défense et dont l'application, quelle qu'elle fût, ne saurait influer sur la validité du jugement. Il nous paraît difficile d'aller aussi loin que si, d'une part, ni la chambre d'accusation, ni le ministère public, ni le président des assises n'ont jugé qu'il y eût lieu de joindre les procédures, et si, d'une autre part, les prévenus ou accusés n'ont pas réclamé cette jonction, soit par une requête, soit par des conclusions, le moyen pris ultérieurement de l'indivisibilité de ces procédures ne pourrait, sans doute, être accueilli; car le défaut de pourvoi contre l'arrêt de renvoi couvre les vices de la procédure antérieure, et l'inapplication du pouvoir facultatif établi par l'article 307 ne pourrait fonder un grief sérieux; mais en serait-il 1 Rép., vo Connexitė, § 2.

:

encore ainsi si l'indivisibilité avait été invoquée, si la jonction des procédures avait été réclamée par la défense, soit devant la chambre d'accusation, soit devant le président? Le rejet de cette demande ne pourrait-il pas fonder un moyen de nullité soit contre l'arrêt de renvoi, soit contre l'ordonnance du président? Si la réunion des procédures disjointes peut être un besoin absolu de la défense, une condition de son existence, un élément essentiel de la preuve qu'elle veut produire, comment lui refuser le droit de la demander? Comment lui refuser ce droit lorsque la loi elle-même déclare que cette réunion doit avoir lieu? Et si les prévenus ne font, en invoquant ce principe, qu'user d'un droit légal, qui appartient essentiellement à leur défense, ne s'ensuit-il pas que les ordonnances ou les arrèts qui prononcent sur leurs réclamations peuvent, dès qu'ils leur font grief, être attaqués par

un recours en cassation?

Au surplus, le seul point que nous voulons établir ici, c'est que l'application du principe de l'indivisibilité des procédures conduit à la déviation des règles de la compétence, puisqu'il a pour conséquence de conduire tous les prévenus du même délit devant la même juridiction. Il s'ensuit que ceux de ces prévenus qui, soit à raison de la qualité, soit à raison du territoire, soit à raison de la matière, étaient justiciables d'un autre tribunal sont amenés devant un autre juge que celui que leur avait désigné la loi. La juridiction de ce juge, que l'indivisibilité de la procédure saisit du procès entier, est donc légalement provoquée, en ce qui concerne les prévenus qui n'appartiennent pas à son ressort ou les faits qui n'entraient pas dans le cercle ordinaire de ses pouvoirs; il se trouve donc accidentellement investi d'une compétence qui appartenait à d'autres tribunaux'. C'est cette prorogation de compétence que nous avons voulu constater.

Nous examinerons dans notre n° 2372 les conséquences de cetle prorogation dans le cas où plusieurs juridictions sont saisies, et quelle est celle de ces juridictions dont la compétence doit être prorogée à l'exclusion des autres.

2358. La deuxième hypothèse que nous avons posée est celle où plusieurs poursuites sont exercées contre le même agent à raison de délits différents: faut-il comprendre toutes les procé

Conf. M. Mangin, tom. II, p. 434.

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