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été faite de la déposition d'un témoin, lors de la confrontation »>, n'était nullement contraire à cette règle; car il ne s'agissait dans cet article que du renvoi du juge du domicile au juge du lieu du crime, et comme le premier de ces juges avait en lui-même un principe de compétence, il n'y avait pas lieu à renvoi, si ce renvoi n'était pas requis.

La même règle semble avoir été appliquée sous les lois de 1791 et de l'an IV. L'article 13 du titre IV de la loi du 16-29 septembre 1791 portait que l'officier de police qui n'était ni celui du lieu du délit, ni celui de la résidence du prévenu était tenu de renvoyer l'affaire devant le juge de paix du lieu du délit. Et l'article 202 du Code du 3 brumaire an IV ajoutait : « Si le jugement est annulé pour violation ou omission de termes prescrits par la loi à peine de nullité, pour incompétence à raison du délit ou de la résidence du prévenu, le tribunal renvoie le procès............. » L'incompétence à raison du lieu était donc assimilée aux formes prescrites par la loi à peine de nullité, et entraînait l'annulation des procédures.

Faut-il aujourd'hui emprunter à la loi civile une distinction que notre législation pénale a toujours rejetée? Nous avons déjà vu que l'article 408 n'avait point séparé l'incompétence à raison du lieu des autres incompétences; et peut-être serait-il difficile que la règle fût différente dans l'un et l'autre cas. On comprend qu'en matière civile l'acquiescement des parties puisse couvrir l'incompétence ratione loci du juge elles sont maîtresses de leurs droits; elles peuvent donc, par un consentement exprès ou tacite, couvrir une incompétence' que seules elles ont intérêt à faire valoir. Mais, en matière pénale, est-ce que le ministère public, est-ce que l'accusé lui-même sont maitres des droits qu'ils exercent? Comprend-on que tous les deux, par un accord préalable, pussent proroger la juridiction d'un juge incompétent? Est-ce qu'il peut être permis de déroger par des conventions aux règles de la compétence? Ce ne sont plus des intérêts privés qui s'agitent ici, des droits auxquels il soit possible de renoncer les droits de l'action publique, les droits mêmes de la défense touchent aux intérêts de la société; les règles des juridictions pénales n'ont été établies que pour la protéger, et leur application ne peut dépendre ni de la volonté ni de la négligence des parties. Ces considérations fléchissent-elles lorsqu'il s'agit de l'incom

pétence ratione loci? Est-ce que la loi n'a pas circonscrit chaque juridiction dans les limites de son territoire? Est-ce qu'elle n'a pas soigneusement défini les cas de prorogation de compétence? Pourquoi les règles qu'elle a posées à cet égard seraient-elles moins absolues que celles qui sont relatives à l'incompétence ratione materiæ et persona? Pourquoi le droit du prévenu serait-il moins impérieux? Des trois causes d'incompétence qu'il peut faire valoir, celle qui le touche personnellement et le plus souvent, c'est l'incompétence ratione loci: il n'a que rarement intérêt à se faire un grief de l'incompétence matérielle ou personnelle; mais les juges du lieu du délit ou de sa résidence, ce sont ses juges naturels : c'est devant eux que se trouvent les éléments de sa défense, ses antécédents, ses témoins; les lui enlever, c'est lui ravir les garanties les plus précieuses que la loi ait pu lui assurer. Est-ce qu'il peut lui être permis d'y renoncer? Est-ce que ce n'est pas dans l'intérêt même de la justice, qui n'est jamais séparé de l'intérêt de la défense, qu'elles ont été établies? Il ne doit pas être plus permis au ministère public et au prévenu de transporter le jugement d'une affaire d'un tribunal correctionnel à un autre tribunal correctionnel, en dehors des termes de la loi, que de la transporter d'un tribunal correctionnel à un tribunal de police ou à une cour d'assises, quand il s'agit d'un délit.

Il suit de là que l'incompétence, quel qu'en soit le motif, a les mêmes effets; qu'elle est nécessairement absolue, soit qu'elle soit fondée sur ce que le délit n'est pas dans les attributions du juge, soit sur la qualité des prévenus, soit sur ce que le juge saisi n'est pas celui du lieu du délit, de la résidence du prévenu ou du lieu de son arrestation; que, dans ces trois cas, elle ne peut être couverte par le consentement des parties; qu'elle peut donc être invoquée en tout état de cause.

2387. Ce principe a été consacré par la jurisprudence relativement à l'incompétence ratione materiæ. Dans une première espèce, un individu prévenu de voies de fait légères et d'outrages envers un maire dans l'exercice de ses fonctions avait été cité devant le tribunal de police, qui, avec le consentement des parties, avait statué sur la contravention et sur le délit. L'annulation de ce jugement a été prononcée : « Attendu qu'en supposant une

connexité indivisible entre ce délit et celui relatif à la rixe, le délit le plus grave entraînait le plus léger, qui rentrait sous ce rapport dans la compétence du tribunal correctionnel; qu'en supposant, au contraire, les deux délits distincts et séparés, le tribunal de police aurait dù se borner à prononcer sur le délit relatif à la rixe, sans connaître du délit plus grave, qui était de la compétence exclusive du tribunal correctionnel; que néanmoins le tribunal de police a retenu la connaissance de la plainte portée devant lui par le maire; que les juridictions sont de droit public; qu'il est, par conséquent, indifférent que les parties eussent reconnu la juridiction du tribunal de police; que le tribunal n'en était pas moins tenu de se dessaisir de la connaissance de la plainte, dès que cette plainte excédait évidemment, aux termes de la loi, les bornes de sa compétence 1. » Dans une deuxième espèce, le prévenu d'un délit avait décliné la juridiction du tribunal de police, devant lequel il était cité; mais cette exception avait été rejetée parce qu'elle n'avait pas été proposée in limine litis. Ce jugement a été cassé : « Attendu que la connaissance attribuée par la loi à chacun des tribunaux est d'ordre public; que les règles ne peuvent être violées, et que la contravention ne peut être couverte, ni par une action dirigée au contraire, ni par le consentement, le silence ou la négligence soit du ministère public, soit des parties; qu'ainsi le tribunal de police n'a pas pu rejeter l'exception d'incompétence sous prétexte qu'elle n'avait pas été proposée ab origine litis . » Dans une troisième espèce, un individu prévenu d'un vol qualifié crime est traduit devant le tribunal correctionnel et condamné à une peine d'emprisonnement; appel du ministère public, qui est rejeté parce que l'exception n'avait pas été proposée en première instance. L'annulation a été prononcée « Attendu que l'incompétence du tribunal correctionnel était absolue, et, à raison de la matière, formait une exception péremptoire qui pouvait être proposée en tout état de cause 3. » Dans une quatrième espèce, le tribunal de police ayant prononcé sur un fait qui excédait sa compétence, le jugement a été annulé : « Attendu que le juge, mal à propos saisi de cette poursuite, devait renvoyer l'affaire devant le tribunal correctionnel, seul p. 840).

1 Cass. 7 oct. 1809 (J. P., tom. VII,
2 Cass. 25 janv. 1810 (J. P., tom. VIII, p. 61).
3 Cass. 12 mars 1812 (J. P., tom. X, p. 203).

compétent; que cependant le tribunal a rejeté le déclinatoire proposé par le prévenu, sous le prétexte qu'il avait, en défendant au fond, reconnu sa compétence, comme si une exception fondée sur une incompétence à raison de la matière et sur des principes d'ordre public ne pouvait pas être proposée en tout état de cause, et ne devait même pas être prononcée d'office par le juge, mal à propos saisi d'une poursuite étrangère à ses attributions légales '. Enfin, l'exception peut même être proposée pour la première fois devant la Cour de cassation : « Attendu que l'ordre des juridictions est de droit public; qu'il est même indépendant de la défense des parties, relativement surtout à la séparation des pouvoirs et des attributions des tribunaux . »

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2388. Le même principe a été également consacré en ce qui concerne l'incompétence ratione persona. Un vétéran en activité de service avait été traduit, pour un fait d'injures, devant le tribunal de police. Il ne déclina pas la compétence et fut condamné; mais sur le pourvoi, formé dans l'intérêt de la loi, ce jugement fut cassé : « Attendu qu'il y a des tribunaux spécialement institués pour connaitre des délits des militaires; que le prévenu, étant soldat vétéran en activité de service, ne pouvait être jugé pour raison du délit énoncé en la plainte par le tribunal de police d'Angoulême; qu'il y a eu, de la part de ce tribunal, incompétence et excès de pouvoir . » Plusieurs inculpés, après avoir été renvoyés devant un autre juge d'instruction pour cause de suspicion légitime, opposèrent pour la première fois devant la chambre du conseil l'incompétence de la juridiction saisie, attendu que parmi eux se trouvait un juge suppléant. Cette exception, agitée en première instance, fut accueillie par la chambre d'accusation, et le pourvoi formé contre l'arrêt de cette chambre fut rejeté, << attendu qu'en le jugeant ainsi et en déclarant que ledit tribunal était incompétent à raison de la qualité des inculpés, qui les rendait justiciables des cours royales, l'arrêt attaqué s'est conformé à la loi ».

1 Cass. 15 oct. 1829 (J. P., tom. XXII, p. 1471); et conf. 7 févr. 1834 (J. P., tom. XXVI, p. 141).

2 Cass. 20 fruct. an XIII (J. P., tom. IV, p. 761); et 30 avril 1812 (J. P., tom. X, p. 355).

3 Cass. 9 flor. an XI (J. P., tom. III, p. 260).

4 Cass, 5 mai 1832 (J. P., tom. XXIV, p. 1018).

2389. Enfin le même principe a été appliqué, mais non sans quelque hésitation, à l'incompétence ratione loci. Nous devons d'abord mentionner deux arrêts qui ont paru considérer cette cause d'incompétence comme purement relative et comme pouvant, dès lors, ainsi qu'en matière civile, être couverte par le silence des parties.

Dans la première espèce, un prévenu, condamné pour une contravention par un tribunal de police, avait fondé son pourvoi sur ce que la contravention n'avait pas été commise dans le ressort de ce tribunal. Le rejet a été prononcé : « attendu que l'incompétence du tribunal de police, n'étant point absolue, a pu être couverte par le consentement des parties'. » Dans la deuxième espèce, un accusé, condamné par la cour d'assises de l'Allier, avait fondé son pourvoi sur ce qu'il n'était ni domicilié, ni résidant dans le département, et sur ce que le délit avait été commis dans un autre ressort. Le rejet a également été prononcé : « attendu que le fait poursuivi constituait un crime de la compétence des cours d'assises; qu'il a été jugé par une cour d'assises; qu'il ne s'agit donc pas ici d'un moyen d'incompétence absolue, pris d'une atteinte portée à l'ordre public et à l'ordre des juridictions; que le demandeur se plaint seulement de ce que l'affaire a été instruite devant des juges qui n'auraient pas dù en connaître, sous le rapport du lieu et de la personne; mais que ce n'est là qu'un moyen d'incompétence relative, qui a pu être couvert par le silence de l'accusé, et qu'en fait le demandeur n'a pas usé des voies qui, indépendamment de celles ouvertes par l'article 299, lui étaient ouvertes par l'article 416; que dès lors, en n'attaquant pas en temps utile l'arrêt de renvoi, il s'est rendu non recevable à proposer pour la première fois devant la cour l'exception d'incompėtence dont il s'agit3. » Il est à remarquer que ce dernier arrêt aurait pu être motivé sur l'article 364, qui, quand il ne s'agit pas de l'incompétence ratione loci, ne laisse pas l'exception survivre aux débats de la cour d'assises; mais, au lieu de s'arrêter à ce motif, il pose en thèse que cette incompétence, étant purement relative, se trouvait couverte par le silence de l'accusé.

Cette doctrine est formellement contredite par d'autres arrêts. Un arrêt du 13 mai 1826 porte : « que les juridictions sont d'ordre

1 Cass. 3 mai 1811 (J. P., tom. IX, p. 301).

2 Cass, 24 déc. 1840 (Bull., no 364),

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