Page images
PDF
EPUB

ordre d'instruction décerné par les commandants des divisions militaires 1.

§ V. De la compétence des tribunaux criminels pour connaître de l'action civile.

2393. Après avoir exposé les règles de la compétence des tribunaux criminels en ce qui concerne l'action publique, il nous reste à tracer les règles de la même compétence en ce qui concerne l'action civile.

Nous avons précédemment établi le caractère général de l'action civile (no 536 et suiv.), les conditions de son exercice et les règles qui régissent soit les droits des parties, soit la désignation des juridictions qui doivent en connaitre (n° 601 et suiv.).

Nous ne voulons qu'indiquer ici, pour suivre l'ordre méthodique de ce Traité, la compétence respective de chacune des juridictions répressives, pour statuer accessoirement sur cette action, lorsqu'elles sont saisies de l'action publique. Nous nous bornerons même à faire une simple indication de cette attribution; car les questions multiples qu'elle a soulevées ne pourraient, sans inconvénient, être détachées de l'examen des formes de l'audience et du jugement.

Il importe néanmoins d'établir, dès à présent, une règle génėrale qui domine cette matière et qui ne doit pas être perdue de vue dans l'examen des différentes difficultés qu'elle soulève : c'est que l'attribution de l'action civile, résultant d'un fait qualifié contravention, délit ou crime, faite par la loi aux tribunaux répressifs, est essentiellement exceptionnelle.

La loi a dû prescrire que l'action civile pourrait, suivant la volonté de la partie qui l'exerce, être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l'action publique, ou être poursuivie séparément. L'utilité de réunir dans une même procédure les deux actions résultant du même fait, la facilité d'acquérir par cette réunion des preuves plus efficaces, enfin le double motif d'une plus prompte expédition des affaires et de l'économie des frais ont dicté la disposition de l'article 3 du Code d'instruction criminelle; mais il est clair que cette disposition ne fait qu'admettre les tribunaux criminels à l'exercice d'une attribution qui appartient naturellement aux tribunaux civils. L'action en réparation 1 Cass. 1er déc. 1827 (J. P., tom. XXI, p. 905).

du dommage causé par un fait quelconque est, en effet, une action purement civile; or, comment cette action changerait-elle de caractère parce que le fait dommageable est passible d'une peine? La criminalité ne modifie point son rapport avec la personne qu'il a lésée, car elle ne modifie point la nature du dommage éprouvé : il s'agit d'un dommage privé et non d'un dommage public, de l'intérêt d'une partie et non de l'intérêt général. Cet intérêt général, quand il est lui-même atteint par le même fait, met en mouvement une autre action, l'action publique, à côté de l'action civile, mais elle n'exerce aucune influence sur le caractère intrinsèque de celle-ci; donc elle doit demeurer soumise aux règles et aux garanties prescrites par la loi civile; donc ce n'est que par une exception aux règles qui régissent toutes les actions civiles qu'elle est amenée accessoirement à l'action publique devant les tribunaux criminels.

La Cour de cassation avait reconnu, sous le Code du 3 brumaire an IV, « que toute action en dommages-intérêts est, de sa nature, une action civile dont la connaissance n'appartient, d'après les principes généraux du droit, qu'aux seuls tribunaux civils; que, par conséquent, les tribunaux criminels ne peuvent en connaître que dans les seuls cas d'exception déterminés par la loi». Cette jurisprudence ne doit pas cesser d'être la règle de la matière, car si le Code d'instruction criminelle a étendu les droits des tribunaux répressifs pour connaître de l'action civile, il n'a point changé, et il n'aurait pu le faire, la nature de cette attribution. Quelque étendue qu'elle soit, elle n'est et elle ne peut être qu'un démembrement de la juridiction des tribunaux civils, qu'une attribution essentiellement civile et par conséquent exceptionnelle entre leurs mains. Telle est la doctrine que la Cour de cassation a consacrée, depuis comme avant le Code, en déclarant par ces arrêts « que le droit accordé aux tribunaux répressifs d'allouer des dommages-intérêts constitue une attribution dérogatoire au droit commun». De là la conséquence qu'ils ne peuvent l'exercer que dans les cas où elle leur est expressément attribuée par la loi et seulement dans les limites de cette attribution.

1 Cass. 13 vent. an VII (S. V., tom. I, p. 178); 9 germ. an VII (J. P., tom. I, p. 358).

2 Cass. 4 nov. 1831 (J. P., tom. XXIV, p. 289).

2394. Les tribunaux criminels ordinaires sont généralement compétents pour connaître, accessoirement à l'action publique, de l'action civile; mais l'attribution qui leur a été faite à cet égard n'a pas la même étendue.

Les tribunaux de police et les tribunaux de police correctionnelle sont compétents pour statuer :

1° Sur les dommages-intérêts réclamés par le prévenu acquitté 1;

2° Sur les restitutions et dommages-intérêts demandés par la partie civile, en cas de condamnation du prévenu, quelle que soit la somme à laquelle le dommage est estimé ou la nature de la réparation demandée; mais celle compétence cesse si les tribunaux déclarent ou que le prévenu n'est pas coupable, ou que le fait ne constitue ni contravention, ni délit, ni crime;

3o Sur les réparations civiles du préjudice causé à l'intérêt ou à l'ordre public par la contravention ou par le délit. Ainsi les tribunaux de police ou de police correctionnelle sont compétents pour ordonner la destruction des travaux faits ou des constructions élevées sur ou touchant la voie publique en contravention aux règlements sur la voirie; la démolition des établissements formés à la distance prohibée des bois soumis au régime forestier, la destruction des lavoirs établis en contravention aux lois sur les mines, la suppression des manufactures insalubres établies sans autorisation, la clôture d'un théâtre ouvert sans permission, la fermeture d'une officine de pharmacie tenue par un individu non pourvu des conditions légales d'aptitude, l'annulation des actes obtenus à l'aide de manœuvres frauduleuses, l'impression et l'affiche des jugements, quand il y a lieu, aux frais du condamné3; 4o Sur les demandes formées contre les parties civilement responsables *;

5° Enfin, sur les demandes en garantie formées en matière de contravention aux lois de douane; mais, en dehors de ce cas, les tribunaux sont incompétents pour statuer sur une action en garantie '.

1 C. d'instr. crim., art. 159, 171, 189, 191 et 212.

2 C. d'instr. crim., art. 161, 189, 192 et 213.

3 C. d'instr. crim., art. 145 et 182.

4 L. 21 avril 1818, art. 44.

5 Cass. 9 déc. 1843 (Bull., no 305).

Les cours d'assises sont compétentes :

1° Pour prononcer, en cas d'acquittement, sur les dommagesintérêts réclamés par l'accusé contre ses dénonciateurs', que ceux-ci soient ou non parties au procès;

2o Pour prononcer, soit en cas d'acquittement, soit en cas de condamnation, sur les dommages-intérêts respectivement prétendus entre la partie civile et l'accusé 1. Ainsi, elles peuvent même en allouer à la partie civile contre l'accusé acquitté, pourvu d'ailleurs qu'ils n'aient pour objet que les faits qui ont été le sujet de l'accusation, et qui, même après avoir été déclarés non punissables, peuvent encore être dommageables.

Nous nous bornons à indiquer le cercle dans lequel l'action civile est enfermée lorsqu'elle est portée devant les tribunaux criminels en dehors de ces limites, elle appartient exclusivement aux tribunaux civils. Nous examinerons plus loin les difficultés que l'application de ces règles a soulevées.

:

2395. Il nous reste à constater, pour ne pas scinder cette matière, que les tribunaux d'exception ne doivent, dans aucun cas, connaître de l'action civile que peuvent soulever les faits dont ils sont saisis.

Cette règle n'a pas été constamment appliquée. Dans notre ancien droit, les prévôts des maréchaux, les officialités, les juges des monnaies, des eaux et forêts, etc., prononçaient des dommages-intérêts. Les cours spéciales, organisées par le Code d'intruction criminelle, avaient le même pouvoir'.

Mais il a été reconnu que les juges d'exception n'étaient point institués pour connaître des dommages prétendus par les parties; qu'établis dans un intérêt d'ordre public et pour juger des faits spéciaux que les juges ordinaires pouvaient sembler moins aptes à apprécier, leur mission ne s'étend point à régler des intérêts privés; qu'ils doivent donc strictement se renfermer dans leurs attributions exceptionnelles, et que l'article 3 du Code d'instruction criminelle ne s'est appliqué à régler la marche de l'action civile que lorsqu'elle se meut devant les tribunaux ordinaires.

La Cour de cassation a jugé, conformément à cette doctrine,

1 C. d'instr. crim., art. 358 et 359. 2 C. d'instr. crim., art. 358 et 359. 3 Art. 585.

en ce qui concerne les conseils de guerre, « que la compétence des divers tribunaux est réglée par la loi, et qu'ils ne peuvent sortir du cercle de leurs attributions sans commettre une violation de la loi qui les a institués; que les conseils de guerre ne sont créés que pour juger les délits militaires ou commis par des militaires; que ce n'est donc que contre les personnes qu'ils peuvent prononcer les peines encourues lorsque les prévenus sont déclarés coupables; qu'aucune loi ne leur confère le droit de prononcer des réparations civiles, et que par cela seul ce droit leur a été

refusé1»

Un avis du conseil d'État du 20 septembre 1809 porte également, relativement aux conseils de préfecture : « Considérant qu'aucune loi n'a attribué à ces conseils la connaissance des actions purement civiles résultant des contraventions: le conseil est d'avis que les demandes en dommages-intérêts et toutes actions civiles résultant d'une contravention à des règlements de police doivent être jugées par les tribunaux. »>

Ces décisions s'appliquent à tous les tribunaux exceptionnels, parce que la raison de décider est la même devant toutes ces juridictions. Créées pour assurer une répression plus énergique à des faits qui touchent à l'ordre public, elles sont constituées en vue de cette répression et non pour statuer sur des réclamations purement civiles; elles présentent des garanties aux intérêts généraux qu'elles protégent; elles n'en présenteraient aucune aux intérêts particuliers qui seraient amenés accessoirement devant elles. Le principe posé par la jurisprudence plus encore que par la loi, qui renvoie devant les tribunaux civils toutes les actions civiles résultant des faits dont les juges d'exception connaissent, est donc puisé dans la nature même de leur institution.

1 Cass. 23 oct. 1817 (J. P.., tom. XIV, p. 486).

2 Moniteur, n. 296.

1

« PreviousContinue »