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sera ce tribunal? La juridiction correctionnelle doit-elle retenir la cause entière? doit-elle se déclarer incompétente pour que le fonctionnaire et ses complices soient traduits devant la première chambre civile de la cour impériale?

Deux juridictions se trouvent ici en présence elles ont les mêmes attributions, car la première chambre civile de la cour impériale exerce, dans les cas prévus par les articles 479 et 483 du Code d'instruction criminelle et 10 de la loi du 20 avril 1810, les mêmes fonctions que la juridiction correctionnelle; elles constituent l'une et l'autre des tribunaux ordinaires, car il nous semblerait difficile de classer parmi les tribunaux d'exception une chambre d'une cour impériale, composée comme les autres chambres par le roulement, soumise, comme le tribunal correctionnel, aux formes du débat oral et public, et dont les arrêts peuvent être attaqués par la voie du recours en cassation : ce sont les mêmes juges, ce sont les mêmes pouvoirs, ce sont les mêmes formes. A la vérité, c'est la chambre civile qui fait fonction de chambre correctionnelle, et cette chambre est substituée seule aux deux degrés de juridiction; mais s'il y a là une exception dans l'ordre judiciaire, il ne s'ensuit pas que la juridiction substituée ait les caractères d'une juridiction exceptionnelle : c'est un juge ordinaire qui remplit exceptionnellement les fonctions d'un autre juge ordinaire.

Cela posé, il reste à examiner lequel de ces deux juges doit être préféré lorsque parmi les coprévenus d'un délit se trouve une personne privilégiée. Cette question est controversée. En faveur de la chambre civile de la cour, on invoque l'article 501 du Code d'instruction criminelle, qui dispose que l'instruction faite par la Cour de cassation, au cas de prévention de crime contre un tribunal entier ou contre un magistrat de cour souveraine, << sera commune aux complices du tribunal ou juge poursuivi, lors même qu'ils n'exerceraient point de fonctions judiciaires ». A la vérité, cette disposition n'a pas été reproduite dans le cas prévu par les articles 479 et 483; mais la même raison peut être invoquée dans l'une et l'autre hypothèse. On fait valoir encore que l'affaire qui le plus ordinairement n'est point alors précédée d'une instruction est jugée avec plus de célérité; que le prévenu n'est point mis en arrestation et n'a pas même besoin de donner caution pour rester libre, et surtout qu'il doit néces

sairement trouver dans les lumières et l'impartialité de la cour supérieure une plus grande garantie que dans les tribunaux correctionnels contre les erreurs dont il aurait à craindre le préjudice». On invoque, au contraire, en faveur de la juridiction correctionnelle, que cette juridiction est le juge naturel des prévenus non privilégiés; qu'elle leur assure un double degré de juridiction; qu'ils y trouvent, en outre, une habitude des jugements criminels qui leur donne des garanties plus grandes qu'une juridiction que ses occupations habituelles détournent de cette matière. On ajoute que la garantie spéciale que l'article 479 a établie consiste surtout en ce que le prévenu, membre de l'ordre judiciaire, n'est pas jugé par le tribunal auquel il appartient, et par conséquent ne rencontre point les préventions et les haines personnelles qui auraient pu l'atteindre; mais que cette garantie est complétement indifférente aux complices étrangers aux fonctions judiciaires. Nous croyons que c'est la première de ces opinions qui doit être adoptée. La règle est que, entre deux juges ordinaires, c'est celui qui présente à la justice les garanties les plus sûres qui doit être préféré; or, la première chambre civile, présidée par le premier président, et composée d'un nombre de juges supérieur à la chambre correctionnelle, paraît présenter ces garanties. L'article 501, d'ailleurs, quoiqu'il ne soit relatif qu'à l'instruction, semble tracer à cet égard la marche qui doit être suivie dans les cas analogues. C'est aussi dans ce sens que la jurisprudence semble fixée.

Plusieurs avoués étaient prévenus de prévarications commises dans l'exercice de leurs fonctions : l'un d'eux, étant juge suppléant d'un tribunal de première instance, opposa l'incompétence du juge d'instruction et réclama la juridiction de la cour. Cette exception fut adoptée par la chambre d'accusation, qui renvoya tous les prévenus devant le procureur général. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté : « Attendu que l'arrêt portant renvoi de l'affaire devant le juge d'instruction de Toulouse, pour cause de suspicion légitime du tribunal de Tarascon, ne faisait pas obstacle à ce que le tribunal de Toulouse examinât sa compétence sous le rapport de la qualité des personnes traduites devant lui, et qu'en le jugeant ainsi, et en déclarant que ledit tribunal était incom1 Legraverend, tom. I, p. 498.

2 Leseyllier, n. 2042,

pétent à raison de la qualité des inculpés, qui les rendait justiciables de la cour royale, l'arrêt attaqué s'est conformé à la loi '. » Dans une autre espèce, la juridiction correctionnelle avait été saisie d'une poursuite en détournement de valeurs imputé au sieur Péan, avoué et juge suppléant au tribunal de Chinon, et à deux autres individus étrangers à l'ordre judiciaire. Cette juridiction s'étant déclarée incompétente, la Cour de cassation, statuant par voie de règlement de juges, a renvoyé le sieur Péan et ses complices devant la première chambre de la cour d'Orléans, « Attendu qu'il résulte des articles 479 et 480 que, lorsqu'un membre du tribunal de première instance est prévenu d'avoir commis, hors de ses fonctions, un délit emportant une peine correctionnelle, le procureur général près la cour royale doit le faire citer devant cette cour, qui prononce sans qu'il puisse y avoir appel; que, s'il s'agit d'un crime emportant peine afflictive ou infamante, le procureur général et le premier président doivent désigner le premier, le magistrat qui exercera les fonctions d'officier de police judiciaire, et le second, le magistrat qui exercera les fonctions de juge d'instruction;... que la chambre d'accusation a excédé ses pouvoirs en privant le prévenu Péan des garanties à lui assurées par l'article 479, puisqu'elle aurait dù se borner à délaisser le procureur général à faire citer directement l'inculpé Péan et les individus signalés comme ses complices, devant la première chambre de la cour royale pour y recevoir jugement *.

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2378. Lorsque, parmi les prévenus d'un mème délit, il s'en trouve un ou plusieurs qui sont justiciables d'une juridiction exceptionnelle, devant quelle juridiction doit être portée la procédure?

Cette question a été controversée à une époque où les troubles civils avaient multiplié les tribunaux exceptionnels. Le motif d'utilité publique, qui avait créé ces tribunaux, semblait devoir, en cas de concurrence, faire fléchir la compétence des tribunaux ordinaires. C'est là aussi toute l'argumentation de M. le président Barris, reproduite par M. Merlin : « Les tribunaux sont créés par

1 Cass. 5 mai 1832 (J. P., tom. XXIV, p. 1018).

2 Cass. 13 janv. 1843 (Bull., no 4); et conf. 28 brum, an II (J. P., tom, III, p. 55).

des motifs d'intérêt public pour la prompte répression des crimes qui, par leur nature ou par la qualité des personnes qui les commettent, exigent une punition plus rapide ou plus sévère. Il est donc utile à l'ordre social, il est donc juste, que ces tribunaux ne soient pas dépouillés de la connaissance d'un crime qui est dans leurs attributions; et comme on ne peut diviser une instruction, ni faire juger le même fait par des tribunaux différents, le tribunal (d'exception) devient compétent contre tous les accusés indistinctement. En deux mots, l'exception déroge à la règle générale; la règle générale doit donc fléchir devant l'exception. Donc si, parmi plusieurs prévenus d'un même crime, il en est un que la loi soumette à un tribunal d'exception, comme, d'un côté, ce tribunal est seul compétent à son égard, et que, de l'autre, les principes ne permettent pas de diviser une instruction et de séparer les accusés d'un même fait pour les soumettre à des tribunaux et à des jugements différents, tous les prévenus doivent être traduits et jugés devant le tribunal d'exception. Les prévenus justiciables de la juridiction ordinaire ont à s'imputer de s'être associés dans le crime avec un individu que la loi en avait retranché pour le soumettre à la juridiction d'exception '. Quelques textes, empruntés à des lois spéciales, appuyaient ce système".

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Mais la législation, si elle est entrée un moment dans cette voie, s'y est promptement arrêtée. L'article 2 de la loi du 22 messidor an IV porte : « Si parmi deux ou plusieurs prévenus du même délit, il y a un ou plusieurs délits militaires, et un ou plusieurs individus non militaires, la connaissance en appartient aux juges ordinaires. » L'art 555 du Code d'instruction criminelle pose la même règle : « Si parmi les prévenus de crimes spécifiés en l'article 553 (commis par les vagabonds et les repris de justice) et qui sont, par la simple qualité des personnes, attribuées à la cour spéciale, il s'en trouve qui ne soient point, par ladite qualité, justiciables de cette cour, le procès et les parties seront renvoyés devant les cours d'assises. » L'article 19 de la loi du 10 avril 1825 dispose encore que : « Les complices des crimes de piraterie seront jugés par les tribunaux maritimes. Sont exceptés et seront jugés par les tribunaux ordinaires les prévenus 1 Rép., vo Connexitė, § 4. 2 Décr. du 6 ventôse an II,

de complicité, Français ou naturalisés Français, autres néanmoins que ceux qui auraient aidé ou assisté les coupables dans le fait même de la consommation du crime. Et dans les cas où les poursuites seraient exercées simultanément contre les prévenus de complicité et contre les auteurs principaux, le procès et les parties seront renvoyés devant les tribunaux ordinaires. »

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Le principe que ces textes ont appliqué est facile à justifier. Les tribunaux qui étendent leur compétence à des personnes qui n'appartiennent pas à leur juridiction ne peuvent atteindre ces personnes que par une prorogation de cette juridiction. Or, les juges ordinaires seuls peuvent proroger leur juridiction. En effet, « proroger une autorité, a dit M. Henrion de Pansey, ce n'est pas la dénaturer. C'est, et rien de plus, l'étendre au delà de ses limites naturelles à cette extension près, la juridiction prorogée demeure après la prorogation ce qu'elle était auparavant '. » Les juges ordinaires ne changent donc pas, en le prorogeant, le caractère de leur pouvoir: « Ils sont, dit Loyseau, juges des lieux et du territoire, ubi tanquàm magistratus jus terrendi habent2, et ont justice régulièrement et universellement sur toutes les personnes et les choses qui sont dans iceluy, de laquelle justice les autres justices extraordinaires sont démembrées, et extrà ordinem utilitatis causâ constitutæ . » Le juge ordinaire, lorsqu'il proroge sa juridiction, ne fait donc, en quelque sorte, qu'exercer un pouvoir qui lui est propre sa compétence est générale, elle s'étend, comme le dit Loyseau, sur toutes les personnes et sur toutes les choses, et si quelques affaires en ont été distraites pour les attribuer à des juges spéciaux, il conserve toujours en lui, en vertu de son office, suivant l'expression de M. Henrion de Pansey, le pouvoir de les juger. Or, telle n'est pas la position des juges d'exception circonscrits dans un certain cercle de délits, restreints à une classe de personnes, tous les autres prévenus leur sont complétement étrangers. Leur pouvoir, au delà des limites qui ont été fixées par la loi, n'existe plus. « Quant aux officiers des justices extraordinaires, dit encore Loyseau, ils ont plutôt une simple puissance de juger qu'une vraie juridiction *. » Or,

1 De l'autorité judiciaire, tom. I, p. 378.

2 L. 239, § 8, Dig., De verb. signif.

3 Des offices, liv. I, ch. 6, n. 48.

4 Dumoulin, ad lib. III, Cod., tit. XIII. Henrion de Pansey, tom. I, p. 378.

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