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juges, ou l'un d'eux, estimaient que le fait avait les caractères d'un crime et qu'il y avait charges suffisantes contre l'inculpé. Ainsi, quel que fût le nombre des juges qui composaient la chambre du conseil, l'opinion d'un seul suffisait, en cas de prévention de crime, pour que la procédure fût renvoyée devant la chambre d'accusation. Le vote de la majorité s'inclinait devant cette voix unique.

La chambre du conseil était une juridiction permanente. Formée par le roulement comme les autres chambres du tribunal, elle demeurait, sauf les cas d'empêchement, composée des mêmes juges, pendant le cours de l'exercice judiciaire. Le règlement intérieur du tribunal déterminait à l'avance, d'une manière fixe, les jours de ses séances. Cette indication était nécessaire pour que les pièces fussent renvoyées en temps utile par le ministère public avec ses réquisitoires, et pour qu'il pût prendre communication des ordonnances et y former opposition, s'il y avait lieu, dans le délai de 24 heures. L'article 127 voulait qu'elle se réunît au moins une fois par semaine. La loi n'avait point fixé le délai dans lequel il devait être statué sur le rapport du juge d'instruction. En général, il était prononcé séance tenante en vertu du principe qui veut qu'en matière criminelle il soit procédé diligemment. Cependant si la procédure était compliquée ou s'il surgissait des exceptions de droit qui demandaient un examen spécial, il y avait lieu d'appliquer à la chambre du conseil la règle que l'article 218 a établie pour la chambre d'accusation, et d'après laquelle cette chambre doit statuer dans les trois jours du rapport au plus tard.

2039. Le juge d'instruction rendait compte à la chambre du conseil de toutes les affaires dont il était saisi, soit qu'il l'eût été par un réquisitoire ou qu'il eût informé d'office. Cette règle était posée dans les termes les plus formels par l'article 127 : « Le juge d'instruction sera tenu de rendre compte des affaires dont l'instruction lui est dévolue. » Ainsi, toute affaire instruite par le juge d'instruction ne pouvait se terminer que par une ordonnance de la chambre du conseil cette chambre seule pouvait décider que la poursuite ne serait pas continuée ou statuer sur les exceptions qui pouvaient en arrêter le cours. Il n'y avait d'exception à cette règle que celle relative à l'incompétence ratione

loci. L'article 69 constituait déjà dans ce cas spécial le juge d'instruction seul juge de l'exception.

La loi n'avait point tracé la forme du rapport; il pouvait donc être fait soit par écrit, soit verbalement. Le juge devait présenter à la chambre du conseil un exposé clair et lucide des faits qui ont été l'objet de l'instruction, de toutes les circonstances qui se rattachent à ces faits, de tous les incidents de la procédure, enfin des renseignements qu'elle a réunis sur la personne des inculpés, leur moralité, leurs antécédents, leur position sociale; car il fallait que la chambre du conseil prononçât en connaissance de cause sur les points de fait et de droit soumis à son appréciation. Ce rapport devait donc être le miroir fidèle de l'instruction; il devait retracer toutes ses phases, analyser tous ses éléments, reproduire toutes ses parties; car les juges qui statuaient sur la prévention comme de véritables jurés devaient former leur conviction, non d'après la nature des preuves, mais d'après l'impression que laissaient dans leur conscience l'aspect et l'examen approfondi de la procédure. Le rapporteur n'affirmait rien de son chef; il extrayait des pièces ce qu'il exposait; il déduisait les motifs qui avaient rendu nécessaires certaines investigations; il rendait compte et de ce qui avait été fait et des raisons qui avaient déterminé à le faire.

Le juge devait-il donner lecture des pièces? Cette lecture devait être faite, mais comme la loi ne la prescrivait pas, elle était souvent omise. C'était là une regrettable négligence, car il était impossible que le tribunal pût sérieusement régler la prévention et la compétence, sans vérifier par ses propres yeux les faits et les circonstances qu'il appréciait. La loi n'avait point établi une vaine formalité quand elle avait institué l'examen de la chambre du conseil. Elle devait donc entendre la lecture des charges. Les articles 222 et 225, qui prescrivent à la chambre d'accusation cette lecture, s'appliquaient naturellement à la chambre du conseil, puisque avec une autorité différente sa mission était la même.

Le juge d'instruction, lorsqu'il avait fait son rapport, était complétement dessaisi. Sa juridiction, relative aux actes d'instruction, était épuisée. Il ne pouvait plus, postérieurement à ce rapport, procéder à aucun acte d'instruction, à moins d'une délégation expresse, soit de la chambre d'accusation, soit, dans

certains cas qui seront ultérieurement précisés, du président des assises 1.

2040. Il résulte de ce qui précède que dans le système de notre Code le juge d'instruction et la chambre du conseil étaient investis de deux juridictions indépendantes l'une de l'autre, qui s'appliquaient successivement aux mêmes faits, mais dont les pouvoirs et la mission étaient entièrement différents.

Le juge d'instruction constatait les faits, procédait aux actes d'instruction, édifiait la procédure; la chambre du conseil appréciait les résultats de cette instruction et déduisait les conséquences des faits qu'elle avait recueillis. Le juge d'instruction statuait sur toutes les réquisitions et demandes relatives à l'instruction, il ordonnait ou rejetait tous les actes qui s'y rattachent, mais il ne prononçait dans aucun cas sur l'action; il instruisait, il n'appréciait pas; la chambre du conseil, au contraire, était saisie, non de l'instruction, mais de l'action elle-même; étrangère aux actes de l'information, elle n'avait point à les réformer, mais elle jugeait de leur influence sur la poursuite et elle déclarait, en les appréciant, que cette poursuite était bien ou mal fondée.

De ces attributions distinctes, il s'ensuivait : que la chambre du conseil était incompétente pour connaître de l'opposition formée contre les ordonnances du juge d'instruction, car elle ne participait pas aux actes de l'instruction; - qu'investie d'une juridiction parallèle et non supérieure à celle du juge, elle ne pouvait prescrire aucune des mesures qui constituent l'information, ni réformer aucun des actes de la procédure; qu'elle ne pouvait même enjoindre au juge d'étendre l'instruction à des faits ou à des individus autres que ceux qui étaient l'objet de la poursuite, qu'elle pouvait seulement ordonner un plus ample informé, si la procédure ne lui paraissait pas complète. La chambre du conseil avait la qualification des faits, l'appréciation des charges résultant de la procédure, et le règlement de la compétence. En matière de déliis, elle était chargée de prononcer sur la mise en prévention. En matière de crimes, elle était le premier degré de la juridiction qui statuait sur la mise en accusation.

1 Cass. 11 sept. 1826 (J. P., tom. XXII, p. 279); 27 août 1831 (J. P. tom. XXIV, p. 202; 12 janv. 1838 (Bull., no 11); 18 avril 1816 (J. P., tom. XIII, p. 385).

2041. La juridiction des chambres du conseil a été supprimée par la loi du 17 juillet 1856. Voici les motifs énoncés par le législateur pour justifier cette suppression :

« Le juge d'instruction et la chambre du conseil constituent moins deux juridictions distinctes qu'une juridiction scindée. La chambre du conseil est souvent désignée sous le nom de chambre d'instruction. Ces deux pouvoirs, qui sont l'instrument de la police judiciaire, se rencontrent et se pénètrent sans cesse. Le juge saisit la chambre et la chambre peut seule dessaisir le juge. Tour à tour aussi ils se dominent et s'asservissent. La chambre est appelée à résoudre toutes les questions de compétence, et cependant le juge peut la prévenir en déclinant la compétence territoriale. Le juge se meut librement dans son ministère, aucun acte d'instruction ne pouvant lui être prescrit, et cependant la chambre a le droit de déclarer l'instruction incomplète. Une fois que la procédure est édifiée, et quand le moment est venu de procéder à son apurement, la chambre absorbe le juge dans son sein pour le faire concourir à cette opération; mais, dès que le juge a pris séance, il peut dans certains cas dicter la loi à la chambre et imposer sa volonté. Ne sont-ce pas là des distinctions de pouvoir artificielles, de fausses pondérations qui tiennent à une séparation arbitraire d'attributions de même nature? Les ordonnances du juge d'instruction et de la chambre du conseil relèvent également de la chambre d'accusation qui est leur régulateur. La chambre d'accusation résume dans sa souveraineté les pouvoirs des deux juridictions. Pourquoi ces pouvoirs, confondus au deuxième degré, ne seraient-ils pas également réunis en première instance? Pourquoi ne retrouverait-on pas, à la base d'une grande institution, cette unité qui se fait au sommet et qui la domine? Quel inconvénient peut présenter la substitution du juge d'instruction à la chambre du conseil? Dans l'état actuel de la législation, la juridiction de la chambre du conseil se résout par un de ces trois actes: la libération de l'inculpé, son renvoi devant les tribunaux de police, son renvoi devant la chambre des mises en accusation. De ces trois actes, le premier peut faire dommage à la vindicte publique; les deux autres peuvent blesser la liberté civile. Les graves intérêts de la vindicte seront-ils moins assurés parce que la loi les aura retirés à la chambre du conseil pour les remettre au juge d'instruction?

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Le sentiment profond de sa responsabilité, agrandie et surveillée, ne peut qu'attacher plus intimement encore à son devoir ce magistrat laborieux et intègre qui consacre son existence à la recherche de la vérité judiciaire. D'ailleurs, à côté de lui se trouve placé l'auteur de la poursuite, le procureur impérial, dont le contrôle est actif et dont le consentement est indispensable pour qu'une ordonnance de libération puisse être exécutée. A ces garanties élevées, le projet de loi en ajoute une nouvelle qui n'est pas la moins puissante, c'est le droit conféré pour la première fois au procureur général de former opposition lui-même aux ordonnances rendues par le juge d'instruction. Si la vindicte publique est entièrement sauvegardée, faut-il du moins craindre pour la liberté civile? Est-elle menacée par l'attribution faite au juge d'instruction du pouvoir de prononcer des ordonnances de renvoi? Les ordonnances sont de deux sortes les unes saisissent les tribunaux de simple police ou de police correctionnelle; les autres s'adressent à la chambre des mises en accusation. Dans la poursuite des contraventions et des délits, le préliminaire de l'information et de l'examen n'est pas un droit de l'inculpé, c'est un pouvoir de la justice. Le mode ordinaire d'évocation devant les tribunaux repressifs, ce n'est pas l'ordonnance de renvoi, c'est la citation directe. Or, la citation directe est l'acte du ministère public ou de la partie civile. Comment pourrait-il y avoir lésion d'un principe de liberté dans l'obligation imposée au prévenu, que le procureur impérial ou même un simple particulier auraient pu traduire en justice réglée, de répondre devant la juridiction pénale à l'appel de deux magistrats convaincus de sa culpabilité, du magistrat qui a poursuivi, et de celui qui a informé ? En matière criminelle, les ordonnances de renvoi ne sont en réalité qu'un ordre de transmission des procédures dont l'envoi est fait au procureur général et dont le procureur général fait rapport à la cour. Cette transmission peut être déterminée dans la chambre du conseil par la volonté d'un seul de ses membres. Il dépend du juge d'instruction de la rendre nécessaire. Puisque ce droit lui appartient, est-il expédient qu'il l'exerce par un acte d'opposition au sentiment de ses collègues? Pourquoi ne pas lui promettre de l'exercer sous une autre forme, dans le recueillement de la méditation et du devoir? Dans les affaires criminelles, comme dans les affaires correctionnelles, la chambre du conseil

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